L’élégance du hérisson

L’élégance du hérisson de Muriel Barbery raconte l’histoire de Renée Michel, concierge au 7, rue de Grenelle, immeuble habité par des familles de riches bourgeois. Renée a un physique ingrat, un petit côté misanthrope, et n’a pas fait d’études. Malgré cela, elle a passé toute sa vie à s’instruire de façon autodidacte, en fréquentant les bibliothèques (elle lit, entre autres, différents ouvrages de philosophie) et en s’intéressant à la musique, à l’art et au cinéma. Sans doute est-elle beaucoup plus instruite que tous ces riches aux hautes études habitant l’immeuble, mais elle le cache bien, se faisant passer pour une concierge légèrement débile depuis 27 ans… Sa plus grande peur est qu’on découvre le secret de son érudition. Mais pourquoi donc?

L’histoire nous est racontée par le biais de deux instances de narration. D’abord, il y a la voix de Renée, personnage central, qui nous transmet les pensées de son quotidien et ses réflexions sur la vie et le monde qui l’entoure. Ensuite, nous découvrons la voix de de Paloma Josse, jeune fille de douze ans, cadette d’une riche famille de l’immeuble. On apprend à connaitre celle-ci par le biais de son journal où elle note ses pensées les plus profondes, journal qu’elle écrit depuis qu’elle a pris la décision de se suicider à la fin de l’année scolaire, le jour de ses treize ans. Paloma est elle aussi hautement intelligente, beaucoup plus que pour son âge, ce qu’elle cache aussi aux autres. Pour avoir la paix.

L’élégance du hérisson Muriel Barbery

 J’ai su que j’aimerais L’élégance du hérisson dès les premières lignes, j’ai douté quelques dizaines de pages plus loin, puis j’ai été séduite. Ce que j’ai le plus aimé? Le petit côté japonais qu’on retrouve dans le roman et les thèmes qui y sont développés. J’ai particulièrement apprécié la façon dont le personnage de Renée raconte les choses, une narration stylisée et empreinte d’humour qui m’a souvent fait sourire.

Dans un livre, il y a toujours des thèmes qui nous parlent plus que d’autres. Dans L’élégance du hérisson, à la page 109, Paloma a une intéressante réflexion sur la vie que mène l’adulte. Elle dit que ce dernier a besoin de se rebâtir chaque matin, pour redevenir lui-même et affronter une autre journée. Puis recommencer le matin suivant après que tout ait été réduit en cendres pendant la nuit. Elle parle de son père qui se lève très tôt chaque matin pour pouvoir profiter d’une demi-heure à lui, à lire les journaux et prendre un café. C’est le moment où il est le plu détendu de toute la journée… C’était presque comme si on m’expliquait pourquoi le moment que je préfère dans la journée est le matin, seule sous la lumière de la lampe dans mon salon, endoudonnée sous une doudoune, à savourer mes trois tasses de thé vert, plongée dans un roman. Le moment de la journée où l’on n’est que soi… où les responsabilités ne nous ont pas encore rattrapés.

Puis juste avant, à la page précédente, un beau passage sur le thé:

“[Le thé] n’est pas un breuvage mineur. Lorsqu’il devient rituel, il constitue le cœur de l’aptitude à voir de la grandeur dans les petites choses. Où se trouve la beauté? Dans les grandes choses qui, comme les autres, sont condamnées à mourir, ou bien les petites qui, sans prétendre à rien, savent incruster dans l’instant une gemme d’infini?
Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d’introduire dans l’absurdité de nos vies une brèche d’harmonie sereine. Oui, l’univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l’insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle dehors, les feuilles d’automne bruissent et s’envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps.” (p. 108)

L’élégance du hérisson est un livre qui questionne l’existence, qui parle de la vie dans toute sa beauté ou sa futilité, qui donne leur place à la culture et aux philosophes. On ne sera pas surpris d’apprendre que Muriel Barbery est enseignante en philosophie…

L’élégance du hérisson au cinéma

Il est toujours très difficile de donner ses impressions sur un film lorsqu’on a d’abord lu le livre dont il est inspiré. On ne sait jamais si on aurait aussi bien compris l’histoire sans avoir préalablement lu le roman ni quelles auraient été nos impressions. Entreprise malaisée donc que d’écrire ce commentaire.

Le film L’élégance du hérisson reprend textuellement des passages du roman, ce qui me fait bien plaisir. Peut-être à cause de cela (ou est-ce une question de jeu?), les personnages me donnent parfois l’impression de déclamer de la poésie. On déclame plus qu’on interprète? D’une façon ou d’une autre, le film reste très beau.

