Silencieuse ces derniers mois me direz-vous? C’est que j’étais prise entre la lectures d’ouvrages théoriques (dans le cadre d’un cours de maitrise), la rédaction d’un article (qui paraitra éventuellement), le boulot et les vacances (parce qu’il faut bien s’amuser un peu). Je n’ai pas écrit de billet pour chacun des titres lus, parce que 1)j’avais déjà à rédiger un résumé pour chacun, et que cela me suffisait à me vider la tête avant de passer au prochain et que 2)j’essayais au départ de limiter ce blogue aux œuvres de fictions. J’ai changé d’idée.
Que dire de plus?
Si je n’élargis pas les horizons de ce blogue, je ne bloguerai plus, et je m’aperçois, à mesure que mes doigts sautillent sur le clavier, que ça m’a un peu manqué.
N’empêche, je vais y aller rondement en me limitant à quelques impressions très générales pour chaque titre.
ARISTOTE. La rhétorique
Pas toujours clair, le bonhomme! On apprécie les notes du traducteur, qui toujours s’assure de nous donner des repères. Il n’en demeure pas moins qu’il est intéressant de se plonger dans cette œuvre si souvent citée et, en bout de ligne, relativement simple. Écrit en partie en réaction aux sophistes et à la dialectique, l’ouvrage se veut, loin du traité de persuasion, une analyse des moyens que le locuteur peut employer pour convaincre, et amène l’interlocuteur à discriminer les bons et mauvais arguments et autres moyens pouvant influencer son jugement.
ARISTOTE. Rhétorique, GF Flammarion, Paris, 2007, 570 p.
BAKHTINE, Mikhaïl. La poétique de Dostoïevski
Aimé cette analyse du style polyphonique chez Dostoïevski, qui aurait été le premier (ou presque), selon Bakhtine, à laisser les voix des personnages prendre place à part égale de celle du narrateur, sinon une plus grande place. Il faut dire qu’à l’époque dominait le narrateur de troisième personne qui, de son point de vue omniscient, se permettait de juger et de commenter autant les actions que les pensées des personnages dont il racontait l’histoire. Bien que le narrateur rapportait les paroles ou les pensées de ceux-ci, c’est bien sa voix à lui, monologique, qui dominait le récit.
J’ai moins aimé le parcours historique sur lequel Bakhtine semble se sentir forcé d’appuyer son analyse. Sa poétique historique, qui met l’accent sur l’écriture carnavalesque, suggère les influences qui pourraient se cacher derrière la poétique de Dostoïevski et, bien que ce soit intéressant, il y a une partie de moi qui ne voit pas le point. J’ai eu l’impression de lire deux essais différents, quoique joliment liés.
BAKHTINE, Mikhaïl. La poétique de Dostoïevski, Seuil, Paris, 1970, 366 p.
BARTHES, Roland. La chambre claire: Note sur la photographie
Je me questionne soudain: pourquoi la minuscule à photographie dans le sous-titre de la couverture alors que, dans le livre, on y met une majuscule chaque fois qu’on parle de l’art et non de l’objet? Enfin…
Un tout petit essai écrit selon le principe du roman policier, affirme Sophie Létourneau dans son article “Roland Barthes enquête: La chambre claire ou la mélancolie policière”. C’est que Barthes cherche à comprendre son intérêt, son sentiment, pour la Photographie, avec un grand P, et invite le lecteur, par cet essai, à suivre la piste des indices qui le mènent à la réponse.
Un tout petit livre, lu à la vitesse de l’éclair avant un rush de rédaction. Se lit donc vite et bien, se comprend facilement.
Pour ceux qui veulent interroger leur sentiment pour la Photo, hors de tout aspect technique.
BARTHES, Roland. La chambre claire: Note sur la photographie, Cahiers du cinéma, Gallimard, Paris, 1980, 192 p.
BOURDIEU, Pierre. Les règles de l’art
Cette lecture m’a fait rire, en un sens, car alors que j’avais dix-neuf ans, j’ai suivi un cours sur la sociologie littéraire dans le cadre de mon baccalauréat en études littéraires, et je n’y ai rien compris. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours été bonne étudiante, mais ce cours, alors là, ça me dépassait complètement. J’en étais restée avec un petit “yeurk Bourdieu” sans meilleure explication. Puis voilà que, cette année, il me fallait lire Les règles de l’art. Et ce qui m’a fait rire, c’est que Ô combien le tout m’a semblé simple, clair et limpide. Je ne sais pas ce que je ne comprenais pas à l’époque. Était-ce Bourdieu et sa théorie du champ littéraire ou était-ce plutôt le mélange des théories abordées dans le cours? Mon opinion: j’étais habituée de l’avoir facile, et probablement que je ne me suis pas suffisamment investie pour surmonter l’obstacle initial.
