Auprès de moi toujours

Il y avait un moment que je souhaitais lire Kazuo Ishiguro. En cherchant des œuvres pour le cinéclub littéraire, j’ai découvert que Auprès de moi toujours (Never Let Me Go) avait été adapté au cinéma en 2010. Je me suis empressée de le commander et j’ai bien fait. Le sixième roman du prix Nobel 2017 nous emporte comme dans un souffle. L’écriture, délicate, suit les vagues de la mémoire, la narratrice amorçant le récit particulier de ce qu’a été sa vie, de son enfance jusqu’à ce jour où elle raconte.

Bien que l’histoire se déroule dans les années 1980-90, c’est une oeuvre de science-fiction qu’offre ici Kazuo Ishiguro, une dystopie vécue par la narratrice, Kathy, avec tellement d’acceptation et de candeur/maturité (il peut être difficile de statuer duquel il est question) qu’on en oublie par moment l’aspect profondément dérangeant du sujet traité. Or, nous ne serons pas épargnés. Si Auprès de moi toujours nous transporte doucement à travers les souvenirs de la narratrice, nimbés de sa naïveté, souscrits par un point de vue à la première personne, le choc de réalité n’en est que plus grand pour nous, lecteur, qui lisons avec un regard non voilé.

Auprès de moi toujours Never Let Me Go Kazuo Ishiguro

Qui ne veut connaitre aucune clé de l’intrigue devrait cesser ici sa lecture du billet car, bien qu’elle se pressente jusqu’à son dévoilement (à mi-lecture), l’information que je vais livrer dans le prochain paragraphe pour faire le résumé de l’oeuvre peut constituer en soi un premier punch. Toutefois, je crois qu’on peut apprécier sa lecture même en connaissant cette information (aussi révélée dans la bande-annonce du film, je vous avertis).

Le récit débute au moment où Kath s’apprête à mettre fin à sa « carrière » d’accompagnante, un parcours plus long que la normale puisqu’il aura duré dix ans. À la demande d’un donneur qu’elle accompagne, elle amorce le récit de sa jeunesse à Hailsham, le pensionnat où elle a été élevée. Bien que tout soit organisé de façon à ce que les enfants aient une enfance des plus heureuses, une ambiance mystérieuse plane sur le pensionnat en raison des mœurs peu usuelles qui y ont cours. Les enfants sont, dès le plus jeune âge, encouragés à développer leur art, que ce soit par la peinture, le dessin ou la poésie. L’importance qui y est accordée est cruciale, sans qu’on sache pourquoi, et les meilleures œuvres, emportées pour garnir la galerie de Madame. Kath, Ruth et Tommy grandissent ensemble dans cet univers où on leur apprend tout sans rien leur dire clairement. Ils savent qu’ils ont été conçus afin de devenir des donneurs, sans savoir de quoi il en retourne vraiment. Ils savent qu’ils sont des clones, et en ce sens différents du reste des gens, auxquels ils ne se mêleront qu’à l’aube de leur vie adulte, mais se soucient peu de ces différences. Ils vivent dans un univers à part et pensent d’une façon qui les protège de la brutale réalité. Ainsi les a-t-on éduqués.

Auprès de moi toujours est un roman magnifique et déstabilisant qui offre à la fois une réflexion éthique sur la valeur des individus, mais aussi une réflexion sur la place de nos perceptions sur notre vision du monde – qui font que l’on regarde le monde selon un certain point de vue. C’est cette dernière réflexion qui me semble centrale puisqu’elle s’incarne dans le livre à même les propos de la narratrice. Son regard, parfaitement modelé sur l’éducation qu’elle a reçue, l’empêche de se révolter au même tire que le lecteur. Elle n’éprouve pas les mêmes sentiments ou, du moins, ne leur accorde pas la même place. C’est cet apparent clivage qui confère à l’oeuvre son aspect doucement dérangement, où flotte l’ombre de l’inquiétante étrangeté.

Une lecture que je recommande fortement.

Auprès de moi toujours au cinéma

Mark Romanek a adapté Auprès de moi toujours dans un film sorti en 2010. Le rythme, très lent, et les couleurs, sépia, confèrent à l’adaptation un aspect vieillot qui ne cadre pas avec la lecture que j’ai faite. Si le livre n’obéit pas à une logique de l’action, le déroulement des pensées de la narratrice nous emporte malgré tout dans les méandres de la mémoire et des petites intrigues de l’enfance – ou de celles, plus importantes, du début de l’âge adulte. Le film ne parvient pas à transposer cet effet. On se retrouve donc devant un film long et lent qui sème des indices sans apporter de réponses claires (contrairement au livre). Je l’avoue, j’ai découvert le film en même temps que les élèves. Et leur plus pertinent commentaire, à la fin du visionnement, en dit long sur les ratés de cette adaptation: « C’est parce qu’on ne comprend pas ce que le film voulait nous dire… »

 

ISHIGURO, Kazuo. Auprès de moi toujours, Folio Gallimard, 2015, 448 p.

