Aucun de nous ne reviendra (Auschwitz et après I)

Ouf! Oui, ouf, car parfois une onomatopée peut contenir bien des choses. De ces évènements impossibles à décrire dans leur intégralité, de ces horreurs que seul le vécu permet de comprendre… et que Charlotte Delbo, avec Aucun de nous ne reviendra: Auschwitz et après 1, réussit à nous laisser entrevoir par l’entremise d’une écriture forte, une écriture douce mais puissante, qui dit peu mais montre, qui ouvre une fenêtre sur le quotidien des femmes détenues dans le camp d’Auschwitz.

Aucun de nous ne reviendra Auschwitz et après Charlotte Delbo

Une écriture morcelée, qui présente l’horreur comme dans les films, en tableaux qui s’allument et qui s’éteignent, parce que le cœur ne peut recevoir l’horreur que par fragments, et parce que la vie des femmes et des hommes d’Auschwitz n’était plus que fragments.

Aucun de nous ne reviendra: Auschwitz et après 1 est un livre dur maquillé sous une écriture douce et féminine. C’est un livre aux images fortes. Oui, malgré l’absence d’illustration, même sur la couverture, je dirais que ce livre en est un d’images. Non, on n’en conserve pas des mots: seulement des images.

Premier d’une trilogie (Auschwitz et après) que je ne croirais pas lire en entier, pas tout de suite, ce témoignage est celui de Charlotte Delbo, l’une des 230 femmes déportées vers Auschwitz le 24 janvier 1943. Et qui a survécu.

Et qui tente de restituer l’horreur pour nous qui ne pouvons pas comprendre.

Aucun de nous ne reviendra: Auschwitz et après 1 en extraits

   “Il y a une petite fille qui tient sa poupée sur son cœur, on asphyxie aussi les poupées.” (p. 15)

   “« Regardez. Oh, je vous assure qu’elle a bougé. Celle-là, l’avant-dernière. Sa main… ses doigts se déplient, j’en suis sûre. »
Les doigts se déplient lentement, c’est la neige qui fleurit en une anémone de mer décolorée.” (p. 32)

   “Immobiles depuis le milieu de la nuit, nous devenions si lourdes à nos jambes que nous enfoncions dans la terre, dans la glace, sans pouvoir rien contre l’engourdissement. Le froid meurtrissait les tempes, les maxillaires, à croire que les os se disloquaient, que le crâne éclatait. Nous avions renoncé à sauter d’un pied sur l’autre, à taper des talons, à frotter nos paumes. C’était une gymnastique épuisante.
Nous restions immobiles. La volonté de lutter et de résister, la vie, s’étaient réfugiées dans une portion rapetissée du corps, juste l’immédiate périphérie du cœur.” (p. 42)

   “J’avais couru, couru sans rien voir. J’avais couru, couru sans rien penser, sans savoir qu’il y avait un danger, n’en ayant qu’une notion vague et proche à la fois. Schneller. Schneller. Une fois j’avais regardé ma chaussure, le lacet défait, sans cesser de courir. J’avais couru sans sentir les coups de bâton, de ceinturon qui m’assommaient. Et puis j’avais eu envie de rire. Ou plutôt non, j’avais vu un double ayant envie de rire. Mon cousin m’affirmait qu’un canard marchait encore le cou tranché. Et ce canard se mettait à courir, à courir, sa tête tombée derrière lui, qu’il ne voyait pas, ce canard courait comme ne court jamais un canard, regardant sa chaussure et se moquant du reste, maintenant, la tête tombée, il ne risque plus rien.” (p. 63-64)

   “Personne ne peut s’endormir ce soir.
Le vent souffle et siffle et gémit. C’est le gémissement qui monte des marais, un sanglot qui gonfle, gonfle et éclate et s’apaise dans un silence de frisson, un autre sanglot qui gonfle et éclate et s’éteint.
Personne ne peut s’endormir.
Et dans le silence, entre les sanglots du vent, des râles. Étouffés d’abord, puis distincts, puis forts, si forts que l’oreille qui veut les situer les entend encore quand le vent s’abat.
Personne ne peut s’endormir.” (p. 69)

   “J’ai envie de me coucher dans la boue et d’attendre. D’attendre que la kapo me trouve morte. Pas si facile de mourir. C’est terrible ce qu’il faut battre longtemps quelqu’un, à coups de pelle ou à coups de bâton, avant qu’il meure.” (p. 163)

DELBO, Charlotte. Aucun de nous ne reviendra: Auschwitz et après 1, Éditions de Minuit, Paris, 1970, 181 p.

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