Bien sûr, des changements ont été apportés par rapport au roman pour permettre l’adaptation, et ceux-ci m’ont semblé judicieux. Paloma tient son journal via caméra, ce qui facilite le passage à l’écran, et elle dessine, ce qui la montre en tant qu’enfant talentueuse et enjolive le film. Pour une raison qui me semble nébuleuse, elle est plus jeune dans le film. Pourquoi lui donne-t-on onze ans plutôt que douze? Je ne vois pas.

Le plus gros changement – celui que je questionne – concerne le point de vue. Le film tourne autour de Paloma, elle a une voix grâce à son journal vidéo. De son côté, Renée (Mme Michel) nous est montrée dans son quotidien silencieux et reclus. On ne lui donne une voix que beaucoup plus loin dans le film, ce qui longtemps la place au rang de personnage secondaire alors qu’elle est le personnage central du livre. Je doute que le film permette de comprendre aussi bien que le livre qui est cette femme toute particulière…

L’élégance du hérisson en extraits

“Il faut se donner du mal pour se faire plus bête qu’on n’est. Mais d’une certaine façon, ça m’empêche de périr d’ennui […]” (Paloma, p. 21)

 “[…] personne ne semble avoir songé au fait que si l’existence est absurde, y réussir brillamment n’a pas plus de valeur qu’y échouer. C’est seulement plus confortable. Et encore: je crois que la lucidité rend le succès amer alors que la médiocrité espère toujours quelque chose.” (Paloma, p. 22)

 “Ce qui est spécialement drôle chez les cockers, c’est, lorsqu’ils sont d’humeur badine, la manière chaloupée dont ils progressent; on dirait que, chevillés sous leurs pattes, des petits ressorts les projettent vers le haut – mais en douceur, sans cahot. Cela agite aussi les pattes et les oreilles comme le roulis le bateau, et le cocker, petit navire aimable chevauchant la terre ferme, apporte en ces lieux urbains une touche maritime dont je suis friande.” (Renée, p. 74)

 “J’ai toujours eu grand plaisir à entendre parler ainsi. “Ses urines étaient faiblement hémorragiques” est pour moi une phrase récréative, qui sonne bien à l’oreille et évoque un monde singulier qui délasse de la littérature. C’est pour la même raison que j’aime lire les notices de médicaments, pour le répit né de cette précision dans le terme technique qui donne l’illusion de la rigueur, le frisson de la simplicité et convoque une dimension spatio-temporelle de laquelle sont absents l’effort vers le beau, la souffrance créatrice et l’aspiration sans fin et sans espoir à des horizons sublimes.” (Renée, p. 141-142)

 “Je ne sais pas quel est l’âge de Monsieur le Conseiller, mais jeune, il semblait déjà vieux, ce qui crée la situation que, bien que très vieux, il paraisse encore jeune.” (Renée, p. 145)

 “Moi, j’ai compris très tôt qu’une vie, ça passe en un rien de temps, en regardant les adultes autour de moi, si pressés, si stressés par l’échéance, si avides de maintenant pour ne pas penser à demain… Mais si on redoute le lendemain, c’est parce qu’on ne sait pas construire le présent, on se raconte qu’on le pourra demain et c’est fichu parce que demain finit toujours par devenir aujourd’hui, vous voyez?
[…]
Le futur, ça sert à ça: à construire le présent avec des vrais projets de vivants.” (Paloma, p. 157-158)

 “La fascination pour l’intelligence est quelque chose de fascinant. Pour moi, ce n’est pas une valeur en soi. Des gens intelligents, il y en a des paquets. Il y a beaucoup de débiles mais aussi beaucoup de cerveaux performants. Je vais dire une banalité mais l’intelligence, en soi, ça n’a aucune valeur ni aucun intérêt. Des gens très intelligents ont consacré leur vie à la question du sexe des anges, par exemple. Mais beaucoup d’hommes intelligents ont une sorte de bug: ils prennent l’intelligence pour une fin. Ils ont une seule idée en tête: être intelligent, ce qui est très stupide. Et quand l’intelligence se prend pour le but, elle fonctionne bizarrement: la preuve qu’elle existe ne réside pas dans l’ingéniosité et la simplicité de ce qu’elle produit mais dans l’obscurité de son expression.” (Paloma, p. 205)

“[…] un ado qui joue à l’adulte reste quand même un ado. Imaginer que se défoncer en soirée et coucher va vous bombarder personne à part entière, c’est comme croire qu’un déguisement fait de vous un Indien.” (Paloma, p. 239)

BARBERY, Muriel. L’élégance du hérisson, Folio Gallimard, 2006

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