Tu aimeras ce que tu as tué

Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean s’est tenu du 28 septembre au 1er octobre. Dans les jours précédant l’ouverture de cette 53e édition, j’ai commenté dans Facebook une publication de Radio-Canada, qui organisait un concours pour sélectionner les auditeurs qui participeraient au déjeuner des auteurs. On ne peut pas dire que le taux de participation ait été bien grand: aussi mon sort a-t-il été décidé par tirage avec des chances très élevées. J’avais eu le temps d’oublier le concours quand, le vendredi, on m’a contactée pour m’annoncer que le dimanche je déjeunerais avec Kevin Lambert et que je pouvais passer chercher son livre, Tu aimeras ce que tu as tué, aux bureaux de Radio-Canada.

Eh bien voilà, j’ai déjeuné.

Tu aimeras ce que tu as tué Kevin Lambert

Tu aimeras ce que tu as tué, premier ouvrage du jeune auteur, met en scène la ville de Chicoutimi jusqu’à en faire un personnage. Le narrateur, Faldistoire, interpelle constamment la ville, la plaçant dans une position de « dieu destructeur », dieu aimé et honni à la fois, dieu que l’on doit détruire pour que le monde puisse être. Pour Faldistoire, Chicoutimi est la cause de tous les tourments. Originaire du Saguenay, Kevin Lambert dit (je l’ai appris au déjeuner) entretenir une relation amour-haine avec sa ville natale, dont il regrette les préjugés et une sorte de repli sur elle-même. Dans ce roman très mature écrit à l’aube de sa vie adulte, il se moque ouvertement des travers de sa ville d’enfance et de ses discours suffisants:

On trouve tout à Chicoutimi, tout ce qu’un gars peut avoir de besoin, il peut pas mal trouver ça soit à Place du Royaume, au Walmart ou au gros Canadian Tire, soit au Club Price en montant Talbot vers le parc des Laurentides. On a un beau Rona à côté du Club Price, un gros Club Piscine – dans les plus gros. [­…] Il y a aussi le Tangay qui est pas pire, un énorme Gagnon-Frères avec un escalier roulant, le Bureau en Gros, un Omer DeSerres, tous les concessionnaires (sauf les luxueux), trois Tim Hortons bientôt quatre, un beau Pacini où tu peux faire toi-même tes toasts, une Casa Grecque avec un bar à salade, un Scores avec un beau bar à salade aussi, un beau nouveau Jean Coutu en face de l’autre Jean Coutu, mais le double de grandeur; on a vraiment rien à envier, même au monde de Québec. (p. 18-19)

Ce genre de propos, les gens du Lac ou des villes entourant Chicoutimi les ont entendus mille fois.

Avec Tu aimeras ce que tu as tué, Kevin Lambert réinvente brutalement le roman d’initiation. Dans l’univers déjanté qu’il crée de toute pièce en l’accolant sur la réalité chicoutimienne comme un duplicata redessiné, les morts reviennent à la vie comme si de rien n’était, les grands-pères fuckés abusent de leur petit-fils avant de se prendre pour un fantôme, les trans tombent enceintes et les enfants du primaire ont un langage de charretier. Faldistoire découvre ainsi très jeune la mort et la sexualité. Les thèmes de l’homosexualité et de l’intimidation se développent de façon peu banale parmi les dires, les pensées et les agissements de ce personnage cru et violent. À travers les paroles blessantes, les viols ou la maltraitance d’animaux suinte pourtant la sensibilité du narrateur qui veut, tant bien que mal, être aimé.

On s’occupe, on l’oublie. Ça nous revient dans face quand on tombe sur lui dans les douches. Ses sports de fif lui font des abdos troublants, il a des poils sur le chest, le pubis aussi foncé que la tête, en haut de ses six pieds. Recommencer à l’haïr, essayer de partir des rumeurs sur lui dans le je-m’en-câlisse général, jusqu’à un certain jour, un plot twist inattendu, une digression dans le scénario. Il pleuvait, la game de soccer avait été annulée, on était allés courir dans le gymnase même si on était pas obligés, on s’était ramassés juste les deux dans le vestiaire, juste les deux face à face dans les douches. Pour la première fois, on s’était parlé un peu, regardés dans les yeux, frenchés longtemps, enculés maladroitement sur le banc. On avait joui de sa queue solide, de ses larges épaules, la main plongée dans sa tignasse épaisse, on s’était tenus fort, fait rougir la peau, on avait manqué l’après-midi. (p. 152)

Remarquez combien efficacement les actions s’enchainent à l’intérieur de ce passage. Kevin Lambert a une écriture qui va vers l’avant. Les propos du narrateur déboulent à fond de train, et ce rythme pousse à s’accrocher à sa lecture – on ne voudrait pas tomber en bas de la montagne russe pendant que le train fonce.

