Messieurs les enfants

Messieurs les enfants s’ouvre directement dans l’univers de Pennac avec un enseignant qui hurle sans élever la voix : “L’imagination, c’est pas le mensonge.” Crastaing, voilà le nom du hurleur, crie ainsi sur ses élèves depuis plus de trente ans. Aucun des textes de ses pauvres élèves n’est jamais satisfaisant, et il le leur fait savoir grâce à des hauts cris. L’histoire commence quand Joseph et Igor se font pincer pour avoir en leur possession un dessin représentant une foule en furie, armée, pourchassant Crastaing; “Crastaing salaud la classe aura ta peau!”, dit la bannière. Éloquent. Comme Nourdine Kader s’accuse à leur place, il se retrouve lui aussi collé avec un devoir supplémentaire en guise de punition. Une rédaction. Sur le thème de la famille (Crastaing est obsédé par ce thème):

“Sujet:

Vous vous réveillez un matin, et vous constatez que, dans la nuit, vous avez été transformé en adulte. Complètement affolé, vous vous précipitez dans la chambre de vos parents. Ils ont été transformés en enfants.

Racontez la suite.”

Et le monde en vient à basculer. Je me suis demandé tout du long: “Mais c’est quoi, ce bordel?”. Parce que ce livre est un véritable capharnaüm. Un bordel cacophonique. Il faut dire que des ados et des enfants, qu’importe leur âge, ça fait du bruit. Avec un enseignant qui beugle, par dessus le marché… Et la panique qui s’intègre

Messieurs les enfants Daniel Pennac

C’est étourdissant, mais tout compte fait, cela sert bien le sujet. Puis, je n’aurais pas dû en être si surprise, l’histoire de Messieurs les enfants s’avère assez cohérente en bout de ligne. On boucle la boucle. Ça se tient. Et comme tout auteur le fait devant une explication impossible à donner, Pennac use de l’ellipse. Ce qui n’est pas si mal en bout de ligne (passé mon premier cri de contestation).

Messieurs les enfants est narré par un JE inconnu qui se révèle plus tard être un fantôme qui ne croit pas aux fantômes. Pourquoi pas? Puis Pennac ne serait pas Pennac sans tautologies, comparaisons drôlement assorties et fortes personnifications:

« Igor et Joseph se penchent donc aux vitres fumées, ils inspectent l’intérieur comme on fait le compte des poissons rouges. » (p. 28) « Sur quoi, le petit rondouillard en djellaba mit devant ses lèvres un doigt qui commandait silencieusement le silence. » (p. 187) « La vaisselle parle de plus en plus fort, elle se noie à gros bouillons, elle pèle de froid dans l’égouttoir […] » (p. 45-46) J’ai perdu un temps fou hier à chercher en vain le film Messieurs les enfants de Pierre Boutron. Si j’ai bien compris, Pennac et lui en ont écrit ensemble le scénario, puis se sont retirés chacun de son côté, l’un pour en faire un film, l’autre pour en faire un roman. Ils devaient se montrer leur travail une fois le tout terminé. J’aurais bien aimé comparer les œuvres, mais tout ce que j’ai trouvé du film, c’est la bande-annonce, que vous trouverez ici: http://www.fan-de-cinema.com/bandes-annonces/messieurs-les-enfants.html Extraits:

“Bien sûr, les enfants ont changé depuis mon enfance! Ils sont devenus fluorescents, leurs baskets luisent quand ils pédalent dans la nuit, les walkman leur font des têtes de mouche et des surdités de vieux, ils parkinsonnent comme d’authentiques rockers, raccourcissent tifs et jupes dans l’espoir de se rallonger, bouffent le matin les graines des oiseaux et à midi l’ordinaire yankee, jurent comme on nous l’interdisait et s’envoient des films qu’ils nous défendent de voir.” (p. 26)

“[­­…] la pire saloperie que puisse vous faire un cauchemar, c’est de vous donner l’illusion de sa propre conscience, “pas de panique, c’est un cauchemar”, et de continuer à en être un!” (p. 100)

“En ce qui me concerne, je n’ai jamais laissé Igor m’étouffer sous les “pourquoi”. Là où Tatiana s’embarquait avec une patience suspecte dans la boucle sans fin des “pourquoi, parce que, mais pourquoi, parce que…”, j’ai vite fait, moi, le procès des réponses causales.
-Les enfants se foutent des causes, Tatiana! Seul le
but les intéresse.
Ce qui est la vérité vraie. Qu’un moutard vous demande “Pourquoi il pleut?”, la pire des réponses à lui faire concerne “les nuages…”, réponse qui entraine illico “Pourquoi les nuages?”, et vous voilà embarqué dans l’analyse complexe des “précipitations atmosphériques”, “Pourquoi les prézipitazions?”, avec leur cortège d’anticyclones, “Et pourquoi ils viennent des Zazores?”… Folle spirale où vous heurtez vite et fort les parois de votre incompétence, ce qui vous accule à la baffe libératrice, ou pis, au mensonge.
Non, cet âge réclame des réponses
finales.
   Un exemple de réponse finale?
-Pourquoi il pleut? demandait invariablement Igor quand nous promenions nos dimanches à la campagne.
-Hein? Pourquoi il pleut?
Pour que les fleurs poussent, Igor.
Ce n’est pas qu’Igor aimât particulièrement les fleurs (il ne manifeste aucune sympathie pour celles qui ornent ma tombe), mais leur nécessité ne faisait aucun doute, puisqu’il les avait sous les yeux, là, au bord du chemin où nous pataugions en famille.
-Pour que les fleurs poussent.
La réponse finale octroie cinq bonnes minutes de tranquillité. L’essayer, c’est l’adopter.
Tatiana était contre, bien sûr. Elle prétendait qu’à tout “finaliser” (l’expression est d’elle) j’allais faire d’Igor un cynique, un amputé de la nostalgie, peut-être même un homme politique. J’affirmais, moi, que les mères “causalistes” (l’expression est de moi) fabriquaient des ergoteurs sans perspectives, dissecteurs de poèmes, médecins légistes de la rêverie.
-Pourquoi vous vous disputez? demandait Igor.
-Pour que tu pousses droit.” (p. 102-104)

PENNAC, Daniel. Messieurs les enfants, Folio Gallimard, 1999, 272 p.

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