L’histoire de ta vie

Il y a un peu plus d’un an, mon amoureux, momentanément expatrié, m’a téléphoné à sa sortie d’un cinéma américanokoweïtien pour me vanter l’intérêt linguistique du film L’arrivée (Arrival, Denis Villeneuve, 2016) : « Tu aurais vraiment aimé ça! » Suivant ses conseils, j’ai visionné le film quelques mois plus tard, découvrant par le fait même qu’il est adapté d’une nouvelle littéraire de Ted Chiang, L’histoire de ta vie. J’ai commandé le tout pour le cinéclub du centre, et c’est avec un réel plaisir que j’ai fait tout récemment la lecture du texte de Chiang.

L'histoire de ta vie La tour de Babylone Ted Chiang Arrival L'arrivée Premier contact Denis Villeneuve

L’histoire de ta vie, comme Arrival, met en scène Louise Banks, une linguiste réputée que l’armée américaine embauche pour effectuer une tâche peu ordinaire: déchiffrer le langage d’une espèce extraterrestre. Douze vaisseaux de forme oblongue sont débarqués en différents endroits de la Terre et l’espèce humaine, alertée par cette présence pour le moment pacifique, s’interroge sur les raisons justifiant cette venue. L’armée donne donc pour mandat à la linguiste de décoder la langue des heptapodes sans rien leur révéler des connaissances technologiques des humains, car on craint pour la sécurité mondiale. En parallèle est présentée comme sous forme de flashback une partie de la vie personnelle de la narratrice.

L’histoire de ta vie n’est pas une oeuvre de science-fiction traditionnelle. Bien que le synopsis puisse laisser envisager l’envahissement extraterrestre et la menace habituelle qui en découle, le texte de Chiang offre plutôt une réflexion sur la langue, n’hésitant pas à entrer dans les détails de la structure linguistique, de la morphologie à la phonétique. Loin de la logique de l’action, L’histoire de ta vie et Arrival reposent sur une logique cognitive. C’est le décodage de la langue qui est au cœur du récit et qui en est la clé. Tout l’arrimage scientifique de l’oeuvre est tourné vers la linguistique et l’hypothèse de Sapir-Whorf ainsi que sur le principe de Fermat.

L’hypothèse de Sapir-Whorf

Émise dans les années 1950 par les linguistes Edward Sapir et Benjamin Lee  Whorf, cette hypothèse repose sur l’idée suivante:

[…] les hommes vivent selon leurs cultures dans des univers mentaux très distincts qui se trouvent exprimés (et peut-être déterminés) par les langues qu’ils parlent. Aussi, l’étude des structures d’une langue peut-elle mener à l’élucidation de la conception du monde qui l’accompagne. (Nicolas Journet, L’hypothèse Sapir-Whorf. Les langues donnent-elles forme à la pensée?)

Autrement dit, c’est la langue que l’on parle qui conditionne notre pensée et notre façon de voir le monde. On entend souvent l’exemple des langues inuites, qui auraient plusieurs mots pour désigner la neige, permettant aux locuteurs de ces langues de voir la neige bien autrement que ceux qui n’ont qu’un mot pour la nommer. Whorf s’est par ailleurs questionné sur la conception de l’espace et du temps des locuteurs de langues qui ne contiennent pas de temps verbaux. Voient-ils le passé, le présent et l’avenir de la même façon?

L’histoire de ta vie offre une exploration de cette hypothèse. L’apprentissage de la langue des heptapodes aura un impact significatif sur la vision qu’a Louise Banks du monde. Je ne vous en dis cependant pas plus, car il me faudrait vous révéler les clés de l’intrigue.

Le principe de Fermat

Ce principe veut que la lumière modifie sa trajectoire de façon à emprunter le chemin qui soit le plus court en durée. Cette trajectoire est calculée selon l’indice de réfraction. L’eau et l’air ont par exemple un indice de réfraction différent, ce qui fait que la lumière voyage plus vite dans le dernier élément que dans le premier. Ainsi, si un rayon lumineux doit traverser un espace rempli à moitié d’air et d’eau, il effectuera une plus longue trajectoire dans l’air (où il peut voyager plus rapidement) avant de plonger en angle dans l’eau (où il voyage moins rapidement). Ce chemin (plus long en distance) est plus court en durée. Voici l’exemple présenté à la page 174 du livre.

L'histoire de ta vie La tour de Babylone Ted Chiang Arrival L'arrivée Denis Villeneuve p 175

L’histoire de ta vie est une nouvelle littéraire très intéressante pour ses explications et ses réflexions scientifiques.

