Je me rappelais avoir lu une critique de ce livre/film dans Le Devoir il y a un moment déjà. J’avais retenu le titre, Le jour des corneilles de Jean-François Beauchemin, considérant que c’était une œuvre à découvrir. Et c’est pendant le temps des fêtes que j’ai procédé à cette découverte.
Le jour des corneilles raconte l’histoire du père et du fils Courge. C’est ce dernier qui occupe la place de narrateur, faisant le récit de sa vie de sa naissance jusqu’à ce jour où il s’adresse à un tribunal. Depuis sa venue au monde, il n’a eu pour seul compagnon que son père, un homme dur avec lequel il vit dans la forêt, loin de leurs semblables. Sa mère est morte en lui donnant naissance et son père ne s’en est jamais remis. Peu équilibré, victime de voix à intervalles réguliers, il torture son fils de différentes façons. Ce dernier ne souhaiterait pourtant savoir qu’une chose: son père, à sa manière plutôt brutale, éprouve-t-il de l’amour pour lui? Une quête de réponse qui mènera le narrateur très loin.
Écrit sous forme de conte, dans une langue toute particulière illustrant le jargon de deux hommes sans éducation vivant reclus loin du monde, Le jour des corneilles est un récit à la fois touchant et cruel.
Le jour des corneilles n’a pas été sans me rappeler La petite fille qui aimait trop les allumettes: conte sombre, touchant et violent écrit dans une langue là aussi en partie inventée par son narrateur. Cependant, contrairement au livre de Gaétan Soucy qui est ancré dans une réalité brutale, Le jour des corneilles se rapproche encore plus du conte en raison, par exemple, de la seconde dimension qu’apporte le don qu’a le narrateur de voir les trépassés. Puis on y retrouve une morale, ou du moins un message. C’est peut-être le seul élément qui m’a agacée, le sentiment qu’on voulait m’instruire de quelque chose, ou encore que le livre cherchait à faire beau (par le message).
Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que Le jour des corneilles puisse laisser indifférent. Que son style singulier nous plaise ou non, qu’on le trouve brutal ou touchant, ce conte me semble avoir au moins le pouvoir de toucher l’imaginaire.
Le jour des corneilles en extraits
“Père était fort charnu. Par tous horizons, on n’avait jamais vu bourgeois aussi muscleux. Mais ce qui me laissait le plus étonné était surtout la puissance et le nerf séjournant en ses chairs. Pour exemple, je dépeindrai premièrement un ouvrage des plus curieux que père accomplit une fois. Par jour de grandes gelures, je le vis se fabriquer mitaines de cette manière: fourrant le bras en une tanière, il grippa coup sur coup une paire de marmottes ventrues et enroupillées. Les assommant par suite du marteau de son poing, il entreprit bientôt de les fendre, puis de les évider. Une fois ce videment accompli à l’aide de ses seuls doigts, père se para les mains des dépouilles, et poursuivit son cours, les paumes bien au chaud maintenant.” (p. 15)
Le jour des corneilles au cinéma
Jean-Christophe Dessaints en a fait en 2012 un film d’animation, que je n’ai pas vu, sinon la bande annonce. Je me demande vraiment à quoi peut bien ressembler le résultat final compte tenu de la lourdeur du propos, malgré l’étincelle d’espoir qui, dans le livre, veille toujours. Selon ce que j’ai pu voir, l’adaptation semble en avoir été plutôt libre (le personnage de Manon semble par exemple occuper plus de place et le père est appelé un ogre). Je serais curieuse de la découvrir.
BEAUCHEMIN, Jean-François. Le jour des corneilles, Québec Amérique, Montréal, 2013, 199 p.