Correspondances d’Eastman, jour 3 (8 aout)

Troisième journée des correspondances, programme encore chargé pour moi. Soleil dehors, le beau temps officiellement arrivé pour deux jours. J’ai bien hâte d’entendre Kim Thuy.

Café littéraire: ailleurs l’enfance

Ce café littéraire animé par Nicolas Lévesque réunissait trois femmes aux univers bien différents: Kim Thuy (Ru; Man; À toi), Hélène Dorion (Recommencements) et Sarah Rocheville (Go West, Gloria). Très intéressante conversation.

Je ne sais plus exactement quelles questions ont été posées, mais Kim Thuy a parlé de son Vietnam natal, de ce que c’est que de grandir dans une grande ville asiatique où tout l’espace est optimisé. Elle racontait, par exemple, que les poteaux d’une rue qu’elle a nommée Pasteur peuvent servir à tenir un filet de badminton en dehors des heures de trafic. Que chaque lieu de la ville peut être réinvesti comme ça pour permettre aux gens de vivre malgré l’exigüité. Il y a donc peu d’espace pour le paysage. Kim Thuy affirme que, dans un tel contexte, elle n’a pas appris comment regarder la nature, que c’est quelque chose qui lui échappe toujours.

Elle dit que, pour les Asiatiques, le temps n’est pas un point de repère. Ils ne fêtent pas les anniversaires de naissance, ceux de décès seulement. Pour eux, le temps est circulaire.

Selon elle, les Vietnamiennes n’écrivent pas de recettes pour éviter que la voisine les vole, et vole donc le mari en même temps. Toutefois, ce serait aussi parce qu’elles cuisinent toujours avec ce qui est disponible, au gré des saisons, puis parce que la guerre leur a appris à se débrouiller avec ce qu’il y a, donc à ne pas prévoir. Thuy affirme en riant rater toutes les recettes, mais cuisiner très bien lorsqu’elle improvise.

Elle dit qu’au Vietnam, jamais on ne dit non, que c’est comme si le mot ne faisait pas partie du vocabulaire. À cause de cela, on ne sait jamais ce que les gens pensent vraiment, ce qui peut compliquer certaines choses. On ne dit ni bonjour ni merci, tout est dans le geste. Même “je t’aime” ne se dit pas au Vietnam. Thuy affirme avoir appris des Québécois le concept d’affirmation de soi: s’affirmer, nommer, dire. Pour elle, le geste ne suffit pas. Elle dit qu’au Vietnam, ironiquement, le non se manifeste dans certains comportements, par exemple personne ne respecte les feux de circulation. Mais, là-bas, le concept de responsabilité personnelle est très fort. Les gens savent que chaque geste a un impact à plus grande échelle.

Kim Thuy dit ne pas savoir rêver, que pour rêver, il faut d’abord avoir une base de connaissances qui permettent d’imaginer. Je comprends qu’elle puisse le dire en parlant de son enfance, par exemple, où elle aurait pu être privée de ces connaissances, mais elle gravite aujourd’hui dans différentes sphères dans lesquelles elle n’est pas privée d’information. Pourquoi ne pas parvenir à rêver aujourd’hui encore?

De son côté, Hélène Dorion, a opposé le rêve à la création pour ne pas risquer de s’écraser. Pour elle, l’écriture est un processus de travail sur soi. Écrire permet de devenir un meilleur être humain.

Elle affirme que nous sommes à l’époque où nous avons le plus d’outils, le plus d’instruments pour aiguiser la conscience. Pour elle, le gris, la fameuse zone grise, est le lieu de tous les possibles.

Pour Sarah Rocheville, se déplacer de soi-même permet de se réaffirmer. Elle dit avoir découvert très jeune que le monde existe sans elle. Elle a passé son enfance enfermée à la maison en famille ou au piano. Pendant ce temps, le monde se déroulait à l’extérieur. La nature ainsi que l’emploi qu’elle a occupé dans un salon funéraire lui ont appris la compassion. Au salon funéraire, elle a appris à s’ouvrir à l’autre. Pour elle, travailler dans un tel endroit, c’est comme être écrivain: il faut s’intéresser passionnément à l’autre.

Plus jeune, elle avoue avoir été très suicidaire, car voulant mettre fin à la farce. Aujourd’hui, elle aime vieillir, car ça lui permet de voir la faille du monde. Elle écrit donc pour s’intéresser aux autres, pour mieux voir. Concernant la question de l’enfance, elle croit que l’enfance se crée une fois adulte, qu’elle se vit après. Enfant, elle ne se souvient pas s’être projetée.

Nicolas Lévesque a mis de l’avant le lien entre développement de soi et développement littéraire. Il affirme qu’il y a construction de soi dans les deux.

Lecture d’Hélène Dorion

Hélène Dorion a lu des extraits de son livre Recommencements dans un cadre enchanteur: les sentiers du portage des mots, des sentiers aménagés pour mettre de l’avant la littérature.

Sentiers littéraires Correspondances Eastman Mouton

Sentier littéraire Correspondances Eastman

Une très belle écriture, mais touchant un sujet qui, pour l’instant, ne m’accroche pas, celui de la mort de la mère et du cycle de la vie. Peut-être que je lirai un jour son livre en y trouvant en moi des échos. Cette fois, j’ai simplement reconnu la qualité de l’écriture.

Sentier littéraire Correspondances d'Eastman Hélène Dorion Eastman

Sentier littéraire Correspondances d'Eastman Cercle de lecture

Grande entrevue: Serge Bouchard

Cette entrevue a été animée par Catherine Voyer-Léger, collègue de Serge Bouchard à la radio (il anime l’émission C’est fou). On pouvait voir leur belle complicité, et l’admiration que porte Mme Voyer-Léger à l’auteur (C’était au temps des mammouths laineux; Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux).

