La Meute

Je ne fréquente pas souvent les théâtres, pourtant j’adore aller voir une bonne création. De la même façon, je lis peu de pièces de théâtre, à moins qu’elles ne soient portées à mon attention. J’ai pris plaisir à découvrir La Meute d’Esther Beauchemin grâce à un contrat de rédaction de fiches pédagogiques pour le regroupement des éditeurs franco-canadiens. L’ouvrage de 130 pages est paru aux éditions Prise de parole en 2005.

Catherine, Irène, Éric, les jumeaux et le bébé vivent dans un chalet en forêt depuis maintenant des semaines. Ils s’y sont installés avec leur mère après la mort de leur père. Pourtant ils y vivent seuls, leur mère n’entrant presque plus dans le chalet. Désormais, elle oublie même de leur apporter à manger. Elle dort dehors, avec la meute de chiens dont elle fait l’élevage. Son objectif: protéger sa famille des Ombres, celles qu’elle pense responsables de la mort de son mari. Elle ne croit pas au diagnostic des médecins. Le cancer du cerveau de son mari ne fait pas partie de sa réalité: les Ombres sont après leur famille et il faut les fuir. Continue reading « La Meute »

Pierre, Hélène & Michael – Cap Enragé

J’ai découvert Herménégilde Chiasson pour la première fois lorsque je suis allée aux Correspondances d’Eastman en 2015. Plus tard, j’ai eu la chance d’assister à un atelier d’écriture qu’il a animé à Québec, mais je n’avais rien lu de lui avant cette année. Le premier texte de sa plume que j’ai découvert est publié dans Sur les traces de Champlain, et m’a laissée un peu dubitative. Il y présente une entrevue fictive avec Samuel de Champlain en jouant sur les anachronismes. C’est intéressant, mais cela ne m’a pas autant charmée que les deux pièces de théâtre dont je viens de faire la lecture: Pierre, Hélène & Michael et Cap Enragé. Continue reading « Pierre, Hélène & Michael – Cap Enragé »

Temps

Franchement dérangeant. Poétique mais laid en raison de son sujet. Beau quand même. Bref… dérangeant.

Temps de Wajdi Mouawad est une pièce de 60 pages qui a été écrite, selon les mots de l’auteur en introduction: “avec l’inquiétude comme boussole”.

Napier de la Forge, le père, perd la mémoire. Noëlla, sa fille, se souvient des abus. Et Blanche, sa seconde épouse, veut qu’on se rappelle l’artiste qu’il était. La ville est envahie par les rats. Noëlla astique une arme. Elle attend le retour de ses frères.

Temps est une pièce glauque, sans doute très théâtrale (je serais curieuse de la voir mise en scène), mais aussi un défi sur le plan linguistique. Je me demande comment elle a été accueillie lorsque présentée.

Temps Wajdi Mouawad Sourd Langue de signes LSQ

C’est que Temps met en scène un personnage de sourde: Noëlla, la sœur de l’étrange famille de la Forge, s’exprime en LSQ. Son “texte” est transposé sur papier tel quel du LSQ, avant d’être traduit en français par son interprète, Meredith-Rose:

“NOËLLA DE LA FORGE (lsq). RAT PLEIN (CL) (1) 1-REGARDER-2 VERS 1-REGARDER-3-RETOUR REGARDER OÙ? VEUT-DIRE CONNAÎTRE-PAS TASSER (CL)…HOMME PLEIN (1) 1-REGARDER-2 VERS 1-REGARDER-3-RETOUR REGARDER TROUVER VEUT-DIRE CONNAÎTRE.

MEREDITH-ROSE. Si je repère un rat au milieu de la horde et que je détourne les yeux si je regarde de nouveau je suis incapable de le retrouver. Je ne le reconnais pas. Un homme au milieu de la foule si je détourne les yeux et que je regarde de nouveau je le reconnais aussitôt.” (p. 19)

Un lexique est fourni à la fin de l’ouvrage pour aider le lecteur à comprendre le texte transposé du LSQ, mais la première partie du code n’est pas expliquée, donc inutile. Que ces chiffres ou lettres représentent des gestes, soit, mais quelles nuances apportent-ils? J’aurais aimé le savoir. Ma belle-sœur signe; pourtant elle ne pouvait pas l’expliquer non plus. Enfin, il est dommage que le lexique n’ait pu satisfaire toute ma curiosité. (Non, je n’avais pas le temps de suivre un cours de LSQ en ligne.)

