Avec Le porto d’un gars de l’Ontario, Patrice Gilbert signe son premier roman. Celui-ci met en scène le personnage de Gratien Beauséjour, né en 1940. Issu d’une famille de classe moyenne de Saint-Michel-des-Saints, le jeune Gratien décide, dès l’âge de 15 ans, de briser la chaine des traditions familiales pour prendre en main son destin. D’abord campée dans l’époque de Maurice Duplessis, dans la maison familiale puis dans la réalité des camps de bucherons, l’histoire se déplace vers les mines de l’Abitibi et de l’Ontario à mesure que s’installent la Révolution tranquille et les aspirations de Gratien Beauséjour.
Le porto d’un gars de l’Ontario appartient au genre historique dans le sens où l’histoire est intimement campée dans l’époque qu’elle décrit. En effet, sans revendiquer une appartenance à ce genre, le livre présente de nombreux éléments qui permettent de l’y associer. Le contexte social et politique est par exemple toujours mis de l’avant pour justifier les actions ou les réflexions des personnages. Que la mère de Gratien songe à Maurice Duplessis pour renforcer sa propre vision traditionnelle de la famille ou qu’un Canadien anglais demande à Gratien la différence entre le français québécois et le français, l’époque, et ce en quoi elle traverse les personnages, est toujours bien présente et bien sentie. Par ailleurs, l’exploitation des mines d’or abitibiennes et ontariennes, ainsi que le débat quant à la sécurité et aux conditions des travailleurs, ouvre un autre pan de l’histoire. Y sont décrites tout autant les opinions des gens de l’extérieur et de l’intérieur sur ces exploitations minières que la montée des syndicats et certains stéréotypes concernant les patrons anglais et les travailleurs French Canadians.
Plus que roman historique, Le porto d’un gars de l’Ontario est d’abord et avant tout un roman d’initiation. Il décrit le parcours de Gratien Beauséjour à partir du jour de sa naissance et montre comment chaque épreuve que le personnage rencontre lui permet de grandir et de se réaliser. La force de l’ouvrage réside d’ailleurs dans la capacité de l’auteur à construire les mythes fondateurs de la vie de Gratien et à les exploiter tout au long de l’histoire pour lui donner du sens. À neuf ans, le jeune Gratien prend part à une course familiale afin d’impressionner son père et de lui prouver qu’il n’est pas « un grand flanc mou ». Le garçon mène sa course jusqu’au bout et reçoit enfin un peu de reconnaissance de ce père qui, quand il prend un verre de trop, fait plus de reproches que de compliments. « Cours, mon Gratien, cours », se répète-t-il encore des années plus tard, chaque fois qu’un évènement le force à se dépasser pour parvenir à ses fins. Car cette course représente le moment où, pour la première fois, Gratien a découvert qu’il avait assez de force en lui pour atteindre ses objectifs. Plus tard, un incident au camp de bucherons et un décès dans la famille viendront s’ajouter à la liste des évènements fondateurs qui forgeront l’identité et la pensée de Gratien.
La narration du Porto d’un gars de l’Ontario a de l’élan. Dynamique, elle emporte le lecteur sans ostentation ni longueurs. L’humour, toujours présent, est bien dosé. Bien qu’il chatouille le personnage d’une douce ironie, il ne s’en moque jamais complètement. Cette petite touche humoristique dans le ton contribue plutôt à renforcer l’humanité et la simplicité du personnage qui, on le devine, pourrait rire de soi de la même façon.
Gratien était effectivement très bien. Il ramassa d’une main le journal qui trônait sur la table déserte voisine et, de l’autre, il prit une gorgée de café. C’était un plaisir pour lui de montrer que, malgré ses airs de campagnard, il savait lire. Il sursauta toutefois quand il vit que le journal était rédigé en symboles et sans doute à l’envers. C’était du japonais pour lui. Vite, il le replaça et en agrippa un où il put lire le titre. La Presse. Personne n’avait noté son échange. Il feuilletait, fier et rêveur, ce journal, vacillant paisiblement de ses pensées à la lecture. (p. 130)
Cette touche humoristique se présente aussi à l’occasion dans le choix des mots, ce qui fait sourire le lecteur attentif.
Il trouva un gîte proportionnel à son budget. Une chambre propre avec un lavabo et une toilette, pour deux dollars par nuit. Il s’offrit une réservation d’une semaine non remboursable, qu’il négocia pour douze dollars et qu’il paya comptant et content. (p. 127)
Baylor l’avait d’ailleurs fait [présenter l’idée] avec force et conviction la veille lors du repas, mais il avait pu constater bien vite que Manchester n’aimait pas du tout l’idée. Lipton, lui, ne dit aucun mot, se contentant de siroter son bouillon de poulet. (p. 342, je souligne)
Le seul petit bémol que j’aimerais soulever concerne la préface et non le roman en tant que tel. Elle ne devrait pas, à mon avis, se trouver dans l’ouvrage. Elle se lit comme un syndrome de l’imposteur, comme si l’auteur s’excusait que sa passion de l’écriture ait mené à un livre. Peut-être qu’en postface, elle aurait mieux passé. À mon sens, toutefois, elle demeure inutile et teinte sans raison valable le jugement du lecteur avant même qu’il n’ait entamé sa lecture.
Quoi qu’il en soit, Le porto d’un gars de l’Ontario est un premier roman réussi. Patrice Gilbert a su faire de l’exploitation minière et de la vie somme toute simple de son personnage une grande aventure en mettant de l’avant la personnalité joviale de Gratien. On lit ce livre comme emporté dans une grande envolée d’enthousiasme.
GILBERT, Patrice. Le porto d’un gars de l’Ontario, Éditions L’Interligne, Ottawa, 2019, 359 p.
Un grand merci pour vos commentaires!
Ça a été un plaisir de vous lire. Félicitations pour votre roman!