99 francs

Que penser de 99 francs de Frédéric Beigbeder? Je ne sais pas trop. J’ai traversé ses 298 pages sans parvenir à décider si j’appréciais ou non. C’est sans doute que c’est un peu des deux.

Paradoxalement, 99 francs est à la fois un étalage de culture et de vulgarité, les deux étant poussées de façon exagérée. Une chose est certaine, d’un côté comme de l’autre, on cherche à attirer l’attention. On montre à quel point on est plus cultivé que le lecteur (il y a plusieurs références que je n’ai pas saisies) et on bouscule son côté prude (du moins le mien) en réduisant la sexualité aux mots “outil” et “vulgaire”. Le but ultime de ce roman est de provoquer, c’est clair. Objectif atteint.

99 francs Frédéric Beigbeder

99 francs s’ouvre sur le personnage d’Octave, publiciste de 33 ans qui écrit ce livre dans le but de se faire virer (démissionner n’est pas pour lui). Il est obsédé par le sexe dans tout ce qu’il a de moins beau, est cocaïnomane à temps plein et a laissé sa copine le jour où elle lui a annoncé qu’elle était enceinte. Charmant. Complètement désillusionné, il critique le monde de la pub en même temps que la société.

Côté structure, le roman est divisé en 6 parties (Je, tu, il, nous, vous, ils) qui annoncent un changement de narrateur. Le JE se mélange malgré cela aux autres personnes grammaticales. Ces parties sont séparées par des scénarios de publicités imaginés par le personnage d’Octave. Forme très intéressante, donc. Même chose côté style. Les phrases sont bien tournées et une figure de style n’attend pas l’autre. C’était le premier livre de cet auteur que je lisais et celui-ci m’a semblé à la fois talentueux et prétentieux. Attention, je suis consciente que j’attribue peut-être des caractéristiques du personnage à son créateur… de qui je sais très peu.

99 francs au cinéma

Parce qu’il y a un film. Que j’ai apprécié. Il rend bien tout le côté “flashy” du monde de la publicité. Il va sans dire que le cinéma en permettait plus que le roman de ce côté. C’est intéressant, bien rythmé et structuré de la même façon que le livre, c’est-à-dire divisé en 6 parties (Je, tu, il, nous, vous, ils), avec présence du narrateur en voix off qui reprend des passages intégraux du livre. Il y a quelques heureux ajouts, mais on se perd, vers la fin, où l’histoire est modifiée. Modifiée au point que la fin n’est absolument pas la même que celle du livre. Ça aurait pu être pertinent, mais je ne trouve pas, car cette fin nouvelle jure avec le ton “désastre imminent” du livre comme du film. Enfin.

 99 francs en extraits

 « Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente. » (p. 19)

 “L’homme était entré dans la caverne de Platon. Le philosophe grec avait imaginé les hommes enchaînés dans une caverne, contemplant les ombres de la réalité sur les murs de leur cachot. La caverne de Platon existait désormais: simplement elle se nommait télévision. Sur notre écran cathodique, nous pouvions contempler une réalité “Canada Dry”: ça ressemblait à la réalité, ça avait la couleur de la réalité, mais ce n’était pas la réalité. On avait remplacé le Logos par des logos projetés sur les parois humides de notre grotte.” (p. 64)

 “Je me suis dit qu’en acceptant, j’aurais peut-être le pouvoir de changer quelque chose. C’était faux: on ne donne jamais le pouvoir à ceux qui risque de s’en servir. D’ailleurs quel pouvoir? Le pouvoir est une invention révolue. Les pouvoirs d’aujourd’hui sont si multiples et dilués que le système en est devenu impuissant. Et nous qui répétitions sans arrêt notre credo gramsciste: “Pour détourner un avion, il faut commencer par monter dedans.” Quelle ironie du sort! À présent que nous entrions dans le cockpit, nos grenades à la main, et que nous nous apprêtions à donner des ordres au pilote sous la menace de nos mitraillettes, nous découvrions qu’il n’y avait pas de pilote. Nous voulions détourner un avion que personne ne savait piloter.” (p. 218-219)

 « Je suis parti parce que j’ai tout fait. —Qu’est-ce que tu dis? —Je suis parti parce que j’étouffais. » (p. 279)

BEIGBEDER, Frédéric. 99 francs, Folio Gallimard, 2004, 304 p.