Un livre plein de petites trouvailles. J’avais adoré Rosa Candida, et L’embellie, quoique en apparence moins resserré, revêt la même douceur. C’est ce qui me plait chez Audur Ava Ólafdóttir, les éléments sont suggérés le plus souvent, et le lecteur découvre l’histoire un tableau à la fois, par bribes.
Mais on ne sait jamais tout de ces belles histoires qui reposent sur des ellipses. Dans L’embellie, moins encore. Ce me semble, peut-être aussi parce qu’un ou deux items m’ont échappé. Ça ne dérange pas la lecture, car le plaisir que procure ce roman réside dans son atmosphère plus que dans son contenu. Pendant que la lectrice vit une vie qu’on imagine plutôt terre à terre, le lecteur flotte et découvre l’Islande par clins d’œil.
L’histoire de L’embellie commence au moment où la narratrice, trente-trois ans, se précipite hors de sa voiture après avoir frappé une oie. À son mari qui lui annonce qu’il la quitte, en arrivant à la maison, elle offre de cuisiner l’oiseau en guise de souper d’adieu. Comment s’assurer qu’on ne devinera pas les traces de pneus, une fois la bête dans l’assiette? Le processus de séparation s’entame assez rapidement – son mari attend un enfant d’une autre femme –, et elle décide de partir en voyage pour se vider la tête. Un petit bonhomme de quatre ans l’accompagnera toutefois; c’est le fils de son amie Audur, qui doit rester alitée jusqu’au terme de sa grossesse – elle attend des jumelles. Mais comment voyage-t-on avec un enfant quand on n’y connait rien, et surtout, quand cet enfant est sourd et souffre d’une mauvaise vue? Comment l’amener sur la route qui nous mène vers soi?
Il y a, à quelques endroits (trois?), des propos sexistes dans L’embellie, même s’il raconte l’histoire d’une femme assez émancipée. Ça m’a surprise, et agacée, surtout quand la narratrice tient elle-même ces propos. Est-ce que ce genre de pensée est encore ancré dans la culture islandaise? Je n’ai pas saisi l’ironie, si ironie il y avait.
“Dès qu’il demandera la parole, je la lui donnerai, car je suis une femme et je sais me taire au bon moment.” (p. 60-61)
Tout au long de L’embellie, il est question de cuisine, parce qu’il faut bien se nourrir. Pas de la grande cuisine, plutôt celle du quotidien. En annexe, de la p. 353 à la page 394 sont recensées les quarante-sept recettes de cuisine qui ont été entrevues dans le roman (incluant la recette d’un café imbuvable gouté par la narratrice) – plus une recette de tricot. Qui souhaite demeurer dans l’univers du livre peut se prêter à l’exercice. Mais attention! Les recettes ne sont pas présentées de manière traditionnelle, elles sont narrées.
L’embellie en extraits
“Je ne prétends pas que j’aime faire la cuisine, mais qui sait lire sait cuisiner, un point c’est tout. […] Cuisiner, c’est s’instruire en lisant.” (p. 50-51)
“L’obstacle majeur, la pierre d’achoppement en fait, de l’art culinaire, c’est de couper les oignons. Ma vulnérabilité à l’égard de l’oignon n’est comparable à rien de ce que je peux éprouver en d’autres circonstance de la vie. L’oignon trône encore non épluché sur la table que je me suis déjà mise à pleurer.” (p. 58)
“Personnellement, je peux aisément éviter ce trou d’eau. La question est de savoir si je suis en train de le mettre en difficulté en m’approchant dangereusement de l’eau, si je chercher à créer du suspense inutile, pour gagner du temps, parce que je ne sais pas encore quoi lui dire. Même si je connais beaucoup de langues, peut-être trop, je n’ai jamais su spécialement me servir des mots, en tête à tête, face à un homme. Bien consciente qu’une phrase demande ordinairement un sujet, un verbe et un complément, et qu’il faudra au moins trois conjonctions pour lui donner toute sa complexité, ma maîtrise des mots ne va pas si loin, je n’arrive pas à les trouver, à dire le mot juste, celui qui compte. Je n’arrive même pas à dire à un homme les paroles indispensables telles que « prends garde à toi » et « je t’aime ». Dans cet ordre.” (p. 83)
“—Hakouna matata! me crie-t-elle. C’est du swahili et ça veut dire: « T’en fais pas», ça vient du Roi Lion, son film préféré.” (p. 116)
“—Je n’ai pas la fibre maternelle, d’ailleurs je ne pense pas avoir d’enfant un jour. Je n’ai même pas l’allure d’une mère.
—Les mères n’ont qu’une chose en commun: ce sont des femmes qui ont couché avec un homme au moment de l’ovulation sans prendre de précautions adéquates. Pas même besoin de le faire deux fois, en tout cas avec le même homme.” (p. 136)
“—Saviez-vous, dit-il, que le battement de coeur d’une baleine s’entend à cinq kilomètres à la ronde?
J’avoue que je l’ignorais, tandis qu’il me rend l’appareil avec précaution.
—Alors vous ne savez sans doute pas non plus que les battements de coeur d’une baleine peuvent perturber les transmissions radio d’un sous-marin et empêcher une guerre?” (p. 348)
OLAFSDOTTIR, Audur Ava. L’embellie, Points, Paris, 2013, 394 p.
J'ai commencé ce livre ce matin et ai dévoré la première centaine de page sur la journée (ce que je ne fais pas souvent) … Il est lisse (dans un sens positif : il se lit tout seul) et intriguant (la narratrice raconte des événements bouleversants avec tellement de froideur).
Marrant, je n'ai pas trouvé la première remarque relevée sexiste. Je l'ai plus prise dans le sens "nous parlons beaucoup, mais nous sommes assez intelligentes pour nous taire au bon moment, de manière à faire croire à ces hommes, moins fins, qu'ils sont importants" (enfin, quelque chose de ce genre, qui nous définirait comme manipulatrice plutôt que faibles – à me lire, je me dis que c'est quand-même sexiste et cliché !)
Merci pour votre commentaire! Je suis heureuse d'avoir votre point de vue sur les propos qui m'ont apparu sexistes, car je me suis demandé chaque fois, dans mon agacement, s'ils pouvaient être pris autrement.
J'aime beaucoup Audur Ava Ólafdóttir en raison de ses univers au réalisme inconsistant, flottant. Je planifie lire à son tour L'exception dans un avenir plus ou moins rapproché (beaucoup de livres attendent sagement dans ma bibliothèque…).
J'ai consulté votre blogue et l'ai trouvé bien sympathique.
Au plaisir.