LSQ - Temps Wajdi Mouawad Sourd

Malgré ce petit désagrément, j’ai trouvé très intéressant de lire le texte en LSQ, tâchant de bien comprendre, pour ensuite le comparer à sa traduction française (et habituellement m’apercevoir que j’ai compris de travers). Comme pour toute traduction, il y a des pertes de nuances, dans un sens comme dans l’autre. Le texte français m’a semblé beaucoup plus “joli”, sans doute parce que la poésie de la LSQ, visuelle et surement accessible uniquement aux signeurs, m’échappe. Que la poésie du français, une fois traduit en LSQ, disparaisse m’a donc semblé logique. Qu’une poésie, “absente” du texte en LSQ apparaisse soudain dans la transposition française, m’a paru irréaliste. Pourquoi l’interprète enroberait les paroles originales au point, à un endroit au moins, de lui ajouter des couches de sens? Simplement plus pratique pour le théâtre, considérant que la majorité des spectateurs ne comprendront pas les signes?

“NOËLLA DE LA FORGE (lsq). MOI CHERCHER CHEMIN COURT /SI MOI QUITTER VEUT-DIRE MOI VICTIME… MONSTRE FALLOIR TUER… 10 ANS TROUVER… ÂGE 13 LUI ÉJACULE-1 PLEURER… MOI DIRE-3 JUSQU’À TOI MORT 1 FOIS-SEMAINE FALLOIR 3-PAYER-1 (1) TOUT-LUNDI MOI VOULOIR $1000 AUSSI AVANT TOI ÉJACULER VENTRE-1 TOI PAYER-1 SI TOI REFUSE MOI PLAINDRE /1-JOUR TOI OUBLIER PAYER-1 MOI TUER-3.

MEREDITH-ROSE. Je cherchai le raccourci. Partir aurait fait de moi à jamais une victime. La première fois que j’ai vu le sexe de mon père, j’ai cru que c’était un scorpion violet accroché à son corps. J’ai pensé: « C’est mon père. Il va me défendre. » Au contraire. Mon père a fait entrer un scorpion dans mon ventre et je l’ai vu y prendre un très grand plaisir. Plus que son viol, c’est de le voir complice de l’infect insecte qui m’a anéantie. Quand j’ai su que j’étais enceinte de lui, j’ai prié et l’enfant sans doute m’a entendu (sic) et il est reparti croûte épaisse et rouge. Caresse inconsolable. Dans mon ventre, il y aura à jamais un navire vide voguant à vague aveugle vers la dérive, la vie sans vie sans voix, variation lente d’une grandeur. Mais j’en sortirai vivante et joyeuse. Les monstres, il faut bien les abattre. Dix ans pour trouver. J’ai treize ans. Il éjacule. Il pleure. Je lui dis: « Je veux de l’argent. Pour le reste de tes jours, tu devras me payer une fois par semaine. Chaque lundi, je veux mille dollars. Je veux aussi les arriérés depuis la première fois que tu as éjaculé dans mon ventre. Si tu refuses, je te dénonce. Le jour où tu oublieras de me payer, je te tuerai. »” (p. 46-47)

(L’humanité me dégoute alors que je recopie ce passage.)

(Avez-vous remarqué la très belle allitération en v?)

Il n’en demeure pas moins que c’est un exemple vraiment intéressant d’intégration d’une langue de signes en littérature (ou plutôt au théâtre). La transposition littérale a vraiment éveillé mon intérêt. Je serais curieuse de VOIR les signes, et surtout, de les comprendre. La syntaxe, très différente, m’a aussi fascinée.

Mais la pièce ne représente pas un défi sur le plan linguistique uniquement en raison de la LSQ: un autre personnage, qui arrive plus tard, parle russe. Son texte est écrit en russe et c’est encore une fois une interprète qui nous permet de comprendre de quoi il est question. On peut imaginer comment les conversations LSQ-russe-français doivent produire un effet particulier au théâtre, mais aussi exiger du spectateur une certaine dose de patience. Personnellement, j’aurais été captivée.