[…] quelle vision du monde possédaient donc les heptapodes pour considérer le principe de Fermat comme l’explication la plus simple de la réfraction de la lumière? Quel type de perception leur rendait minimum ou maximum immédiatement apparent? (p. 180)

Toutefois, elle ne s’adresse pas à des lecteurs non expérimentés, car au-delà des notions scientifiques (verbalisées de façon très efficace), elle contient un vocabulaire très soutenu (téléologie, volition, sémasiographique, etc.), une bonne part d’implicite et une fin ouverte (sur laquelle le film a construit une nouvelle fin).

L’histoire de ta vie en extraits

« Plus intéressant encore, l’heptapode B altérait mon mode de pensée. Pour moi, penser signifiait en règle générale parler d’une voix interne; comme on dit dans le métier, j’avais des pensées codées phonologiquement. […]
L’idée de penser dans un mode linguistique, quoique non phonologique, m’avait toujours intriguée. J’avais un ami né de parents sourds; il avait grandi en utilisant la langue des signes et il me disait qu’il pensait souvent dans cette langue plutôt qu’en anglais. Je me demandais quel effet cela faisait de former des pensées codées manuellement et de raisonner avec une paire de mains interne au lieu d’une voix interne.
Avec l’heptapode B, je vivais l’expérience exotique de pensées codées graphiquement. Je passais des moments de transe où mes pensées ne s’exprimaient plus par le biais de ma voix interne; à la place, je me représentais des sémagrammes qui s’évanouissaient telles des fleurs de givre sur un carreau de fenêtre. » (p. 187-188)

« Soit la phrase: « Le lapin est prêt à manger. » Si on interprétait « le lapin » comme l’objet de « manger », elle signifiait que le dîner serait bientôt servi. Si on interprétait « le lapin » comme le sujet de « manger », c’était un signal, tel celui qu’une fille donnerait à sa mère afin que celle-ci ouvre le sac de nourriture pour lapins. Deux énoncés distincts, voire mutuellement exclusifs sous le même toit. Pourtant, chacun constituait une interprétation valide; seul le contexte permettait de déterminer le sens de la phrase. » (p. 196)

L’histoire de ta vie au cinéma

Quel film réussi que Arrival, réalisé par Denis Villeneuve en 2016! Il fait du bien de voir autre chose, au cinéma, qu’une guerre entre les humains et les extraterrestres, au cours de laquelle, bien sûr, les extraterrestres sont chaque fois les méchants. Arrival est en ce sens très rafraichissant. Comme la nouvelle dont il s’inspire, son propos est d’abord linguistique. Ceux qui visionnent le film en s’attendant à voir un classique du genre seront donc déçus: comme je le mentionnais plus haut, la trame narrative n’obéit pas à une logique de l’action et, de ce point de vue, peut sembler lente. Elle est plutôt construite sur une logique cognitive dans laquelle s’enchainent les rebonds narratifs. Tout est donc une question de point de vue et de disposition d’écoute.

Le propos linguistique étant sans doute suffisamment dense, le film a mis de côté les discussions mathématiques présentées dans la nouvelle. Pas de principe de Fermat dans Arrival. Pour cela, il faut lire l’oeuvre originale.

Pour terminer, la fin de la nouvelle laissant place à une grande ouverture qui conviendrait moins au cinéma, on se réjouit que le film présente une fin plus achevée. Celle-ci est très bien construite et respecte l’esprit de la nouvelle, tout en permettant de pousser encore plus loin la réflexion amorcée grâce au texte de Chiang. À découvrir.

CHIANG, Ted. « L’histoire de ta vie » dans La tour de Babylone, Folio Gallimard, 2006, p. 137-211

Nos étoiles contraires

En cette fin d’année scolaire, j’ai décidé de conclure mon cinéclub (eh oui, nouvelle orthographe) par le très populaire film Nos étoiles contraires issu du tout autant populaire livre éponyme de l’auteur John Green. Comme c’est une lecture rapide et légère, j’ai décidé de la traverser en entier. Oui, j’ai pleuré. Mais bon, ça n’a rien de bien surprenant venant de moi. Mais j’ai ri aussi, aux éclats, toute seule dans mon salon alors que mon amoureux était parti pour un périple nordique.

