Le comte de Monte-Cristo compte près de 2000 pages… Je me demande comment on doit se sentir au moment où on met le point final à une histoire d’une telle longueur. Le sentiment d’accomplissement doit être assez puissant…
Ceci dit, Alexandre Dumas père est connu pour avoir été extrêmement prolifique (plus de 150 titres), exploit qu’il a pu réaliser uniquement grâce à l’emploi de nègres littéraires, dont Auguste Maquet. Qui précisément a mis le point final à ces 2000 pages? Mystère… mais qu’importe!
Edmond Dantès a 19 ans quand il revient à Marseille après des mois passés en mer sur le Pharaon, le navire marchand de son employeur. Ce dernier, Morel, est un homme juste et bon et compte le nommer bientôt capitaine. L’avenir d’Edmond semble donc assuré quand il rentre chez son père et retrouve Mercédès, sa fiancée. Ce qu’il ignore, c’est qu’il a deux dangereux compétiteurs: Danglars souhaite le poste de capitaine et ne tolèrera pas qu’un jeunot le lui prenne; Fernand, amoureux de Mercédès, même éconduit, refuse de renoncer à son amour. Ainsi, une lourde accusation de bonapartisme tombera sur le jeune homme juste avant son mariage et il se retrouvera emprisonné au château d’If, forteresse gardée par la mer, pendant quatorze longues années. Quand finalement il s’échappe, c’est pour accomplir sa vengeance et veiller secrètement sur ceux qu’il juge innocents.
Je connaissais en partie l’histoire du Comte de Monte-Cristo pour en avoir entendu parler ou pour l’avoir entrevue dans des films. Ceci dit, les images que j’en conservais n’étaient que vagues et je m’attendais à un récit de cape et d’épée (il me faudrait revoir les films…). Or, le seul duel mis en scène dans le livre doit être livré avec des pistolets et n’a finalement jamais lieu. La vengeance de Dantès, alias Monte-Cristo, est beaucoup plus sournoise et s’étend sur plusieurs niveaux. C’est, au final, un roman psychologique plus que d’aventures. Comme quoi, même un classique largement médiatisé peut nous surprendre!
Le comte de Monte-Cristo est un roman bon enfant. Ses 2000 pages se lisent aisément. Le style en est souple et empreint d’humour. L’auteur dépeint la société aristocratique de l’époque d’un ton plein d’ironie. Il en apprécie les travers (ou du moins leur intérêt littéraire) et ne se gêne pas pour les exposer.
“Ce rapprochement philosophique, pensa-t-il, fera grand effet à mon retour dans le salon de M. de Saint-Méran; et il arrangea d’avance dans son esprit, et pendant que Dantès attendait de nouvelles questions, les mots antithétiques à l’aide desquels les orateurs construisent ces phrases ambitieuses d’applaudissements qui parfois font croire à une véritable éloquence.” (Tome 1, p. 90-91)
“En effet, si les deux femmes y eussent été seules, on eût, certes, trouvé cela fort mauvais; tandis que Mlle Danglars allant à l’Opéra avec sa mère et l’amant de sa mère il n’y avait rien à dire: il faut bien prendre le monde comme il est fait.” (Tome 1, p. 920)
“Hélas! il n’en avait rien été: les charmantes comtesses génoises, florentines et napolitaines s’en étaient tenues, non pas à leurs maris, mais à leurs amants, et Albert avait acquis cette cruelle conviction, que les Italiennes ont du moins sur les Françaises l’avantage d’être fidèles à leur infidélité.” (Tome 1, p. 564)
Pendant toute la première partie du Comte de Monte-Cristo, du début de l’histoire jusqu’au moment où, évadé, Dantès découvre son trésor, la narration, bien qu’omnisciente, reste centrée sur lui la majeure partie du temps. Le monde tourne autour de lui. La deuxième partie de l’histoire se distingue par un changement d’angle. Dantès change de nom, mais ce fait n’est pas mentionné au lecteur. Dantès renommé est plutôt présenté comme un nouveau personnage, comme si la narration prenait ses distances vis-à-vis de lui. Surtout, ce changement d’angle marque une modification dans la personnalité du personnage qui, ayant toujours été un jeune homme au cœur simple, devient alors un homme désillusionné prêt à punir ceux qui lui ont causé du tort. Il a fermé son coeur. Comme Dieu, il veut froidement assouvir sa vengeance.
