Décidément, j’adore Michel Folco et sa saga historique hilarante. Avec Dieu et nous seuls pouvons (officiellement premier roman d’une série de quatre qui se lisent très bien dans le désordre, à mon humble avis), Folco met en scène la singulière dynastie de bourreaux Pibrac.
L’histoire de Dieu et nous seuls pouvons commence avec Justinien Trouvé, un enfant trouvé (le nom le dit) avec le nez arraché. Le poupon est confié à une nourrice qui, avec son mari, l’élève comme son propre enfant. Tout juste sorti de l’adolescence, après une série d’aventures au cours desquelles il change son nom pour Pibrac, le pauvre se retrouve dans une situation impossible où, pour sauver sa vie, il n’a d’autre choix que de devenir bourreau. Il est donc nommé exécuteur des hautes œuvres, ce qui lui confère un excellent statut social… en même temps que cela le condamne au rejet social. Les villageois, qui adorent assister aux exécutions, n’en détestent pas moins farouchement tout exécuteur, qu’il soit le bras de la justice n’y change rien. C’est ce que les bourreaux nomment le préjugé. Ils vivent donc en marge de la société et ne fréquentent que les familles de bourreaux des environs, trouvant ainsi mari ou femme. Il en va de même pour les valets d’échafaud.
Avec Justinien Pibrac commence une dynastie de bourreaux qui laissera sa marque dans le temps. Dans cette famille, on ne se contente pas d’exécuter, on innove! On s’entraine à s’endurcir au préjugé, à monter et démonter entre autres la guillotine, à répliquer aux villageois… On vit selon la tradition, on améliore la structure des échafauds, on écrit ses mémoires ou des traités de crucifixion… Et sachez-le: rien n’est à l’épreuve d’un Pibrac.
Si le sujet de Dieu et nous seuls pouvons peut sembler lourd, la lecture, elle, est légère. Folco mélange superbement le côté morbide de la profession d’exécuteur des hautes œuvres avec un humour irrévérencieux. Il faut dire que ses personnages n’ont pas la langue dans leur poche ni ne connaissent l’autocensure. De plus, ils ont un don inouï pour se mettre dans des situations impossibles, et ce, livre après livre. Puis Folco exploite largement les traits de l’époque où le manque d’éducation mélangé à l’omniprésence de la religion donnent naissance à toutes sortes de croyances inusitées et de superstitions. Le résultat est franchement réjouissant!
Dieu et nous seuls pouvons en extraits
“— Papa, Saturnin dit que la lune est plus utile que le soleil, c’est vrai? — Qu’est-ce qui te fait dire ça? demanda l’homme au gamin.
— La lune éclaire la nuit, le soleil n’éclaire que le jour, c’est moins dur.” (p. 176)
“Comme il ne pouvait pas marcher, ils le soulevèrent et le portèrent jusqu’à la guillotine où ils le plaquèrent sans ménagements sur une planche qui bascula en avant. Zek raidit sa nuque, arqua son dos. Le couperet chuta, sa tête tomba dans le baquet de bronze aux armes des Pibrac.
— Tu vois, Casimir, ça ne nous les rendra pas pour autant, mais au moins, ça soulage un peu.
Zek fut enfoui dans le parc en guise d’engrais au pied d’un jeune chêne.
— Comme ça, une fois dans sa vie, il se rendra utile, dit Hyppolite en épitaphe.” (p. 191-192)
FOLCO, Michel. Dieu et nous seuls pouvons, Points Seuil,1991, 309 p.