Nos étoiles contraires John Green

Hazel Grace Lancaster a le cancer et va mourir. Elle le sait depuis longtemps, et c’est d’ailleurs surprenant qu’elle soit encore en vie. Comme son médecin lui diagnostique une dépression, sa mère la force à se rendre à un groupe de soutien pour adolescents cancéreux. C’est là qu’elle rencontre d’Augustus Waters, bellâtre en rémission qui défie la vie une cigarette éteinte au coin de la bouche: il porte à ses lèvres ce qui peut le tuer tout en faisant le choix de ne pas lui donner ce pouvoir en ne l’allumant pas. Le film comme le livre donnent ainsi une belle occasion de travailler la métaphore, tout comme l’ironie, d’ailleurs, puisque les deux adolescents en font un usage assez réjouissant. C’est ce qui fait, à mon avis, tout l’intérêt de Nos étoiles contraires: on en appelle à l’intelligence et à la culture des ados, misant sur la qualité littéraire en plus de la trame narrative. Les personnages sont vrais et bien développés. On apprend des petites choses sur le cancer et ses clichés, les relations familiales et amoureuses, la façon de lire un livre… Il s’y trouve une belle mise en abyme d’un roman (purement inventé par l’auteur, John Green) qui permet à la fois de développer le thème de la maladie et celui de la littérature. On y déniche aussi quelques belles pensées.

“On a regardé la maison. Le truc bizarre avec les maisons, c’est qu’on a l’impression que rien ne se passe à l’intérieur, alors qu’elles renferment plus ou moins toute notre vie. Je me suis demandé si ce n’était pas à ça que servait l’architecture, en fait.” (p. 150)

Nos étoiles contraires au cinéma

L’adaptation de Nos étoiles contraires est réussie et les différences avec le livre, minimes. Elles servent le film, au besoin. C’est un visionnement qui a été très apprécié des quelques participants et qui a suscité d’intéressantes discussions. De mon côté, j’ai aimé, mais la traduction française m’a dérangée. Vers la fin, on se retenait tous pour ne pas pleurer en classe, assez drôle quand on y repense avec le recul.

GREEN, John. Nos étoiles contraires, Nathan, 2012

La trilogie des gemmes

La trilogie des gemmes, dont le premier tome est Rouge Rubis, est une série jeunesse écrite par l’auteure allemande Kerstin Gier. Elle a pour narratrice le personnage de Gwendolyn Shepherd qui vit dans l’ombre de sa cousine Charlotte depuis sa prime enfance, Charlotte étant son ainée d’un jour seulement. Si Gwendolyn est une jeune fille normale, il n’en est rien de Charlotte, qui a hérité du gène du voyage dans le temps, un secret bien gardé par la famille. À seize ans, elle est sur le point de subir son premier voyage. Tout le monde la surveille, car les premiers voyages surviennent de façon subite et incontrôlée. Sauf que, contre toute attente, c’est Gwendolyn qui, un beau jour, se retrouve soudainement à une autre époque.

Rouge Rubis Kerstin Gier

C’est le genre de livre que j’aime bien comparer au junk food parce que, bien que ce ne soit pas de la grande qualité littéraire, on ne peut s’empêcher de le consommer jusqu’à la fin. L’histoire est très originale, et c’est ce qui m’a accrochée, mais le livre a eu, pour moi, quelques irritants. Que son public cible soit les adolescentes n’est pas un problème en soi. Toutefois, on sent tout au long qu’on s’adresse à des ados dans un langage d’ados (traduit en France, donc doublement agaçant pour la québécoise que je suis [je n’ai rien contre les Français, seulement leur vocabulaire adolescent renforce à mes oreilles le décalage]). Beaucoup de clichés adolescents, aussi, et de digressions sur des sujets banals. Il y a plein de thèmes importants à l’adolescence, mais on a préféré s’en tenir aux lieux communs. Enfin, il me semble que c’était souvent superflu. Il m’a fallu traverser les deux premiers tomes en entier avant que je comprenne que ce qui, plus que tout élément, m’empêchait de voir en les personnages autre chose que des clichés, c’est qu’ils ont été esquissés à grands traits (de caractères): peu de psychologie. C’est dommage, l’histoire aurait pu gagner beaucoup en profondeur.

N’empêche, j’ai lu toute la série en moins d’une semaine. C’est donc dire qu’elle fonctionne malgré tout.

Et puis, ce n’est pas pire que de regarder la télé… ; )

Rouge Rubis au Cinéma

Les livres ont été adaptés au cinéma, mais je n’ai pas vu les films. Je joins ici la bande-annonce du premier, Rouge Rubis.

Divergence, la trilogie

Un peu déçue par la trilogie L’épreuve, qui ne m’a pas donné la relaxation que j’espérais, je suis passée au prochain titre prévu pour le cinéclub, Divergence. Un autre pas dans la littérature et le cinéma d’anticipation. J’y ai mieux trouvé mon compte. Peut-être simplement parce que l’univers est un peu plus féminin. Qui sait comment opère la littérature populaire sur mon cerveau bon public? J’ai lu les deux premiers volumes de la trilogie, et j’aurais poursuivi avec le troisième si je l’avais eu en main. Je n’en ressens pas l’urgence, mais peut-être le lirai-je un jour où j’aurai envie de quelque chose de léger…

Divergence Veronica Roth

L’univers de Divergence est divisé en castes. Beatrice Prior est issue de parents Altruistes. Bientôt, elle passera le test et devra choisir la faction qui deviendra sa famille pour le reste de sa vie. Restera-t-elle chez les Altruistes? Sera-t-elle plutôt une Érudite, une Sincère, une Audacieuse ou une Fraternelle? Quelle est sa vraie personnalité? Divergente.

