Il y a de ces histoires qui vous replongent directement dans votre enfance… Je me souviens, toute jeune, avoir été fascinée par le film L’histoire sans fin. Je ne pouvais quitter l’écran des yeux chaque fois qu’il était présenté à la télévision. Puis le temps a passé et le film a cessé de paraitre à la télé, du moins à ma connaissance. Il ne m’est revenu en tête que tout dernièrement, disons dans la dernière année, et j’ai depuis une envie folle de le revoir. Grâce au cinéclub littéraire, ça se produira bientôt. Toutefois, jusqu’à tout récemment, j’ignorais que le film était tiré d’un livre de Michael Ende. L’avoir su à l’époque, l’enfant que j’étais aurait harcelé mes parents pour avoir la chance de tenir le livre entre ses mains.
Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que, dès que j’ai découvert l’existence du roman, je l’ai ajouté à ma sélection pour le cinéclub littéraire…
Bastien Balthazar Bux est un enfant peu populaire. Il est petit et gras, il a les jambes torses et sa timidité le rend maladroit. Il se réfugie donc constamment dans l’univers des livres, là où il peut vivre différentes aventures loin des railleries de ses camarades de classe. Un jour, il entre dans une librairie et aperçoit un livre qui lui semble vraiment spécial: la reliure est en cuir doré et un symbole constitué de deux serpents qui tiennent la queue l’un de l’autre dans leur gueule pour former un cercle orne la couverture. Bastien se sent irrésistiblement attiré par ce livre. Peut-être est-ce dû à son titre? L’histoire sans fin… Bastien a toujours rêvé d’une histoire qui ne se terminerait jamais… Une incompréhensible force à l’intérieur de lui le pousse à voler le livre. Il se réfugie ensuite dans une cachette secrète où personne ne pourra le déranger… et il entreprend la lecture de L’histoire sans fin. Il y découvre le pays fantastique, en danger de disparaitre, et son héros Atreju. Doucement, Bastien devient part de l’histoire, il découvre qu’il a lui aussi un rôle à y jouer.
La première moitié du roman L’histoire sans fin m’a fait renouer avec mes souvenirs d’enfance, même si ces derniers étaient plutôt vagues: je ne savais plus exactement à quoi m’attendre, mais le redécouvrir m’a fait bien plaisir. Puis, j’ai plongé dans la deuxième partie du roman, qui m’était complètement inconnue (un autre réalisateur, George Trumbull Miller, a tiré un film de cette deuxième partie, mais je ne l’ai pas vu). J’ai mis du temps à me laisser entrainer dans cette autre moitié… Je trouvais que le récit perdait son but et devenait un peu insipide. Jusqu’à ce que je comprenne que l’ensemble du livre était en fait une sorte d’allégorie. Au delà du récit dans le récit, il y avait l’enfant dans l’enfant, le désir dans le désir, l’être dans l’être…
L’histoire sans fin est un roman initiatique qui enseigne la force et le courage d’être soi. Et les dangers qu’on encourt à désirer être quelqu’un d’autre que soi-même. C’est ce que Bastien apprend à ses dépens au cours de son long parcours initiatique. L’histoire sans fin est donc une histoire à plusieurs niveaux qui repose sur une dimension philosophique. C’est ce qui fait sa force et explique son succès planétaire.
L’histoire sans fin au cinéma
Le film de Wolfgang Peterson (1984) se base sur la première partie du livre, axée sur les aventures d’Atreju. Une adaptation étant une adaptation, le réalisateur a pris quelques libertés (volontaires ou obligées): il a renommé le dragon Fuchur en Falkor, modifié aussi son apparence; il présente Atreju comme un garçon normal alors qu’il a la peau verte dans le livre; etc. Après voir vu le film pour la première fois, Michael Ende, l’auteur du livre, s’est déclaré furieux et a exigé que son nom soit retiré du générique du film. Qu’est-ce qui motivait sa colère de façon précise, je ne le sais pas.