L’auteur a su donner à Faldistoire une voix forte, imprégnée de son jeune âge et marquée par l’accent régional. Au-delà des expressions comme « faire simple » ou « espads », c’est une voix qui frappe en raison de la fracture qu’elle crée dans notre rapport à l’enfance. Le jeune Faldistoire a un vocabulaire d’adulte mal engueulé accolé à un criant manque de maturité. C’est cet écart entre l’adulte et l’enfant, fortement marqué par un niveau de langue qui tend à les rapprocher, qui donne sa voix particulière au narrateur.

Le directeur est en avant et peine à se faire entendre, il crie: taisez-vous, mais on est absorbés par nos jeux, nos rires, les rumeurs qu’on part sur les élèves des autres classes. C’est la remise des prix Méritas et le spectacle des sixième année, une pièce de théâtre nulle qu’ils ont montée toute l’année et qu’ils vont présenter fièrement, avec leurs faces d’on-est-plus-vieux-que-vous, et toute l’école va les trouver tellement hot et envier leur talent, leur confiance, leurs espads de skate. Nous, notre gang, avec Sébastien et Anne-Louise et Simon et Charles, on s’en contrecrisse d’eux, on les nargue comme les autres, on serait prêts à se battre avec même s’ils sont plus grands: on frapperait plus fort. (p. 93)

Kevin Lambert va jusqu’à créer un personnage qui est son homonyme. Le Kevin Lambert du roman est plus âgé que Faldistoire. Il habite le quartier des oiseaux et avale avec sa souffleuse, un jour de tempête, une petite fille cachée dans la neige. Pourquoi ce personnage? Pourquoi ce faux miroir? La réponse appartient à l’auteur. Quoi qu’il en soit, sa présence renforce notre conscience du clivage entre réalité (le vrai Chicoutimi) et réalité fictive (ce Chicoutimi où même les morts reviennent) sur lequel repose le roman.

Tu aimeras ce que tu as tué est un premier roman réussi et très achevé. Kevin Lambert n’y va pas de main morte, ni dans le développement des thèmes ni dans le choix des mots. L’écriture, menée « au pas de charge » pour paraphraser la quatrième de couverture, nous emporte dans sa cadence d’enfer: oralité, vulgarité, phrases accolées par des virgules… tout déboule dans un grand souffle jusqu’à l’entrechoc final.

Tu aimeras ce que tu as tué en extraits

« J’étais attiré par sa peau foncée comme une insolence envers le racisme latent de Chicoutimi, ses cheveux et ses yeux noirs: un majeur long et raide enfoncé profond dans l’anus de notre charmante ville et remué jusqu’à sa jouissance abondante et involontaire. » (p. 102)

« Impossible de dire, en le voyant, qu’il s’agit de moi sur le tableau, ni même avec certitude qu’il s’agit d’un être humain ou d’un décor de plage; la représentation du monde que se faisait Viviance négociait serré avec d’involontaires notions d’abstraction. » (p. 162)

LAMBERT, Kevin. Tu aimeras ce que tu as tué, Héliotrope, Montréal, 2017, 209 p.

Le ciel de Bay City

Je n’aime habituellement pas les récits pessimistes car, absorbée par ma lecture, je sens qu’ils me tirent vers le bas, vers une mélancolie qui n’est pas dans ma nature et, bien souvent, ça me déprime. C’est l’une des raisons pour lesquelles je n’aurais pas cru ouvrir Le ciel de Bay City. J’en avais lu un extrait dans un manuel de la SOFAD destiné élèves de 4e secondaire, un extrait tiré de la première page et qui laissait tout de suite voir la qualité de l’écriture et la noirceur du thème.