Comment fera-t-elle son chemin dans cette société où le pire cauchemar qu’on puisse avoir est de devenir sans-faction?

ROTH, Veronica. Divergence, ADA, 2014

ROTH, Veronica. Insurgés, ADA, 2015

Divergence au Cinéma

J’ai découvert le film Divergente (eh oui, on passe du nom à l’adjectif pour le film) en même temps que les élèves et j’ai trouvé l’adaptation réussie. Elle suit bien les grandes lignes du livre et est efficace. Les élèves ont d’ailleurs beaucoup apprécié, s’exclamant en chœur à quelques occasions.

L’épreuve, la trilogie (Le labyrinthe, La terre brûlée et Le remède mortel)

En septembre, j’avais envie de plonger dans une série populaire. J’ai donc entrepris de lire la trilogie L’épreuve de James Dashner, que j’avais commandée pour le cinéclub du centre, sachant que le film avait connu un bon succès. J’ai lu rapidement le premier tome, Le labyrinthe, puis j’ai abandonné le deuxième volume à mi-chemin, n’ayant pas envie de baigner dans cet univers post-apocalyptique. Ceci dit, ce n’est pas mauvais.

L'épreuve Trilogie James Dashner Le labyrinthe livre

Thomas arrive au Bloc seul dans une boite métallique. Amnésique, il ne se rappelle que son nom. Sur place, une bande de garçons, tous aussi jeunes que lui, l’accueillent et lui font découvrir, un à un, les dangers de sa nouvelle vie. Personne ne sait pourquoi on les a envoyés là, la mémoire effacée. Le Bloc est entouré d’un immense labyrinthe aux murs de pierre qui se referment à la nuit tombée. Il est envahi par des griffeurs, une créature mi-bête mi-robot, féroce, qui tue ou rend malade. À la recherche d’une sortie, un groupe de blocards nommés coureurs sillonnent le labyrinthe jour après jour depuis deux ans… en vain.

Le labyrinthe au Cinéma

Le film Le labyrinthe est très efficace, et les élèves l’ont beaucoup apprécié. De mon côté, je l’ai trouvé correct. Il comporte de nombreuses différences avec le livre, ce qui fait que la lecture de celui-ci reste certainement intéressante après le visionnement du film. Un élève vient de tenter l’expérience et a bien apprécié la comparaison.

Extrait

   “Puis Minho lui avait raconté l’un des rares souvenirs qui lui restaient de sa vie d’avant, à propos d’une femme enfermée dans un labyrinthe. Elle s’en était échappée en posant sa main droite sur un mur et en marchant sans jamais la retirer. Ainsi elle s’était obligée à tourner à droite à chaque intersection. En suivant les lois de la physique et de la géométrie, elle avait pu trouver la sortie. C’était logique.
Mais pas ici. Ici, tous les chemins ramenaient au Bloc. Un détail avait forcément dû leur échapper.” (p. 215)

DASHNER, James, Le labyrinthe, Pocket Jeunesse, 2012, 416 p.

Sleepy Hollow. La légende du Cavalier sans tête

Je l’admets, je choisis parfois les films de mon cinéclub en fonction de la longueur des œuvres dont ils ont été inspirés. Pas le temps de lire une brique (surtout que, choisies pour les élèves, elles ne correspondent pas toujours à mon genre de lecture)? J’opte pour un texte plus court, comme Sleepy Hollow. La légende du Cavalier sans tête de Washington Irving. Soixante pages qui se lisent très bien, soixante-dix-neuf si on inclut les notes et les explications (dont je raffole).