Qui plus est, le film a été un échec commercial. Cela m’a bien surprise parce que tout le monde auteur de moi semble se souvenir – positivement – de L’histoire sans fin. Quoi qu’il en soit, j’ai bien hâte de le revoir (je patiente) et de pouvoir le comparer à ma récente lecture…
L’histoire sans fin en extraits
“La passion de Bastien Balthasar Bux, c’était les livres. Qui n’a jamais passé un après-midi sur un livre, les oreilles en feu et les cheveux en bataille, à lire et lire encore, oublieux du monde alentour, insensible à la faim et au froid —
Qui n’a jamais lu en cachette, sous sa couverture, à la lueur d’une lampe de poche, parce qu’un père ou une mère ou quelque personne bien intentionnée avait éteint la lumière, dans l’idée louable que le moment était maintenant venu de dormir puisque demain il faudrait se lever tôt —
Qui n’a jamais versé, ouvertement ou en secret, des larmes amères en voyant se terminer une merveilleuse histoire et en sachant qu’il allait falloir prendre congé des êtres avec lesquels on avait partagé tant d’aventures, que l’on aimait et admirait, pour qui l’on avait tremblé et espéré, et sans la compagnie desquels la vie allait paraître vide et dénuée de sens —
Celui qui n’a pas fait lui-même l’expérience de tout cela ne comprendra visiblement pas le geste de Bastien.
Il regardait fixement le titre du livre et il se sentait alternativement bouillant et glacé. C’était bien là ce dont il avait tant de fois rêvé, ce qu’il souhaitait depuis le jour où la passion des livres s’était emparée de lui: une histoire qui ne finit jamais! Le livre des livres!
Il lui fallait ce livre, à n’importe quel prix!” (p. 14)
“Bastien considéra le livre:
«Je voudrais bien savoir, se dit-il, ce qui se passe réellement dans un livre, tant qu’il est fermé. Il n’y a là, bien sûr, que des lettres imprimées sur du papier, et pourtant — il doit ben se passer quelque chose puisque, quand je l’ouvre, une histoire entière est là d’un seul coup. Il y a des personnages, que je ne connais pas encore, et il y a toutes les aventures, tous les exploits et les combats possibles — parfois surviennent des tempêtes, ou bien on se retrouve dans des villes et des pays étrangers. Tout cela est d’une façon ou d’une autre à l’intérieur du livre. Il faut le lire pour le vivre, c’est évident. Mais c’est déjà dans le livre, à l’avance. Je voudrais bien savoir comment.»” (p. 20)
“Bastien réfléchit un long moment puis il dit:
«Étrange, qu’on ne puisse pas désirer tout simplement ce qu’on veut. D’où nous viennent tous les désirs? Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que c’est qu’un désir?»
[…]
«Qu’est-ce que cela peut bien signifier? demanda-t-il. FAIS CE QUE VOUDRAS, cela veut bien dire que je peux faire tout ce dont j’ai envie, ne crois-tu pas?»
Le visage de Graograman prit soudain une expression terriblement sérieuse et ses yeux se mirent à étinceler.
«Non, répondit-il d’une voix grave, grondante, cela veut dire que tu dois faire ce que tu veux vraiment. Et rien n’est plus difficile.
— Ce que je veux vraiment? répéta Bastien, impressionné. Et qu’est-ce que c’est?
— C’est ton secret le plus intime, et tu ne le connais pas.
— Comment puis-je donc le découvrir?
— En suivant le chemin de tes désirs, en allant de l’un à l’autre, jusqu’au dernier. Celui-là te conduira à ton Vœu Véritable.
— Cela ne me paraît pas si difficile, fit remarquer Bastien.
— De tous les chemins, c’est le plus dangereux, dit le lion.
— Pourquoi? demanda Bastien. Je n’ai pas peur.
— Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, gronda Graograman. Il exige une sincérité et une attention sans failles, car sur aucune autre chemin il n’est aussi aisé de se tromper définitivement.
— Veux-tu dire que les désirs qu’on éprouve ne sont pas toujours bons?» s’enquit Bastien.
Le lion fouetta de sa queue le sable dans lequel il était couché. Il rabattit les oreilles contre sa tête, fronça le nez, ses yeux lançaient des étincelles. Bastien fit le geste involontaire de plier l’échine quand Graograman dit, d’une voix qui faisait à nouveau vibrer le sol:
«Que sais-tu de ce que sont les désirs? Que sais-tu de ce qui est bien?» (p. 266-267)
ENDE, Michael. L’histoire sans fin, Le livre de poche, 2008, 534 p.