Qui n’aimerait pas vivre 300 ans? Traverser les époques, connaitre les grands de ce monde… C’est la chance qu’a eue Tristan, poirier tricentenaire. Toutefois sa vie touche à son terme, car les vents violents du matin l’ont renversé, et les dégâts sont irréparables. Tristan se prépare à mourir et sa conscience végétale le ramène aux personnes qui l’entourent comme à ses souvenirs… Ainsi commence Le journal intime d’un arbre de Didier Van Cauwelaert.
Tristan raconte son univers, et à travers lui nous découvrons des personnages: son propriétaire, dont le fils a été exécuté devant Tristan (la balle et restée logée dans son écorce); Yannis, qui travaillait à faire classer Tristan au nombre des arbres remarquables de France; Manon, la petit voisine autiste…
J’ai acheté Le journal intime d’un arbre en me demandant si je faisais bien. C’est que j’avais un peu peur de m’y ennuyer, d’être déçue… après tout, comment faire une histoire narrée par un arbre dont la mort nous est annoncée dès la première ligne? J’ai eu ma réponse: en utilisant cet arbre comme témoin, témoin de diverses époques, témoin de la vie de personnages… et en le rendant mobile. Parce qu’après sa mort, le bois de Tristan est utilisé par la petite Manon pour faire une sculpture, sculpture que continue à habiter la conscience de l’arbre qui ne parvient pas à mourir complètement.
Conclusion? Je n’ai pas été déçue. J’ai aimé ce court roman narré par un arbre dans lequel on m’apprend toute sorte de choses, sur des gens, des époques et, surtout, sur les arbres…
Bien évidemment, il y a beaucoup d’anthropomorphisme dans Le journal intime d’un arbre. On prête à l’arbre de nombreuses caractéristiques humaines. Ça peut agacer, mais c’est ce qui nous permet de nous y attacher. D’un autre côté,Didier Van Cauwelaert s’est employé à montrer le plus possible les choses selon le point de vue d’un poirier. Par exemple, lorsqu’il décrit le personnage de Yannis, il le fait le plus possible selon la perspective d’un arbre:
“J’aime bien Yannis Karras. C’est un jeune homme heureux, qui plaît et qui se passionne, aussi généreux qu’égoïste. Un des rares humains à être bien dans sa peau, avec ses épaules taillées en haies de thuyas, ses longs cheveux châtains retombant en cascade comme la vigne vierge qui descelle les tuiles du garage, ses yeux pareils aux lilas bleus qui démantèlent les murs autour de la chaumière. J’adorais ses vibrations légères, son attitude envers moi. Il est avec les arbres comme il est avec les femmes: infidèle et constant. Il nous aime tous, il nous admire, nous collectionne, nous raconte à ses amis et nous comprend de travers, mais ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est ce qu’il apporte.” (p. 30)
Le journal intime d’un arbre est aussi bien documenté, sur différents sujets, dont les arbres, bien entendu. J’ai pu me questionner à quelques reprises au cours de ma lecture, mais la note de l’auteur à la toute fin a levé le voile sur mes doutes:
“Un mot encore sur Jean-Marie Pelt. Durant plus de vingt ans, les travaux et l’amitié de ce grand botaniste ont préparé mon voyage dans la conscience de l’arbre. C’est lui qui m’a signalé les deux découvertes capitales que je prête à son confrère fictif Clarence Hatcliff: celle des hormones au moyen desquelles certains végétaux stérilisent les insectes prédateurs, et la présence dans leur pollen de progestérone et d’œstrone à un dosage qui n’est pas sans rappeler le principe de notre pilule contraceptive. Inexpliquée et donc passée sous silence, cette initiative de la nature est donc bien réelle.” (p. 184)
Enfin, Le journal intime d’un arbre est clairement un hommage rendu aux arbres. L’auteur y démontre tout le respect qu’il leur porte et invite la Terre entière à faire de même.
Le journal intime d’un arbre en extraits
“Entre un champignon ou une fourmi avec qui je communique et un humain qui se raconte des histoires, mon choix est clair. J’ai toujours privilégié la fiction à l’information pure. Question d’urgence: végétaux et animaux ne perdent jamais ce qui est gravé dans leurs gènes, tandis que les humains ont tendance à devenir des machines qui pensent mais n’imaginent plus. Les quelques individus qui ont su me faire rêver durant ma vie, je leur dois ma longévité, Parce que l’intelligence, la poésie, l’humour sont des nutriments aussi nécessaires pour moi que les protéines du sol. Vos mauvaises ondes m’affaiblissent, vos bonnes vibrations me renforcent. Un arbre ne cherche pas que la lumière. Du moins, il la cherche partout.” (p. 40)
“Il existe en Australie une variété d’orchidée dont les fleurs n’intéressent aucun insecte. Alors, pour être tout de même fécondée, elle a mis au point un stratagème. Elle a donné à ses organes reproducteurs la forme d’une guêpe femelle, et en plus elle imite son odeur. Le mâle se précipite sur la fleur, croyant qu’il a un rendez-vous galant, et se démène pour essayer de copuler. Il repart bredouille, mais couvert malgré lui d’un pollen qui, à son insu, ira féconder d’autres fausses guêpes.” (p. 67)
VAN CAUWELAERT, Didier. Le journal intime d’un arbre, Le livre de poche, 2013, 192 p.