Sleepy Hollow John Irving

Sleepy Hollow est une nouvelle centrée sur le personnage d’Ichabod Crane, instituteur sans domicile fixe du Val Dormant. Il s’y est arrêté un jour dans le but “d’instruire les enfants des environs” (p. 12) et est logé d’une semaine à l’autre chez les parents de ceux-ci:

“Après les heures de classe, il était souvent le compagnon de jeu des plus grands, et les après-midis fériés, il aimait à escorter jusqu’à la maison certains des plus petits, surtout s’ils avaient la chance d’avoir des sœurs jolies ou si leur mère était de ces excellentes ménagères aux talents culinaires reconnus. En fait, il était dans son intérêt de rester en bons termes avec ses élèves. Les revenus qu’il tirait de son école étaient maigres, et n’auraient sans doute pas suffi à lui gagner son pain quotidien, car c’était un très gros mangeur, et, bien que squelettique, il avait la faculté de se dilater comme un anaconda. Toutefois, afin que sa subsistance soit assurée, il était logé et nourri par les fermiers dont il instruisait les enfants, selon la coutume en vigueur dans ces campagnes. Ainsi passait-il à tour de rôle une semaine chez chacun d’eux, faisant la tournée du voisinage, transportant tous ses effets personnels serrés dans un grand mouchoir de coton.” (p. 13-14)

Cet extrait donne en partie le ton du livre: centré sur le personnage, descriptif et non dénué d’humour. On décrit le Val Dormant comme un lieu de songe, où quiconque le fréquente s’éprend de merveilleux. Ainsi différentes histoires de fantômes et de lutins sont-elles racontées, dont celle du Cavalier sans tête.

C’est une nouvelle sans grande action, plutôt axée sur l’ambiance et la construction du personnage, tellement que les deux premiers tiers font plus croire au début d’un roman qu’à une nouvelle. L’histoire se boucle pourtant à partir des éléments qui ont été mis en place tout du long et laisse le lecteur sur une fin ouverte, le narrateur suggérant quelques interprétations.

Sleepy Hollow au cinéma

Je crois que je n’avais jamais vu ce film de Tim Burton, proposé par un élève dans le cadre du cinéclub. Je l’ai donc découvert en même temps que les autres. Si les élèves ont adoré, personnellement, j’ai été moins captivée. C’est un bon film, bien fait mais, à mes yeux, il ne sort pas de l’ordinaire. Ça ressemble à du Burton, ça ressemble à du Johnny Depp.

Burton s’est inspiré de la nouvelle de Washington Irving, mais a construit une toute nouvelle histoire, ce qui n’est pas une mauvaise chose. D’instituteur dans la nouvelle, Ichabod Crane devient policier dans le film. Le texte d’ambiance devient un film où s’enchainent les actions.

Sherlock Holmes: Une étude en rouge

Après avoir visionné la série britannique Sherlock, je ne pouvais contenir mon enthousiasme délirant: je me suis donc procuré ce premier livre de Sherlock Holmes: Une étude en rouge. C’était il y a un an. J’ai commencé le livre, un peu déçue de ne pas y retrouver l’intensité de l’univers moderne de la série (il faut dire que c’est une adaptation très réussie, nous en reparlerons). Puis, à mi-lecture survient sans avertissement un retour en arrière qui fait perdre au lecteur tous ses repères: est-ce une autre histoire? a-t-on affaire à un recueil de nouvelles? J’ai décroché. Toutefois, dernièrement, j’ai choisi de présenter aux élèves le tout premier épisode de la série. Je me suis donc relancée dans ma lecture, avec succès cette fois.

Sherlock Holmes Une étude en rouge Conan Doyle

Une étude en rouge est le tout premier roman dans lequel apparait Sherlock Holmes. Il nous y est présenté par le docteur Watson, narrateur, qui raconte comment il a fait sa connaissance, est devenu son colocataire et l’a accompagné pour la première fois dans une enquête. Celle-ci débute quand Holmes est appelé sur les lieux d’un crime: un homme git mort sur le plancher d’une maison abandonnée. Il y a du sang sur le sol, mais ce n’est pas celui de la victime qui n’a subi aucune blessure apparente. Au mur, écrit avec du sang, le mot allemand “rache” qui signifie vengeance.

Le livre Sherlock Holmes: Une étude en rouge est intéressant, mais pour une fois, je dois admettre avoir vraiment préféré la série qui a su faire une adaptation extraordinaire des romans et des nouvelles de Conan Doyle.

Télévision

Créée par Steven Moffat et Mark Gatiss, Sherlock est une série qui se décline en épisodes de 90 minutes, à raison de trois épisodes par saison, dont la quatrième devrait paraitre à l’hiver 2015. Martin Freeman (Dr John Watson) et Benedict Cumberbatch (Sherlock Holmes) y livrent de superbes performances d’acteurs, nous faisant croire à l’incarnation du célèbre duo dans la modernité. Sherlock utilise un iPhone et les textos sont intégrés à l’image, ce qui rend le tout dynamique. Féru de science comme dans les ouvrages de Conan Doyle, le Sherlock de la série use des techniques et des outils propres à notre époque.