“De Bay City, je me rappelle la couleur mauve saumâtre. La couleur des soleils tristes qui se couchent sur les toits des maisons préfabriquées, des maisons de tôles clonées les unes sur les autres et décorées de petits arbres riquiqui, plantés la veille. Je me souviens d’un mauve sale qui s’étire des heures. Un mauve qui agonise bienveillamment sur le destin ronronnant des petites familles. Dès cinq heures du soir, quand les voitures commencent à retrouver leur place dans les entrées de garage, on s’affaire dans les cuisines. Les télé se mettent à hurler et les fours à micro-ondes à jouir. [­…]
À Bay City, à peine la journée est finie qu’on accueille le soir frénétiquement en se préparant pour le sommeil sans rêve de la nuit. À Bay City, mes cauchemars sont bleus et ma douleur n’a pas encore de nom.” (p. 9)

Puis j’ai été curieuse, j’ai voulu découvrir Catherine Mavrikakis, l’auteure, et me suis procuré Le ciel de Bay City. En aucun temps je n’ai étouffé sous la lourdeur de la thématique, pourtant très soutenue, de la mort, passant des camps de concentration aux idées suicidaires et meurtrières d’une jeune Américaine hantée par le passé des siens.

Le ciel de Bay City est un récit à l’écriture noire, mais étrangement lumineuse, étouffante et pourtant pleine d’élan. Des thématiques serrées qui s’organisent comme une toile au fil de la narration. Un livre qui décrit la laideur avec de belles phrases qui la rendent poétique, tolérable, et la ramènent sur un pied d’égalité avec le beau et le vivant.

Le ciel de Bay City Catherine Mavrikakis

 Amy rêve de mourir depuis toujours; elle n’a pas eu la chance de sa sœur ainée mort née: elle doit vivre sous le ciel mauve de Bay City. Ayant quitté l’Europe post-Deuxième Guerre, sa mère et sa tante s’y sont établies pour élever de vrais petits Américains, et vivent dans le déni du passé. À Amy, curieuse et hantée dans ses cauchemars, elles refusent toute réponse. Sa mère voit dans ses visions nocturnes des fadaises tandis que sa tante y voit un signe de sainteté. D’une façon ou d’une autre, Amy est livrée à elle-même, à son désir de mort et à sa relation ambigüe au vivant. Elle baise sur les banquettes arrière, fume des joints, écoute Alice Cooper et travaille au K-Mart, emblème de l’Amérique prospère et seul lieu où elle se sent vraiment chez elle.

“Le ciel de Bay City” n’est pas un titre anodin. Pas que les titres le soient habituellement, mais plutôt que celui-ci est plus qu’à l’habitude imbriqué au récit. Les mots “ciel”, “Bay City” et “mauve” (non représenté en mot mais en couleur sur la couverture) sont récurrents tout au long de l’histoire, le ciel est presque en soi un personnage.

“Je ne peux leur expliquer ce qu’est le ciel pour moi. Que les avions que je lance en sa direction conjurent le mauvais sort, que leurs vapeurs toxiques embrassent les cendres de mes ancêtres et font saigner le firmament qui rendra un jour l’âme. Je ne veux sauver ni la terre, ni le ciel. Le monde est un désastre, à la catastrophe je veux participer en transperçant l’azur. À ma mort, il me faudra me faire pardonner d’avoir vécu si longtemps. Je n’aurai pas d’autre excuse que celle d’avoir voulu contribuer à l’apocalypse.” (p. 208)

On a été habitué par la littérature québécoise (vous excuserez la généralisation, mais elle est dénuée de tout sentiment négatif) à des fins simples et sans surprise (Voir Le roman sans aventure). Aussi ne m’attendais-je à rien de particulier à l’approche des dernières pages. J’ai été soufflée. (Ou peut-être suis-je bien naïve, bon public que je suis.) Écriture habile, parfaitement maitrisée, récit bien mené. Je me suis demandé un temps ce qui pouvait motiver cette écriture, ce qui permettait à l’auteure de construire au fil des pages, ce vers quoi elle avançait. Puis il m’a semblé que c’est un rappel des camps de concentration et de l’horreur, une réflexion sur la mort et donc sur la vie qui guidaient son écriture. Le personnage d’Amy existe pour faire parler ces thèmes.

