Malavita

Une famille d’Américains débarque à Cholong-sur-Avre, un petit village français, en pleine nuit. Une famille définitivement pas comme les autres. On apprendra bientôt que celle-ci bénéficie du programme de protection des témoins, car le mafieux père a balancé toute sa bande. Comme son impulsivité les met tous souvent dans le pétrin, ils ont dû quitter Paris pour recommencer une nouvelle vie anonyme dans ce petit village. Le père ayant découvert une vieille machine à écrire dans le fatras de la maison, il se plaît à s’imaginer écrivain et décide que cela sera sa nouvelle couverture. Il s’enferme tous les jours dans sa véranda pour écrire, et se prend au jeu. Ce n’est toutefois pas le seul jeu auquel il se prend. Ainsi débute Malavita de Tonino Benacquista.

Malavita Tonino Benacquista

Malavita est un bon roman, bien mené, avec la dose d’ironie qu’il faut pour nous rendre les personnages sympathiques. Puis, une chose que j’aime de Tonino Benacquista, c’est ses clins d’œil au lecteur:

“C’est un écrivain, chéri. Plus c’est extravagant et plus ça l’amuse de nous y faire croire.” (p. 175)

Chaque fois, on a l’impression qu’il nous dit: Regardez, cher lecteur, ce que je suis en train de faire… Ça fonctionne, non?

Malavita en extraits

“Les coudes posés de part et d’autre de sa Brother 900, le menton sur ses doigts croisés, Fred s’interrogeait sur les mystères du point-virgule. Le point, il savait, la virgule, il savait, mais le point-virgule? Comment une phrase pouvait-elle à la fois se terminer et se poursuivre? Quelque chose bloquait mentalement, la représentation d’une fin continue, ou d’une continuité qui s’interrompt, ou l’inverse, ou quelque chose entre les deux, allez savoir. Qu’est-ce qui, dans la vie, pouvait correspondre à ce schéma? Une sourde angoisse de la mort mêlée à la tentation métaphysique? Quoi d’autre?” (p. 69)

“Warren faillit répondre ce qu’il avait sur le cœur: J’avais huit ans quand ma famille a été chassée des cinquante États d’Amérique. Il supportait de plus en plus mal qu’on voit en lui un futur obèse au QI inférieur à celui d’une huître de l’Oyster Bar, prêt à tout sacrifier à son dieu dollar, un être inculte qui se pensait autorisé à régner sur le reste du monde.” (p. 84)

“Sur le chemin de l’école, Belle et Warren tentaient de se représenter la scène.
— Trois mois qu’il s’enferme dans sa putain de véranda, dit-il, tout son vocabulaire doit y passer plusieurs fois par jour.
— Dis que ton père est un analphabète…
— Mon père est un Américain de base, tu as oublié ce que c’était. Un type qui parle pour se faire comprendre, pas pour faire des phrases. Un homme qui n’a pas besoin de dire
vous quand il sait dire tu. Un type qui est, qui a, qui dit et qui fait, il n’a pas besoin d’autres verbes. Un type qui ne dîne, ne déjeune ni ne soupe jamais : il mange. Pour lui, le passé est ce qui est arrivé avant le présent, et le futur ce qui arrivera après, à quoi bon compliquer? As-tu déjà listé le nombre de choses que ton père est capable d’exprimer rien qu’avec le mot « fuck »?
— Pas de conchonneries, s’il te plaît.
— C’est bien autre chose que des cochonneries.
« fuck » dans sa bouche peut vouloir dire: « Mon Dieu, dans quelle panade me suis-je fourré! », ou encore: « Ce gars-là va le payer cher un jour », mais aussi « J’adore ce film ». Pourquoi un type comme lui aurait-il besoin d’écrire?
— Moi j’aime bien l’idée que papa s’occupe, ça lui fait du bien, et pendant ce temps-là il nous fout la paix.” (p. 132)

“Le problème de Joey, c’était son vice, et son vice, c’était les banques. Il ne savait pas résister à une banque. Et un vice auquel on ne sait pas résister, malgré les alarmes, les sermons, et les thérapies plus ou moins forcées, ça finit par vous être fatal. Quand Gizzi mettait parfois plusieurs mois à préparer un hold-up, Joey, lui, attaquait des banques comme on soulage une envie de pisser. Quand Paul tombait amoureux d’une banque et lui faisait la cour, Joey lui collait directement la main aux fesses. Il avait beau se prendre des gifles, ça ne changeait rien, il recommençait de plus belle. (p. 359-360)

BENACQUISTA, Tonino. Malavita, Folio Gallimard, Paris, 2004, 384 p.

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