Malgré le changement de contexte (les années 2010 plutôt que les années 1880), l’adaptation d’Une étude en rouge est fidèle à l’œuvre de Conan Doyle (caractéristiques des personnages, grandes lignes des histoires, etc.)bien qu’elle aille parfois au-delà de la trame narrative originale. Des éléments de plusieurs romans ou nouvelles peuvent avoir été utilisés pour constituer un même épisode, par exemple, sinon le fond de l’histoire peut avoir été changé tout en ayant conservé les principaux éléments menant à la déduction, comme c’est le cas de l’épisode 1 de la saison 1, Une étude en rose, adapté du roman Une étude en rouge.

En résumé, si je ne vous recommande pas nécessairement ce roman (je ne peux parler des autres ni des nouvelles, que je n’ai pas lus), je vous recommande fortement la série.

Sherlock Holmes: Une étude en rouge en extraits

“Je vous comprends. Il y a dans cette affaire-ci un mystère qui excite l’imagination; là où il n’y a pas d’imagination, il n’y a pas d’horreur.” (p. 44)

CONAN DOYLE, Athur (sir). Sherlock Holmes: Une étude en rouge, Librio, 125 p.

Shining

Je n’avais encore jamais lu de Stephen King et je n’en aurais sans doute jamais lu si je n’avais pas choisi l’adaptation de Shining pour le cinéclub de l’école. Malgré cela, je savais que ce serait une lecture facile et sans doute agréable et, ayant particulièrement aimé le film, j’étais prête à me lancer dans l’œuvre dont il a été inspiré. On le sait, j’aime bien comparer.

Shining Stephen King Kubrick

Le livre raconte l’histoire d’une famille qui s’installe dans un hôtel dans les montagnes du Colorado. À pareille altitude, les hivers sont rigoureux (un moins quinze qui m’a bien fait rire!) et les conditions météorologiques ainsi que les accumulations de neige obligent les propriétaires à le fermer au cours de la saison froide, les routes étant pratiquement impossibles à entretenir. Jack Torrance y est embauché comme gardien, il devra veiller sur l’hôtel pendant la période de fermeture. Sa femme Wendy, son fils Danny et lui y emménagent donc, sachant qu’ils seront coupés du monde dès que la neige s’installera. On avise Jack: le dernier gardien est devenu fou en raison de l’isolement et, après avoir sombré dans l’alcool, il a tué sa femme et ses deux filles. Jack n’y voit aucun problème: il a arrêté de boire et a besoin de cette solitude pour avancer dans son travail d’écriture.

Qu’en ai-je pensé, donc?

1) Ça se lit bien. Le style est fluide et efficace, et King emploie la comparaison pour créer des images ou pour faire de l’humour. En ce sens, c’est déjà mieux que certains livres de littérature populaire que j’ai lus (et malgré tout appréciés).

2) Il y a cependant des longueurs. Surtout dans les passages où la narration est focalisée sur Jack Torrance. L’auteur passe beaucoup de temps à décrire ses pensées, car il veut développer la psychologie du personnage, sans doute pour que le lecteur comprenne bien ses incohérences, mais ce n’est pas toujours nécessaire.

3) Si ce n’avait été du don de Danny, qui ressent les émotions des autres, peut lire dans leurs pensées et dans l’avenir, j’aurais sans doute décroché. C’est mon intérêt pour les aptitudes surnaturelles qui m’a donné envie de poursuivre.

En somme, c’est une bonne histoire, bien ficelée, qui se lit facilement et repose sur un suspense efficace. Par contre, bien que King cherche à étoffer la psychologie des personnages, ceux-ci m’ont semblé plutôt “archétypés”. Les hommes, pour plusieurs, tiennent des propos grossiers, surtout au sujet des femmes, et ces dernières, représentées par le seul personnage féminin de Wendy, sont reléguées au rôle traditionnel. Comble du stéréotype, Wendy est incapable de marcher avec des raquettes.

“Quand le vent souffle, il fait plus froid dans ces chambres-là que dans le con d’une femme frigide.” (p. 30)

“Bon sang, vous pouvez même vous taper ma femme si vous aimez les planches à pain.” (p. 319)

“Hallorann pressa l’accélérateur avec la même ardeur que s’il s’était agi du sein d’une femme bien-aimée et la Buick partit en dérapant vers la droite.” (p. 386)

Certes, on peut avoir voulu mettre en lumière ce genre de personnages (ça existe, des gens comme ça), mais je conserve un doute. Comme je n’ai rien lu d’autre de King, je ne peux me prononcer plus avant.

