Il est difficile de dire pourquoi on aime Les années douces. Et pourtant, on aime. C’est un roman en tableaux, chaque chapitre se faisant une vitrine sur les rencontres de Tsukiko, célibataire endurcie de 37 ans, et du maître, son ancien professeur de japonais. Ils se croisent par hasard dans un petit troquet où ils vont boire du saké et, au fil des rencontres hasardeuses, se lient d’amitié…
On lit Les années douces pour sa douceur, pour ses clins d’œil aux choses simples de la vie, pour l’incursion qu’il nous fait faire dans la culture japonaise.
Les années douces en extraits:
“Il y a beau temps que j’ai cessé de ressentir ce genre de malaise quand je me retrouve en famille. Simplement, je me sens gênée aux entournures. C’est un peu comme quand on choisit un vêtement parmi d’autres qui sont censés convenir parfaitement à vos mesures, il y en a un dans lequel on nage, tel autre qui est trop long et dont le bord traîne par terre. La surprise vous fait retirer le vêtement, mais quand vous le mettez simplement devant vous, pas d’erreur, il est parfaitement à vos mesures. Oui, c’était quelque chose comme ça.” (p. 88-89)
“De la corbeille de pommes placée à côté de mon oreiller s’élevait leur odeur. Dans l’air froid de l’hiver, la senteur se faisait plus forte que d’habitude. J’ai l’habitude de peler des pommes après les avoir coupées en quatre, mais ma mère enlève la peau en passant délicatement le couteau autour du fruit tout rond, me suis-je souvenue dans ma tête vague. Un jour, j’ai pelé une pomme pour mon ancien amant. Pour commencer, la cuisine n’a jamais été mon fort, et même si c’était le cas, ça ne me disait rien de lui préparer des repas froids ou d’aller jusque chez lui pour lui concocter des petits plats, non plus que de l’inviter à dîner pour lui faire goûter ma cuisine. Je craignais, en agissant ainsi, de me retrouver prise au piège. Je voulais aussi éviter à tout prix que l’autre puisse s’imaginer que je cherchais à le retenir prisonnier. Il suffisait que cela me soit égal, à moi, de ne pas pouvoir m’échapper, mais justement je n’arrivais pas sans mal à faire que cela me soit indifférent.
Quand j’ai pelé la pomme, mon amant a été stupéfait. Toi aussi, il t’arrive de peler une pomme! Il a dû dire quelque chose dans ce genre. Je sais faire ça, figure-toi. Oui, au fond. Évidemment, qu’est-ce que tu crois! Quelque temps après cette conversation, nous nous sommes quittés. Ce n’est pas que l’un de nous deux ait pris l’initiative. Nous avons peu à peu cessé de nous téléphoner. Nous ne nous détestions pas pour autant. À force de rester sans nous voir, le temps a fini par passer.” (p. 92-93)
“Dans la glace en pied, mon corps nu n’offre pas la moindre résistance à la pesanteur et ne pénètre pas mon regard. Ce n’est pas avec mon moi visible que je converse, c’est avec celui qui reste invisible, celui qui flotte dans la pièce, semblable à des parcelles qui me donnent mon moi à pressentir. (p. 106)
“Selon le calendrier [traditionnel japonais], on était au début du printemps, mais les jours étaient encore courts. Tant qu’à faire, je trouve plus agréables les journées d’hiver, si brèves qu’elles semblent vous chasser. Quand on se dit que de toute façon le jour va bientôt décliner, le cœur est prêt à accueillir l’obscurité légère et élégante qui fait naître le regret. Maintenant que les jours ont rallongé suffisamment pour faire dire, tiens, il ne fait pas encore nuit, on perd pied. Voilà, la nuit est tombée, et l’instant d’après, un sentiment de désolation s’empare de vous et vous enveloppe d’une solitude pesante et lancinante.” (p. 106-107)
“Les idées qui viennent la nuit, si on ne les dompte pas, finissent par prendre des proportions gigantesques.” (p. 212)
KAWAKAMI, Hiromi. Les années douces, Picquier poche, Arles, 2005, 283 p.