Le ciel de Bay City en extraits

“Je n’ai aucun désir pour un type qui se fait acheter ses Playboy par sa mère et qui boit un café infâme parce qu’il croit continuer ainsi à téter le sein maternel. Mon cousin est un fils à sa maman. Un beau gosse certes, mais il y en a beaucoup à Bay City de garçons aux dents blanches. Le Colgate ou le Crest se vendent bien dans notre patelin.” (p. 63)

“Aussi scandaleux, inhumain que cela puisse paraître, celui ou celle qui meurt doit le faire seul. La mort n’est pas de l’ordre de l’humain, elle est sacrée, c’est-à-dire divine ou anodine. C’est une inconnue dont il faut respecter les secrets. C’est pourquoi les humains que nous sommes doivent s’incliner quand elle arrive vraiment et la laisser faire son œuvre, fût-elle diabolique, seule. J’ai compris avec la mort de Bernie que le scandale des camps de concentration réside dans cette mort collective, publique, arrachée à même la vie, abruptement. Les morts doivent avoir le temps de quitter les vivants et de devenir parias. Voilà pourquoi j’ai toujours pensé que ceux qui meurent violemment, accidentellement souffrent davantage que les autres.” (p. 165)

“Parfois, il me semble que ce serait bon de finir ainsi: à l’hôpital, dans les souffrances d’un cancer qu’on soulage à grands coups de morphine. Il me semble que c’est l’holocauste organisé du temps qui passe que je devrais accepter de vivre en mourant hébétée dans une chambre aseptisée et triste. Il serait très certainement doux de me faire l’hôtesse accueillante de la mort banalisée.” (p. 256)

MAVRIKAKIS, Catherine. Le ciel de Bay City, Héliotrope, 2011

Cristallisation secrète

Je me suis procuré un très beau volume: Œuvres. Tome II de Yôko Ogawa, de la collection Thesaurus chez Actes Sud. S’y retrouvent huit romans de l’auteure, que j’ai découverte en plongeant dans Cristallisation secrète. J’ai adoré son écriture poétique.

Cristallisation secrète Yôko Ogawa

La narratrice vit sur une ile isolée de l’archipel nippon. Elle habite seule la maison de ses parents depuis le décès de son père, sa mère ayant été emportée par la police secrète quelques années plus tôt. Sa mère faisait partie des personnes qui se souviennent de tous les objets s’étant trouvé sur l’ile, même après leur disparition. Elle conservait un exemplaire de chacun dans une petite armoire: une émeraude, un parfum, etc. Sans doute la police secrète, qui emporte tous les gens qui n’oublient pas, avait-elle découvert le secret de sa mère.

“Je me demande de temps en temps ce qui a disparu de cette île en premier.
— Autrefois, longtemps avant ta naissance, il y avait des choses en abondance ici. Des choses transparentes, qui sentaient bon, papillonnantes, brillantes… Des choses incroyables, dont tu n’as pas idée, me racontait ma mère lorsque j’étais enfant.
— C’est malheureux que les habitants de cette île ne soient pas capables de garder éternellement dans leur coeur des choses aussi magnifiques. Dans la mesure où ils vivent sur l’île, ils ne peuvent se soustraire à ces disparitions successives. Tu ne vas sans doute pas tarder à devoir perdre quelque chose pour la première fois.
— Ça fait peur? lui avais-je demandé.
— Non, rassure-toi. Ce n’est ni douloureux ni triste. Tu ouvres les yeux un matin dans ton lit et quelque chose est fini, sans que tu t’en sois aperçue. Essaie de rester immobile, les yeux fermés, l’oreille tendue, pour ressentir l’écoulement de l’air matinal. Tu sentiras que quelque chose n’est pas pareil que la veille. Et tu découvriras ce que tu as perdu, ce qui a disparu de l’île.” (p. 10)

La narratrice subvient à ses besoins en écrivant des romans mais, un jour, R., son éditeur, lui confie que, contrairement à elle, il n’est pas touché par les disparitions. Quand les oiseaux disparaissent à leur tour, il ne les oublie pas; comme toujours, il se souvient de tout. De peur d’être découverts par la police secrète, de plus en plus de gens se cachent…

Une idée originale menée tout en poésie et en douceur. On pourrait croire que c’est le début d’une saga, mais non: l’histoire de Cristallisation secrète ne couvre que 252 pages de mon gros volume. Malgré l’intrigue de départ, ce n’est pas un roman dans lequel déboulent les péripéties, c’est plutôt une réflexion sur la mémoire et l’existence.