Shining au cinéma

Quel film! Malgré l’interprétation épouvantable de Shelly Duvall dans le rôle de Wendy, le Shining de Stanley Kubrick demeure un incontournable. Je l’avais vu il y a quelques années, et je l’ai réécouté cette semaine avec les élèves (notez que la version française est horrible, surtout en raison de la voix de Wendy). J’ai pu comparer avec le livre, que je venais tout juste de terminer. La plupart des éléments sont là, mais il y a des différences majeures, à mon avis très orientées par des choix cinématographiques. Le Danny du film est peu loquace et se promène dans les couloirs de l’hôtel en tricycle, la caméra qui le suit offrant une image vraiment forte. Son don s’exprime aussi autrement. Le Tony qu’il voit en pensée dans le livre s’exprime par ventriloquie dans le film, ce qui ajoute un niveau d’étrangeté au personnage. Enfin, le labyrinthe est un ajout de Kubrick, qui permet d’offrir une image forte. Bien sûr, sont absents du films des éléments importants du livre (certains remplacés par le labyrinthe), et la psychologie des personnages y est moins développée, malgré les 2 heures 26 du film.

Shining en extraits

“—Mais les choses ont bien changé. Comme vous le savez, les enfants ont assez fréquemment un comportement schizophrène. C’est une chose admise et les adultes semblent trouver tout normal que les enfants se conduisent comme des fous. Ils ont des amis imaginaires. Quand ils sont déprimés, ils vont s’asseoir dans un placard — ils se retirent du monde. Ils s’amourachent d’une couverture ou d’un ours en peluche. Ils se sucent le pouce. Qu’un adulte s’avise de voir ce que personne d’autre ne voit, il se retrouve à l’asile. Par contre, l’enfant qui prétend avoir vu un ogre dans son placard ou un vampire à sa fenêtre suscite notre condescendance souriante. Il y a un vieux dicton qui essaie de rassurer les adultes…
—Ça lui passera avec l’âge, compléta Jack.” (p. 158)

“L’ouvrier freina brusquement pour éviter l’arrière fuselé de la Cadillac qui, à son étonnement indigné, passa à un cheveu du pare-choc de sa Pinto.
Tout en klaxonnant furieusement, il déboîta alors sur sa gauche pour se porter à hauteur de la limousine dont les embardées se faisaient de plus en plus folles. Fou de rage, il se mit à invectiver Hallorann, lui suggérant de se prêter à un acte de perversion sexuelle puni par la loi et de se livrer à des rapports oraux avec divers rongeurs et oiseaux, invita tous les membres de la race noire à retourner dans leur pays d’origine et prétendit connaître la destination de l’âme de Hallorann après sa mort; pour finir, il déclara avoir rencontré sa mère dans une maison close de La Nouvelle-Orléans.” (p. 318)

KING, Stephen. Shining, JC Lattès, 2013, 430 p.

Le Garçon du dernier rang

Je lis peu ces derniers temps. Je m’étais bien lancée dans une relecture du Seigneur des anneaux, mais je me suis interrompue passé les 600 pages pour me plonger dans les lectures théoriques exigées par la maitrise. Et puis mon esprit est ailleurs… Mais! (Oui, point d’exclamation, tant pis pour la rupture syntaxique, j’ai la phrase qui se révolte [et je suis sans doute la seule personne en ce monde à me trouver drôle en ce moment].) Je dois rédiger une analyse filmique dans le cadre d’un séminaire portant sur le personnage de cinéma et j’ai découvert (ce n’était pas planifié) que le film que j’ai choisi, l’excellent Dans la maison de François Ozon (2012), est en fait une adaptation de la pièce de théâtre Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, auteur espagnol prolifique dont je n’avais jamais entendu parler avant.

Le garçon du dernier rang Juan Mayorga Théâtre Dans la maison Ozon

 J’ai donc lu Le garçon du dernier rang (ai-je besoin de le mentionner?) et j’en ai conclu deux ou trois choses:

  1. Le théâtre, c’est bien sûr plus agréable à regarder qu’à lire.
  2. Cette pièce doit être géniale au théâtre.
  3. Le film a su en faire une excellente adaptation.

Passons au cinéma, ce sera du pareil au même.

 Le garçon du dernier rang au cinéma

Ou presque, car Ozon a changé la fin (que je ne vous raconterai pas). Malgré tout, m’étant déjà étendue en plus de quinze pages sur le sujet à l’extérieur de ce blogue, je serai ici assez brève. Le film (comme la pièce Le garçon du dernier rang) met en scène le personnage de Germain, enseignant blasé, déçu par le manque de passion et d’intérêt de ses élèves pour la littérature. Il verra sa vie transformée par un garçon de seize ans, Claude, dont les rédactions, particulières autant dans leur ton que dans leur sujet voyeur, éveilleront chez lui un intérêt irraisonné. C’est que Claude raconte avoir trouvé le moyen de se faire inviter dans la maison de Rapha, un autre élève de la classe, et fait des membres de sa famille les personnages de ses histoires…

 Dans la maison est un film magnifique portant sur la création et les limites entre réalité et fiction. À voir, donc.

MAYORGA, Juan. Le garçon du dernier rang, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2009, 94 p.