Serge Bouchard est très loquace. Une seule question de l’animatrice suffit à le lancer pour presque toute l’entrevue. Elle le ramène de temps à autre, mais elle n’est pas inquiète: M. Bouchard nous amène dans son univers, toujours drôle, toujours intéressant.

Il a décrit son époque, celle d’avant la télévision, ou presque, comme étant un univers très précis parce que l’offre était limitée. “Quelle belle enfance!” lance-t-il, soulignant que, dans le temps, les enfants n’étaient pas harcelés par nombre d’offres ou d’obligations les poussant vers toutes sortes d’activités, de cours, de camps de vacances qui remplissent l’horaire et l’esprit de ceux d’aujourd’hui.

Pour lui, “la nostalgie est un regard sur la temporalité”. Il dit que notre société refuse qu’on vieillisse. Qu’on est impoli face au temps. Avec les progrès de la science, on apprend à être vieux plus longtemps, mais est-ce mieux? On se désarme face à la perte, face au deuil, parce qu’on n’accepte pas de vieillir. Il dit aussi que médias et science jouent sur nos peurs en nous disant, par exemple, qu’il faut muscler son cerveau. “Nos peurs nous ont suivi de la campagne à la ville parce qu’elles n’ont jamais existé que dans nos têtes. Et nous tiendrons pour évident qu’on traine nos têtes avec nous”, lance-t-il, suscitant de grands éclats de rire dans la salle bondée.

Il affirme, dans son style coloré, que les enfants ne sont pas des créatures normales puisqu’après tout, ils font des choses qui nous amèneraient à l’asile aujourd’hui.

Pour lui, le courage est une suspension du jugement, mais il admet qu’il existe un courage différent, celui de l’engagement, qui s’inscrit dans la durée.

“Devenir, c’est long”, dit-il.

L’anthropologue affirme: “ce que nous vivons aujourd’hui sera mesuré plus tard.” Il y a une révolution en cours, celle du numérique, du divertissement. Nous saurons dans trente ou quarante ans ce que ça va donner.

Café littéraire: encore le roman familial

Animé par Pier-Luc Brisson, ce café littéraire avait pour invités les auteurs Patrick Nicol (La nageuse au milieu du lac), Nicolas Lévesque (Le deuil impossible et nécessaire; L’opium et le peuple) et Perrine Leblanc (L’homme blanc; Malabourg).

Perrine Leblanc, pour se donner une liberté d’écriture, a cadré le récit de son dernier livre dans le village imaginé de Malabourg, même si elle a inscrit celui-ci dans une Gaspésie bien réelle. Elle dit se sentir plus libre en tant que romancière quand elle développe une histoire dans des lieux fictifs.

Au sujet de l’enfance, elle cite Nancy Huston: “La catastrophe a lieu dans l’enfance. Le reste, c’est du gâteau.”

Pour Patrick Nicol, l’adulte est un être étrange et le travail de l’écrivain est de relever cette étrangeté. Concernant les lieux d’où l’on vient, il fait la réflexion suivante: certains lieux, Sherbrooke, prend-il en exemple, n’ont pas d’existence imaginaire. Ils sont même absents de toutes les publicités. Quand on nait dans ces lieux, part-on en négatif dans la vie, en ce sens qu’on doit tout écrire en plus de son propre récit?

Il considère que les gens ne s’intéressent pas aux choses dans leur globalité, mais bien à celles qui sont prises une à la fois. C’est pourquoi il s’attarde à plein de petits récits lorsqu’il enseigne. Personnellement, je me dis que ça peut expliquer pourquoi les gens sont plus attirés par l’anecdotique que par la grande histoire.

Nicolas Lévesque, psychanalyste, affirme qu’il faut créer à partir de nos chairs. On peut toujours tourner autour des mêmes points, mais on peut aussi avancer en tournant en rond.

Selon lui, l’être humain est l’animal le plus mauvais pour faire des deuils. Il trafique simplement les choses pour faire croire qu’il est rendu ailleurs.

Il appelle “aire de jeu” l’espace pour jouer avec ses problèmes.

Pour lui, Victor Lévy-Beaulieu est le Québécois qui est à la fois le plus et le moins québécois, car il transite par beaucoup d’autres, par exemple Nietzsche.

Café littéraire: écrire pour les enfants: pourquoi?

Dominic Tardif recevait les auteurs jeunesse Simon Boulerice, Marie-Louise Gay et Hervé Bouchard.

Simon Boulerice affirme d’emblée: “J’ai l’enfance à fleur de peau!”

Pour lui, comme pour Hervé Bouchard, il n’y a rien de plus honnête que quelqu’un qui tombe, car en tombant, on ne peux plus rien cacher, pas même rentrer le ventre. Tous deux, ils ont déjà récupéré des passages écrits pour des adultes afin de les intégrer dans un livre pour enfants. Souvent, affirment-ils, ce sont les passages que les enfants préfèrent. Comme quoi, il ne faut pas les sous-estimer. Hervé Bouchard dit adorer que les enfants ne soient pas encore coincés dans le langage, ils acceptent ainsi aisément des mots inventés, par exemple. Marie-Louise Gay considère que les enfants ont une vie autonome, des émotions autonomes, et en tient compte dans son écriture. Du point de vue des enfants, une histoire peut très bien être cohérente s’il ne s’y trouve pas d’adulte, car ils ont l’habitude de créer des univers entre eux.

Une chose que Hervé Bouchard a dite et que j’ai bien aimée: “J’ai passé la cinquantaine, alors tous mes souvenirs sont faux.”

À méditer.

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