Russe Temps Wajdi Mouawad Sourd LSQ
(P. 35)

Temps en extraits

“Votre mère s’appelait Jacqueline. Tout le monde l’appelait Jacqy. Je ne l’ai pas connue. Elle est morte tout de suite après la fondation de notre ville. […] Son corps n’a pas été retrouvé. S’il l’avait été, il ne serait pas ici. Il n’y a pas de cimetière à Fermont. On ne meurt pas à Fermont.” (p. 21-22)

“Les solutions vous les connaissez mais elles exigent davantage d’humanité seulement l’humanité coûte cher à ce qu’il paraît et aujourd’hui elle s’octroie au rabais.” (p. 50)

“Le continent noir. Il noire de plus en plus. Noire est un verbe. Tout noire comme tout brûle. Tout flambe. Tout noire.” (p. 55)

MOUAWAD, Wajdi (2012), Temps, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 60 p.

Le Garçon du dernier rang

Je lis peu ces derniers temps. Je m’étais bien lancée dans une relecture du Seigneur des anneaux, mais je me suis interrompue passé les 600 pages pour me plonger dans les lectures théoriques exigées par la maitrise. Et puis mon esprit est ailleurs… Mais! (Oui, point d’exclamation, tant pis pour la rupture syntaxique, j’ai la phrase qui se révolte [et je suis sans doute la seule personne en ce monde à me trouver drôle en ce moment].) Je dois rédiger une analyse filmique dans le cadre d’un séminaire portant sur le personnage de cinéma et j’ai découvert (ce n’était pas planifié) que le film que j’ai choisi, l’excellent Dans la maison de François Ozon (2012), est en fait une adaptation de la pièce de théâtre Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, auteur espagnol prolifique dont je n’avais jamais entendu parler avant.

Le garçon du dernier rang Juan Mayorga Théâtre Dans la maison Ozon

 J’ai donc lu Le garçon du dernier rang (ai-je besoin de le mentionner?) et j’en ai conclu deux ou trois choses:

  1. Le théâtre, c’est bien sûr plus agréable à regarder qu’à lire.
  2. Cette pièce doit être géniale au théâtre.
  3. Le film a su en faire une excellente adaptation.

Passons au cinéma, ce sera du pareil au même.

 Le garçon du dernier rang au cinéma

Ou presque, car Ozon a changé la fin (que je ne vous raconterai pas). Malgré tout, m’étant déjà étendue en plus de quinze pages sur le sujet à l’extérieur de ce blogue, je serai ici assez brève. Le film (comme la pièce Le garçon du dernier rang) met en scène le personnage de Germain, enseignant blasé, déçu par le manque de passion et d’intérêt de ses élèves pour la littérature. Il verra sa vie transformée par un garçon de seize ans, Claude, dont les rédactions, particulières autant dans leur ton que dans leur sujet voyeur, éveilleront chez lui un intérêt irraisonné. C’est que Claude raconte avoir trouvé le moyen de se faire inviter dans la maison de Rapha, un autre élève de la classe, et fait des membres de sa famille les personnages de ses histoires…

 Dans la maison est un film magnifique portant sur la création et les limites entre réalité et fiction. À voir, donc.

MAYORGA, Juan. Le garçon du dernier rang, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2009, 94 p.

Gros-Câlin ou conférence sur la solitudes des pythons dans les grandes villes

Le 11 octobre, je suis allée voir Gros-Câlin ou conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes. La pièce, une adaptation signée Pascal Contamine, était présentée par Premier Acte dans le cadre du Festival Québec en toutes lettres.

Gros-Câlin ou conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes théâtre Pascal Contamine
Pascal Contamine dans le rôle de Michel Cousin / Photo: Carl Perreault

Pourquoi cette pièce? Parce que c’est une adaptation du roman Gros-Câlin de Romain Gary (paru tout d’abord sous le nom d’Émile Ajar), un livre étrange, au vocabulaire et aux tournures de phrases particulièrement amusants. J’ai déjà écrit un billet concernant le livre Gros-Câlin.

J’étais donc très curieuse de voir ce que ça donnerait au théâtre. Je suis toujours intéressée par le travail d’adaptation, que ce soit au cinéma ou ailleurs: ce qui est gardé, ce qui est omis, les raccourcis pris, les transformations opérées pour répondre au médium, etc.

Conclusion: j’ai bien aimé la pièce de Pascal Contamine, qui restitue l’essentiel de cette œuvre de Gary, tout en y ajoutant sa touche personnelle, adaptation oblige.

Pour en savoir plus, je vous invite à lire mon article Le théâtre en l’honneur de Gary. Quand l’homme s’éprend de la bête, qui paraitra dans la revue littéraire du CLUM (Club de lecture de l’université de Montréal) en janvier.

Mise à jour: Il est paru:

Critique Gary Théâtre CLUM

La revue peut être consultée intégralement ici.