Le roman Shining de Stephen King a inspiré à Stanley Kubrick un film culte. Sortie en 1980, l’oeuvre du grand réalisateur en a depuis influencé plusieurs. Au Québec, le film a assurément inspiré à Simon Roy le magnifique Ma vie rouge Kubrick publié en 2014. La même année est aussi paru Igor Grabonstine et le Shining de Mathieu Handfield. Ce dernier livre est une parodie de l’oeuvre de Kubrick, dont l’action est campée dans un tournage fictif qui aurait précédé celui de la version du film que l’on connait.
Ce n’est donc pas Jack Nicholson, mais bien Igor Grabonstine qui se prépare à incarner Jack Torrance sur le plateau de tournage de l’énigmatique Kubrick. L’acteur a peu de qualités humaines si ce n’est un grand amour pour soi. Convaincu d’être irrésistible autant au cinéma qu’auprès des femmes, Grabonstine n’a jamais rien vu confronter sa grande foi en son amour-propre. Lorsque le jeune Danny Lloyd arrive sur le plateau, l’acteur se découvre pour la première fois un rival. Le jeune garçon de six ans qui doit interpréter son fils obtient beaucoup trop d’attention. Quand il découvre que l’enfant a en plus un don, Grabonstine commence tout de suite à échafauder un plan pour paralyser la compétition.
Igor Grabonstine et le Shining ne fait pas dans la subtilité (ni la dentelle). La parodie est dessinée à gros traits caricaturaux dans un style qui a malgré tout de quoi amuser. Les comparaisons et métaphores sont truculentes, quoique souvent complètement tirées par les cheveux. Et c’est précisément ce qui amuse.
Derrière l’amoncellement agité des admirateurs de Lloyd, Cassinger resplendissait tel un phare surplombant une mer houleuse et menaçante. Grabonstine se fixa à elle, bouée dans la nuit obscure de sa colère, et lui susurra quelques paroles tendres qui se perdirent dans le vacarme de la vague abrutissante des compliments qui se heurtaient au récif qu’était le jeune Lloyd. Et Grabonstine eut une pensée pour cette pensée qu’il venait d’avoir et se félicita d’avoir un esprit aussi enclin à la poésie. » (p. 35-36)
Les lecteurs qui apprécieront le plus le roman sont ceux qui ont vu le Shining de Kubrick et qui connaissent un peu son histoire (Wikipedia peut s’en charger). L’auteur s’amuse à détourner des éléments clés du film et des anecdotes du tournage, et ces points de repères culturels sont, à mon avis, ce qui donne au livre son intérêt. Sans eux, on s’amuserait certes des figures de style rocambolesques, mais on se prendrait aussi les pieds dans les mauvaises blagues de lesbiennes et quelques facilités qui, ici, peuvent être oubliées au profit des liens faits avec le film de 1980. On retrouve dans Igor Grabonstine et le Shining un Stephen King ivre de frustration envers ce film qui modifie l’histoire de son roman. On rencontre des références à l’obstination maladive de Kubrick qui a tourné les scènes un nombre incalculable de fois afin d’atteindre la perfection. Le mauvais jeu de Shelley Duvall n’est pas non plus épargné puisqu’il est question à diverses reprises de sa technique plutôt théâtrale.
— […] En fait, il s’agit de deux hôtels différents.
— Je ne suis pas certaine de bien comprendre…
— C’est que Kubrick avait envie d’utiliser la façade extérieure du Timberline Lodge, mais la décoration intérieure de l’hôtel Ahwahnee, situé dans la vallée de Yosemite en Californie, alors il a simplement décidé de démanteler le deuxième, de vider le premier et de reconstruire son hôtel idéal avec les meilleurs morceaux des deux, le tout en prétendant être au Colorado! (p. 26-27)
Enfin, Igor Grabonstine et le Shining est un livre qui amuse sans offrir de réflexion sur les thèmes qu’il aborde. Il rebondit plutôt dessus pour lancer ses situations loufoques. Il m’a donné l’impression d’un exercice de style et de narration, deux aspects bien réussis. Il se lit avec facilité et nous arrache de nombreux sourires. Il ne faut cependant pas s’attendre à plus.
Igor Grabonstine et le Shining en extraits
« Deborah s’était penchée pour parler au jeune homme tandis que Grabonstine, profitant d’un point de vue avantageux, s’adonnait à de lubriques rêveries dans lesquelles Danny était remplacé par un robuste baril de bois brut sur lequel il ferait bon s’appuyer. » (p. 28)
« Entendant cette phrase pour la quarante-septième fois depuis le début de l’après-midi, Grabonstine ne put retenir un soupir d’agacement de quatre-vingts décibels qui fit instantanément sécher les lentilles cornéennes de la pauvre jeune fille qui lui apportait une barre granola, tandis que Leon Vitali, portant un pantalon beaucoup trop ajusté, s’avançait vers Grabonstine qui, d’un habite mouvement oculaire, évita de lui fixer le paquet.
— Kubrick est très content. On va recommencer.
— S’il est si content, pesta Grabonstine à travers sa bouchée de granola, pourquoi ne passe-t-on pas à la suivante? » (p. 33)
HANDFIELD, Mathieu. Igor Grabonstine et le Shining, Les éditions de Ta Mère, 2014, 165 p.