Le silence de la mule

Que dire? D’abord, que je n’avais pas envie de lire Le silence de la Mule de Gilbert Bordes. Pas du tout. Ensuite, que malgré que ce soit bourré de clichés, ça se lit tout seul. Je ne sais pas ce qu’il y a là-dedans qui fait qu’en bout de ligne, ça ne nous déplait quand même pas de continuer.

La Mule, c’est une sourde-muette sur qui tout le monde est passé. Elle s’appelle Jeanne. Petite, elle a habité le moulin du Gué, car sa mère y travaillait pour le vieux Paul Rolandier, le propriétaire. Il avait pris l’enfant en affection, et celle-ci le suivait partout comme un petit animal. Quand le moulin a brulé avec l’homme, sa mère a trouvé un nouvel emploi au château de l’Étanchade, chez M. Henri, qui a promis de garder la jeune fille à la mort de la mère. Il l’a gardée, mais il n’a pas veillé sur elle, tout le monde en a abusé.

Quand Antoine, le dernier des Rolandier, le petit-fils de Paul enlevé par sa mère à trois ans, revient, des années plus tard, après la Deuxième Guerre, dans le but de reconstruire le moulin, il va à la rencontre de Jeanne qui, seule, doit savoir où se cache la fortune de son grand-père…

Le silence de la mule Gilbert Bordes Sourd

Il lui apprendra à lire sur les lèvres et à écrire. L’idée est bonne et humanise la sourde, mais la rapidité avec laquelle elle passe du statut d’“animal” (on la définit ainsi dans le texte) à celui de femme n’est pas tout à fait réaliste. Puis, pour avoir fait quelques lectures sur le sujet, je doute qu’elle ait pu devenir si tard si habile. Sacks explique comment les concepts de question ou d’abstraction, par exemple, peuvent échapper à qui n’a pas appris tôt le langage.

Le silence de la mule repose sur des mécanismes simples: clichés, archétypes et stéréotypes. Les émotions sont dites plutôt que suggérées, on prend le lecteur par la main, ce qui enlève de la profondeur aux personnages.

“Louise avait une fille sourde et muette, Jeanne, une petite brune maigrichonne aux grands yeux noirs. La pauvrette vivait dans l’ombre de sa mère, ne la lâchant pas et jetant autour d’elle des regards craintifs. Son silence faisait mal; quand elle ouvrait la bouche, on s’attendait à l’entendre parler, mais il ne sortait que du vent de ses deux lèvres qui ne bougeaient pas comme des lèvres de petite fille. Elle ne riait pas et chacun se demandait ce qui pouvait bien se passer dans cette tête d’enfant à qui Dieu avait refusé la parole.” (p. 14, je souligne)

“Elle état bien faite, mais ce n’était pas sa beauté qui retenait M. Henri, c’était une impression curieuse, comme un détachement de ce qui l’entourait. Ses grands yeux noirs et mystérieux ne s’arrêtaient sur rien, et les mouvements de sa bouche ne semblaient pas faits pour exprimer des mots.” (p. 22, je souligne)

Voilà qui témoigne d’une figure de sourd qui, en plus de ne pas être complètement réaliste, se veut symbole de la victime. Certes, plus l’histoire avance, plus Jeanne s’en sort, ce qui peut être un bel éloge à son humanité, mais le narrateur continue de l’appeler “l’infirme” et à la fin de l’histoire, elle n’est toujours pas reconnue comme une femme à part entière. Compte tenu du style du roman (cliché et archétypé), cette fin m’est apparue comme une morale dérangeante, en plus que Dieu se met de la partie de plus en plus. Il faut le savoir, Dieu m’horripile…

“Elle pouvait ainsi s’échapper de temps en temps pour s’essuyer les yeux et voulait rester à la place que Dieu lui avait dévolue, celle d’une servante.” (p. 268)

Je comprends que l’histoire de Le silence de la mule se passe dans l’après Deuxième Guerre mondiale, mais quand même, le livre est paru en 2001. J’ai du mal ici à faire la distinction auteur, narrateur et personnage: partagent-ils tous une telle pensée discriminante?

Quoi qu’il en soit, Jeanne, personnage sourd, et au cœur de cette histoire et, malgré mes désaccords, je crois que Gilbert Bordes a voulu en faire un personnage fort et démystifier un peu ce qu’est la surdité: le sourd n’a pas à être un animal, il peut apprendre. En ce sens, c’est très positif. Donc, même si je ne crois pas toujours que les pensées de Jeanne soient réalistes, et que la narration mentionne parfois des sons alors qu’elle est focalisée sur Jeanne, je peux dire que le livre était moins pire que je ne le pensais.

BORDES, Gilbert. Le silence de la mule, Pocket, Paris, 2004, 288 p.

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