Enfin, il y a dans Le comte de Monte-Cristo quelques facilités qui ne passeraient pas si bien aujourd’hui: certains éléments, passés sous ellipses, mériteraient d’être expliqués davantage; d’autres sont basés sur les connaissances de l’époque et peuvent sembler un peu naïfs de nos jours. Mais le roman a été achevé en 1844, il doit être lu avec les yeux de son temps…
En bref, Le comte de Monte-Cristo est un roman parfaitement divertissant au style fluide et agréable. Sa longueur n’est pas signe de lourdeur. S’il était publié aujourd’hui, ce livre appartiendrait sans doute à la catégorie de la littérature dite populaire: amusante et efficace.
Le comte de Monte-Cristo en extraits
“Danglars, seul, n’était ni tourmenté ni inquiet; Danglars était même joyeux, car il s’était vengé d’un ennemi et avait assuré, à bord du Pharaon, sa place qu’il craignait de perdre; Danglars était un de ces hommes de calcul qui naissent avec une plume derrière l’oreille et un encrier à la place du coeur; tout était pour lui dans ce monde soustraction ou multiplication, et un chiffre lui paraissait bien plus précieux qu’un homme, quand ce chiffre pouvait augmenter le total que cet homme pouvait diminuer.
Danglars s’était donc couché à son heure ordinaire et dormait tranquillement.” (Tome 1, p. 127)
“Il avait alors trente-trois ans, comme nous l’avons dit, et ces quatorze années de prison avaient pour ainsi dire apporté un grand changement moral dans sa figure.
Dantès était entré au château d’If avec ce visage rond, riant et épanoui du jeune homme heureux, à qui les premiers pas dans la vie ont été faciles, et qui compte sur l’avenir comme sur une déduction naturelle du passé: tout cela était bien changé.
Sa figure ovale s’était allongée, sa bouche rieuse avait pris ces lignes fermes et arrêtées qui indiquent la résolution; ses sourcils s’étaient arqués sous une ride unique, pensive; ses yeux s’étaient empreints d’une profonde tristesse, du fond de laquelle jaillissaient de temps en temps de sombres éclairs, de la misanthropie et de la haine; son teint, éloigné si longtemps de la lumière du jour et des rayons du soleil, avait pris cette couleur mate qui fait, quand leur visage est encadré dans des cheveux noirs, la beauté aristocratique des hommes du Nord; cette science profonde qu’il avait acquise avait, en outre, reflété sur tout son visage une auréole d’intelligente sécurité; en outre, il avait, quoique naturellement d’une taille assez haute, acquis cette vigueur trapue d’un corps toujours concentrant ses forces en lui.
À l’élégance des formes nerveuses et grêles avait succédé la solidité des formes arrondies et musculeuses. Quant à sa voix, les prières, les sanglots et les imprécations l’avaient changée, tantôt en un timbre d’une douceur étrange, tantôt en une accentuation rude et presque rauque.
En outre, sans cesse dans un demi-jour, et dans l’obscurité, ses yeux avaient acquis cette singulière faculté de distinguer les objets pendant la nuit, comme font ceux de l’hyène et du loup.
Edmond sourit en se voyant: il était impossible que son meilleur ami, si toutefois il lui restait un ami, le reconnût; il ne se reconnaissait même pas lui-même.” (Tome 1, p. 323-324)
“Un capitaliste chagrin est comme les comètes, il présage toujours quelque grand malheur au monde.” (Tome 2, p. 150)
Le comte de Monte-Cristo au cinéma
Plusieurs adaptations ont été tirée du Comte de Monte-Cristo. Celle que j’ai présentée aux élèves (vif succès) a été réalisée par Kevin Reynolds en 2002. Elle met en scène Jim Caviezel. En voici la bande-annonce.
DUMAS (père), Alexandre. Le comte de Monte-Cristo, Archi poche, coll.: « La bibliothèque du collectionneur », Paris, 2012