Enfin, ces 567 pages n’auront pas été trop lourdes, et elles m’auront permis permis de me réconcilier avec l’approche sociologique en littérature qui, semble-t-il, ne fait pas le bonheur de tous les littéraires. Qu’importe, de mon côté, je crois qu’il y a du vrai dans chaque approche, qu’elle en contredise une autre ou non. Ce que j’ai aimé du livre de Bourdieu, c’est le survol qu’il offre du milieu littéraire de l’époque, de sa dynamique, de son fonctionnement. Qu’on le veuille ou non, la littérature est un phénomène de société, et l’acte d’écrire, bien que très personnel, s’inscrit (à des degrés variables, selon moi) dans un contexte social (on vise un public ou on réagit à une philosophie, et, qu’on soit membre d’une société ou ermite, que nos personnages le soient ou non, le reflet de notre société et de notre culture demeure; l’édition d’un livre est en soi une empreinte sociale).
BOURDIEU, Pierre. Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, Paris, 1998, 567 p.
PS: En écrivant la référence bibliographique, je viens de m’apercevoir que je n’avais à lire que 288 des 567 pages que j’ai lues… Eh bien… *rire*
BUTLER, Judith. Trouble dans le genre: Le féminisme et la subversion de l’identité
Comment décrire cet incontournable essai des études féministes? Dense. Opaque, parfois. Une lecture qui demande beaucoup de concentration, mais qui s’éclaire par moments pour devenir limpide. Bref, le livre n’est pas facile d’accès, mais l’auteure s’en défend dès les premières pages, disant qu’on lui a souvent reproché son style hermétique, mais qu’elle se refuse de vulgariser ou de simplifier pour celui qui ne ferait pas l’effort d’une lecture aride pour une fois dans sa vie. Notons que je reformule très librement.
Dans cet essai, Butler revoit en les mettant à l’épreuve, en les critiquant, les théories féministes ou de la sexualité en général (Foucault, Freud, Irigaray, Kristeva, Witting, Lacan, Lévy-Strauss) afin de prouver que le genre est une construction sociale et que le sexe ne fait pas nécessairement le genre. Elle veut ainsi bousculer dans les esprits l’hétérosexualité normative.
J’ai eu une relation amour-haine avec ce livre, intéressant et haïssable à la fois. J’ai eu l’impression, par moments, à la lecture de certaines théories psychanalytiques (je n’ai rien contre la psychanalyse), d’être plongée au cœur d’un univers fantastique tellement je les trouvais poussées et sans queue ni tête, alors que d’autres m’ont semblé se tenir. Mais n’était-ce pas aussi le but de l’auteure, d’en montrer les failles et les points forts?
BUTLER, Judith. Trouble dans le genre: Le féminisme et la subversion de l’identité, La Découverte, Paris, 2006, 283 p.
FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité I: La volonté de savoir
On croit, selon le titre, qu’on sera plongé au cœur de l’histoire du sexe selon la formule classique du récit chronologique, mais on est plutôt entrainé vers ses racines: plus que de sexualité en tant que telle, l’auteur traite de l’espèce de “guerre” de pouvoir qui la sous-tend et de l’opposition entre censure (ou plutôt répression) et volonté de savoir.
Intéressant sans être un coup de cœur, mais une base éclairante pour d’autres lectures puisque de nombreux auteurs citent Foucault.
FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité 1: La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, 211 p.
FREUD, Sigmund. L’homme Moïse et la religion monothéiste
Définitivement un coup de cœur. Les trucs sur la religion me charment rarement; au contraire, ils m’exaspèrent assez facilement. Mais cet ultime et humble essai du père de la psychanalyse a pour moi ce grand intérêt: la transparence de la démarche. Plus qu’un essai sur les origines de la religion juive, c’est un texte sur l’essai en soi, sur le processus de recherche et ses failles, qui est mis en lumière au fil des pages.
Freud, à tâtons, avance au fil de ses hypothèses, conscient du peu de valeur empirique de ce qu’il propose, nommant le embûches et les défis qu’il rencontre. Intéressant dans son sujet (bien que Marcel Gauchet, dans Le désenchantement du monde, s’oppose à certains théoriciens sur lesquels s’appuie Freud). Intéressant, plus encore, pour son processus de recherche et d’écriture mis à nu.
Il parle, entre autres, de l’origine des mythes, notamment de celui de l’exposition, dont la raison d’être est la glorification des héros. Fait intéressant, avec son essai, non seulement questionne-t-il le mythe derrière Moïse, mais, d’une certaine façon, en invente-t-il une nouvelle version dans laquelle Moïse était au départ un Égyptien…
FREUD, Sigmund. L’homme Moïse et la religion monothéiste, Folio Gallimard, Paris, 1986, 256 p.
GAUCHET, Marcel. Le désenchantement du monde
J’ai détesté. Rien à faire, cette “histoire politique de la religion” de 457 pages a été une torture. Je reconnais son intérêt, je suis d’accord avec le fait que notre société actuelle, bien que laïcisée, conserve dans sa manière de penser les structures du religieux. J’ai trouvé intéressant la mise en lumière des structures immanentes et transcendantes des religions primitives et actuelles. Mais j’ai trouvé que le tout était hermétique et verbeux en plus de se perdre en longueurs. Terminer ce volume a été un victorieux soulagement dans ce marathon de lecture.
