Romain Gary est parmi les auteurs que j’admire le plus. C’était un écrivain qui travaillait d’arrachepied et qui avait voulu faire de sa vie une œuvre en soi, un roman total (il en sera question dans un prochain billet portant sur Pour Sganarelle). Entre des œuvres de qualité inégale, il a produit des chefs-d’œuvre et le plus grand canular de l´histoire de la littérature grâce à son double Goncourt. Au nombre des grands romans qu’il a écrits figure La promesse de l’aube, roman autobiographique mais roman d’abord, n’oublions pas que Gary était passé maitre dans l’art de la supercherie. Le réalisateur français Éric Barbier a adapté cette grande oeuvre pour le cinéma. Le film est sorti en France en décembre 2017 et c’est avec le printemps 2018 que celui-ci a atteint les salles québécoises. Il me fallait absolument le voir.
La promesse de l’aube fait partie de mes lectures marquantes. C’est un livre dans lequel tout est foisonnement: la langue, l’ambition, l’intensité de l’amour mère-fils. C’est une grande envolée littéraire dans un style follement maitrisé. Adapter ce livre au cinéma représentait donc un risque particulier. Comment parvenir à rendre par le moteur de la narration cinématographique le souffle que Gary a su donner à son histoire par les mots? Comment transposer à l’écran le dynamisme que cette histoire devait en grande partie à son style?
Ma lecture de La promesse de l’aube remonte à au moins sept ans. Si le souvenir que j’en ai gardé est précis, il n’est pas pour autant détaillé (Ah! Mémoire!). Je crois que ce recul m’a permis de profiter pleinement du film d’Éric Barbier. Ces deux heures de visionnement m’ont ramenée dans mes souvenirs du livre, comme si on m’en faisait la lecture à l’écran. Certes, le ton n’est pas le même (comment rendre la subtile ironie, l’humour en demi-ton, la langue truffée des images nées du mélange des origines de l’auteur…?). Contrairement à ma collègue des Méconnus (qui livre ici une merveilleuse critique), je n’ai pas senti que l’accent mis sur l’excentricité de la mère cachait ses nuances. J’ai souvenir d’un personnage littéraire certes moins brusque et plus souple dans ses exigences, mais tout aussi dévoué envers son fils, frondeur et haut en couleur. Il faut dire que ma lecture de la biographie qu’a rédigée Myriam Anissimov, Romain Gary, le caméléon, peut influencer ce point de vue puisque l’auteure y présente une recherche magistrale démontrant comment la vie et l’oeuvre de Gary étaient empreintes d’embellissements et de supercheries. Cet ouvrage m’a fait découvrir un Gary taciturne, torturé, difficile à vivre et, si mes souvenirs sont bons, réellement obsédé à l’idée d’être à la hauteur des aspirations de sa mère. Donc, même si je doute de la nécessité, dans l’adaptation d’Éric Barbier, de présenter Gary déprimé (exagérément?), en train d’écrire La promesse de l’aube et d’interagir avec Leslie, sa première épouse, je devine qu’on a peut-être voulu montrer l’homme derrière l’oeuvre. Je garde des réserves, toutefois, sur la réussite de cette partie.
La promesse de l’aube raconte les débuts de Romain Gary dans la vie. L’auteur y retrace les éléments clés de son enfance, ceux qui ont fait de l’homme l’homme qu’il est au regard de l’amour et du travail. La promesse de l’aube, c’est la genèse d’un fils, d’un militaire, d’un auteur et d’un diplomate. C’est le livre qui dessine à gros traits la personnalité de la mère, mais qui parvient à le faire dans toutes les nuances de la subtilité. Le livre comme le film mettent l’accent sur la forte influence qu’a eue la mère de Gary sur lui, sur sa forte présence et sur l’impact douloureux qu’un tel amour maternel aura eu sur ses relations amoureuses. Si le film touche le sujet de manière moins approfondie et nuancée, il n’en réussit pas moins à montrer le lien spécial qui unit la mère et le fils.
Par ailleurs, il faut accorder au film quelques écarts: une adaptation demande toujours de faire des choix et d’adopter un point de vue. Elle n’est rien d’autre, à vrai dire, qu’une lecture portée à l’écran. Elle est une interprétation de l’oeuvre par le cinéaste. Et c’est précisément ce que j’aime: comparer l’original au film pour découvrir les choix qui ont été faits. Si cela me rend sans doute plus indulgente que d’autres lecteurs, je crois que cela me permet en contrepartie d’apprécier à sa juste valeur le film qui a été tiré du livre. L’univers y est. Les scènes y sont. Le tout faisait affluer mes souvenirs du livre et j’ai passé un très bon moment au cinéma Pine de Sainte-Adèle (j’en parle ici), entourée d’une douzaine d’autres personnes dans la toute petite salle. Même à la dernière semaine de projection, des curieux, comme moi, continuaient de prendre place le temps d’une représentation. À ma sortie, le propriétaire saluait les cinéphiles, et je l’ai entendu vanter les mérites de ce film français qui a été le plus couteux de son pays cette dernière année. À mon avis, c’est un bel investissement qui fait honneur à Gary.
La promesse de l’aube, la bande annonce
La promesse de l’aube, Éric Barbier, 2017