Réparer Philomène est le septième roman de l’auteur Pierre Gagnon. Paru à l’automne chez Druide, cet ouvrage ne répond pas à la forme traditionnelle du roman. Le livre rappelle plutôt un recueil de poésie en prose, avec ses chapitres brossés comme des tableaux et sa structure narrative plutôt hachurée. Ses 249 pages se tournent ainsi à une vitesse surprenante.
Le livre s’ouvre sur un garçon de huit ans, le narrateur. Il se tient debout sur le bord de la rue dans ses habits du dimanche. Il attend. Il espère. Tout le monde au village en a déjà parlé: le président Kennedy, l’homme le plus puissant du monde, est déjà passé sur cette rue. Mais la voiture de son père, conduite par sa mère, s’arrête à sa hauteur. Il est grand temps de rentrer à la maison. Le « bungalow de papier noir » est le royaume où dépérit sa mère. Autour, une cour à scrap. Le père répare et modifie des voitures qu’il ira courser ensuite. Le jour, il travaille pour un centre de récupération de pièces automobile. Le soir, quand il est à la maison, il regarde sa femme s’enfoncer. Alors il va chercher Philomène.
Philomène est affligée d’un retard mental.
De deux ans ma cadette, elle parait plus jeune encore.
Mon père l’a choisie seul, sans personne pour le conseiller, et surtout sans ma mère à qui il a voulu faire la surprise…Ma sœur parle peu.
Ma sœur écoute, intensément.
D’autres voix que les nôtresÀ la longue, on s’habitue.
À la longue, on en vient à l’aimer davantage qu’on en aurait aimé une autre…
Une avec de l’avance plutôt que du retard.Même si, au début, j’ai voulu la retourner…
Même si, au début, j’ai voulu l’échanger contre une pas défectueuse. (p. 61)
Réparer Philomène fait le récit de la pauvreté et de la dysfonction. La pauvreté monétaire, mais aussi la pauvreté de l’intelligence dans le cas de Philomène, de la beauté et la santé mentale dans le cas de la mère et de celle du bonheur pour le père, par exemple. Malgré le cœur en or du père, qui prend soin de ses enfants avant et après le départ de sa femme, le thème de la dysfonction familiale est bien senti.
Le roman ne présente ni de paragraphes continus (on change de ligne après chaque phrase comme en poésie) ni de récit continu. Les tableaux, tous titrés, dévoilent différents moments du quotidien familial alors que dix années se passent et que le garçon se dirige lentement vers sa majorité. Certains tableaux sont des retours dans le passé. Ils permettent de reconstituer la rencontre entre le père et la mère dans une petite ville du sud-est ontarien. Cela m’a bien fait sourire puisque c’est la ville où j’habite depuis maintenant un an. Mais l’ouvrage ne présente pas Trenton dans ce qu’elle a de champêtre et de convivial. Toute son action se déroule dans un motel-taverne qui n’existe plus aujourd’hui. Un endroit où les militaires moins populaires, selon l’histoire de Pierre Gagnon, faisaient la rencontre de femmes qui, à défaut de beauté ou de popularité, jouaient d’atouts pour dénicher un homme suffisamment enivré pour s’enticher. C’est là que le père aurait rencontré la mère avant de la ramener en Beauce dans le bungalow de la misère.
Tout au long du récit, j’ai trouvé que Philomène avait peu de place dans l’histoire. Je l’aurais souhaitée plus présente. Étant donné le titre, j’aurais aimé apprendre à mieux la connaitre. Or, le personnage de Philomène n’est qu’un outil servant le propos du livre. Campé dans un milieu pauvre, l’ouvrage développe principalement le thème de la pauvreté. La pureté de Philomène vient faire contraste dans cet univers de miséreux, tout comme la volonté du père de rendre ses enfants et sa femme heureux. Avec le spectre de la misère au-dessus de la tête, ce n’est pas gagné d’avance…
Le titre Réparer Philomène est très poétique. Il contient cette idée, d’abord, de vouloir « réparer » la déficience d’une enfant, une idée qui apparait à la fois comme naïve et jolie. Or, ce titre ne prend son sens plein qu’à la toute fin du roman. Une fin forte, magnifique et émouvante. Le rythme tranquille de ce roman doux-amer s’enflamme. Les petits tableaux cèdent la place à une plus vaste toile. S’y dessine une grande scène où, enfin et très paradoxalement (en raison du contexte, que je ne dévoilerai pas), Philomène prend toute la place. Une scène qui donne au titre toute son ampleur et qui nous fait comprendre la vraie place de Philomène dans l’histoire.
Voici la vidéo du roman, réalisée par Pierre Gagnon.
Réparer Philomène en extraits
Pas la moindre étoile sur les toiles qu’elle peint.
Que des nuages lourds dans des ciels bétonnés.Ma mère et Philomène sont à des années-lumière d’une rencontre, s’observant à distance par une lunette obturée.
Pas la peine d’être astronome pour comprendre cela. (p. 129)
GAGNON, Pierre. Réparer Philomène, Druide, Montréal, 2019, 243 p.