J’ai passé un bon moment à me demander ce qu’il en était de cette petite fille et des fameuses allumettes, mais… ouf! On ne m’avait jamais parlé de La petite fille qui aimait trop les allumettes, si ce n’était pour me dire que c’est un classique incontournable de la littérature québécoise, et je l’ai abordé en ayant en tête une vague attente d’histoire triste et charmante (je crois que mon cerveau l’avait associé à La petite filles aux allumettes)… sauf que c’est l’horreur qui se déchaine dès les premières lignes. L’horreur dans un souffle, décrite avec la naïveté du quotidien par qui tient la narration. La petite fille qui aimait trop les allumettes compte 179 pages et surprend plus d’une fois, heurte, choque, indigne… et intrigue. Définitivement mené de main de maitre, il vaut la peine d’être lu jusqu’au bout.
Je ne peux rien dire de plus de peur de trop dévoiler. Je me contenterai donc de citer les premières lignes du texte, qui permettent de se faire une bonne idée du style.
“Nous avons dû prendre l’univers en main mon frère et moi car un matin peu avant l’aurore papa rendit l’âme sans crier gare. Sa dépouille crispée dans une douleur dont il ne restait plus que l’écorce, ses décrets si subitement tombés en poussière, tout ça gisait dans la chambre de l’étage d’où papa nous commandait tout, la veille encore. Il nous fallait des ordres pour ne pas nous affaisser en morceaux, mon frère et moi, c’était notre mortier. Sans papa nous ne savions rien faire. À peine pouvions-nous par nous-même hésiter, exister, avoir peur, souffrir.
Enfin, si La petite fille qui aimait trop les allumettes charme, ce n’est décidément pas selon la définition habituelle. Et, à travers l’horreur, quelques très belles phrases…
La petite fille qui aimait trop les allumettes en extraits
“L’inspecteur des mines avec son pouce et son index se frotta les paupières comme s’il avait mal au bourrichon. Il allongea ensuite ses jambes en dessous et se mit à réfléchir durant une longue minute de silence, les mains croisées derrière l’occiput, vrai comme je vous parle. Ses yeux étaient comme ceux des chouettes, vastes, avec de la lumière debout à l’intérieur. Il dit alors en se penchant vers moi, avec la voix que l’on a dans certains rêves, quand on parle à quelque chose qui n’existe pas […]” (p. 80)
“Un frémissement de linge blanc traverse la splendeur du ciel d’automne, flottant au-dessus de la rivière, on dirait un cerf-volant qui serait grand comme une église, les oies blanches.” (p. 179)
SOUCY, Gaétan. La petite fille qui aimait trop les allumettes, Boréal, 2000