Je sais que d’autres ont adoré. Tant mieux.
GAUCHET, Marcel. Le désenchantement du monde, Folio Gallimard, Paris, 1985, 457 p.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine. L’implicite
Je me suis toujours passionnée pour les faits linguistiques, et les deux chapitres lus dans ce livre ayant beau constituer une lecture complexe, ils étaient fascinants. Le chapitre 2, “Les différents types de contenus implicites”, explique comment s’articulent à l’intérieur des nos discours, et souvent d’une même phrase, les énoncés explicites et implicites. On y apprend sur quoi s’appuie le non-dit pour être compris. À vrai dire, l’auteure part de l’hypothèse que le non-dit est dit, d’une certaine façon, et elle tente de comprendre de quelle façon il se construit.
Le chapitre 4, “Les compétences des sujets parlants”, traite des aptitudes permettant au locuteur d’être fonctionnel en situation de communication. Il présente quelques règles et lois régissant la conversation, la rendant possible ou positive pour chaque personne impliquée.
Les structures et les articulations du langage m’ont toujours fascinée. J’y réfléchis d’une façon toute nouvelle depuis un an, puisque j’étudie la mise en scène de personnages sourds, en littérature comme au cinéma. Comme leur langue n’a pas le même support que la nôtre, leur intégration au récit exige de l’auteur ou du réalisateur l’emploi de méthodes différentes. Le tout m’amène maintenant à me questionner sur l’emploi de l’implicite dans les langues de signes, connues , pour ce que j’en sais, pour être très explicites.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine. “Les différents types de contenus implicites” et “Les compétences des sujets parlants”, L’implicite, Armand Colin, Paris, 1986, 404 p.
NIETZSCHE, Friedrich. Ainsi parlait Zarathoustra
Ah, Zarathoustra… Il en dit des choses, ce Zarathoustra… On peut l’aimer ou le détester, je crois que tout dépend de l’interprétation qu’on en fait. Il m’a semblé philosopher en se prenant pour le nombril du monde, être suprême, misogyne, qui refuse Dieu parce qu’il ne veut rien au-dessus de lui.
Être le surhomme, et enseigner à le devenir, voilà la mission qu’il s’est fixée. Elle peut être noble, et considérée du point de vue du dépassement de soi, de la protection de la planète et des belles valeurs. Mais il tient parfois de ces discours…
Je ne savais pas trop comment le prendre.
NIETZSCHE, Friedrich. Ainsi parlait Zarathoustra, Folio Gallimard, Paris, 1971, 544 p.
SAID, Edward W. L’orientalisme: L’Orient créé par l’Occident
Ouvrage très intéressant quoique contenant des longueurs. Parfois je me disais “OK, j’ai compris”, mais l’exemple n’en finissait plus d’exemplifier…
Par cet essai, Said cherche à mettre en lumière, mais plus encore à remettre en question, le regard que pose depuis des siècles l’Occidental sur l’Orient, de sa fascination pour cet ailleurs exotique à son sentiment de supériorité devant une culture si différente de la sienne. Said remonte l’histoire des sciences orientales pour en présenter les articulations et les usages, démontre le peu de validité de la démarche qui les sous-tend parfois, et ouvre ainsi l’intéressante question de la subjectivité du regard que l’on porte sur autrui, mais aussi, plus implicitement, sur la valeur des écrits. C’est peut-être parce que la question me taraude chaque fois que je rédige de la théorie en m’appuyant sur des sources que j’y ai vu plus particulièrement cela, mais il me semble tellement facile de fourvoyer autrui (et d’être fourvoyé) parce qu’on a “fait parler les sources”, des sources que, disons-le, on interprète toujours, et qui se sont elles-mêmes basées sur des sources qui ont été interprétées…
Enfin, un ouvrage très intéressant, qui ouvre la porte à de nombreuses réflexions.
SAID, Edward W. L’orientalisme: L’Orient créé par l’Occident, Seuil, Paris, 2005, 578 p.
VEYNE, Paul. Comment on écrit l’histoire
Cet essai présente une réflexion sur le travail d’écriture de l’historien, montrant qu’aucun ouvrage historique n’est entièrement fiable (je ne le dis pas dans un mauvais sens) pour la simple raison que les sources sont rarement suffisantes pour qu’on puisse raconter l’histoire dans le menu détail et que tout bon historien doit effectuer un travail de rétrodiction (contraire de prédiction) pour combler les lacunes et livrer un récit qui se tient selon toute vraisemblance – il le fait en se basant sur une culture historique solide. L’histoire est ainsi une pratique, et non une science.
J’ai bien aimé. C’était dense, mais les exemples historiques, en plus d’éclairer la démonstration, m’ont permis d’en apprendre plus sur des faits passés.
VEYNE, Paul. Comment on écrit l’histoire, Seuil, Paris, 1978, 438 p.