Cristallisation secrète en extraits

“Ce matin-là, la neige qui tombait depuis la veille s’était arrêtée et il y avait un petit peu de soleil. Elle était fraîche et poudreuse, je m’enfonçais jusqu’aux chevilles à chaque pas. La population ne disposait pas de bottes spéciales pour les chemins enneigés comme les policiers, si bien que les gens paraissaient avoir le plus grand mal à marcher. Le dos rond, serrant contre eux leurs paquets, ils avançaient pas à pas avec prudence. Leur démarche était semblable à celle d’un vieil animal herbivore à l’air pensif.” (p. 95)

OGAWA, Yôko. « Cristallisation secrète » dans Œuvres tome 2, Actes Sud, coll. « Thesaurus », Arles, 2014, p. 9-252

Coraline

Tout à fait génial! J’ai vu le film tiré du livre il y a quelques années et, déjà, j’avais adoré l’univers glauque et surréaliste de Coraline, un conte d’horreur fantastique pour enfants superbement original. (L’abus de superlatifs me semble tout à fait approprié ici…)

Ce court roman de 152 pages raconte l’histoire de Coraline, une fillette qui vient d’emménager dans une maison à appartements qui, pour se désennuyer, sort explorer le monde qui l’entoure. Elle fera la connaissance de ses nouveaux voisins, sympathiquement étranges et incapables de dire son prénom correctement, ainsi que d’un chat sans nom tout particulier. Un jour de pluie, alors que ses parents travaillent encore et n’ont pas de temps pour elle, elle décide de se rendre dans le grand salon et de franchir la porte mystérieuse qui ouvre sur un mur de brique une fois sur deux. De l’autre côté, elle découvre un appartement identique au sien où l’attendent son autre mère et son autre père, identiques à ceux qu’elle connait à l’exception qu’ils sont beaucoup plus divertissants et… qu’ils ont des boutons à la place des yeux.

Coraline Neil Gaiman

Coraline est joli, simple, rondement mené et bien écrit. À mes yeux, un petit bijou. Le style, les personnages, les idées me plaisent. En deux mots: original et charmant.

Coraline au cinéma

Autant vous le dire d’emblée, je trouve le film Coraline magnifique. Toutefois, pour ce que j’en ai compris aux commentaires d’autres personnes, on aime ou on n’aime pas. Quoi qu’il en soit, pour moi, le film est superbe et rend bien l’univers du livre même si divers éléments y ont été introduits, comme un personnage de petit garçon qui, je présume, a pour rôle de rendre l’histoire plus dynamique à l’écran en ajoutant de l’interaction. Il est rare que je dise cela, mais je crois que les personnages du films sont mieux développés que ceux du livre grâce aux judicieux ajouts de Henry Selick (réalisateur et scénariste). Pour dire les choses autrement, le film rend honneur au livre de Neil Gaiman.

Voici la bande annonce de Coraline.

Coraline en extraits

“Coraline alla à la fenêtre et regarda tomber la pluie. Quand il pleuvait un peu, on pouvait encore sortir mais quand il pleuvait comme ça, pas question de mettre le nez dehors. Ça se précipitait depuis le ciel en projetant des éclaboussures là où ça tombait. C’était du sérieux, comme si la pluie avait une mission à remplir et que cette mission consistait à transformer le jardin en une vaste soupe boueuse.” (p. 12)

   “«S’il te plaît… Comment t’appelles-tu? Moi, c’est Coraline.»
Le chat bâilla sans se presser, voire avec application, en dévoilant une bouche et une langue extraordinairement roses. «Un chat n’a pas de nom répondit-il enfin.
— Ah bon?
   — Non. C’est bon pour vous autres, les noms. Parce que vous ne savez pas qui vous êtes. Mais nous, nous le savons; alors nous n’en avons pas besoin.»
Coraline trouvait ce chat d’un égocentrisme énervant. À l’entendre, il était le seul être au monde qui ait de l’importance.” (p. 39)

   “«Ah, c’est toi, dit-elle au chat noir.
   — Tu vois? fit-il en retour. Tu n’as pas eu tant de mal que ça à me reconnaître, même si je ne porte pas de nom.
   — D’accord, mais comment ferais-je si je voulais t’appeler?»
Il fronça le nez et se débrouilla pour avoir l’air peu impressionné. «Appeler les chats, c’est très surfait. Autant appeler une tornade.
   — Oui, mais si c’était l’heure de dîner, par exemple? Tu n’aurais pas envie qu’on t’appelle?
   — Si, naturellement. Mais il suffirait de crier “À table!” Tu vois, on n’a vraiment pas besoin de noms.” (p. 64)

“Le lendemain matin, le soleil déjà haut réveilla Coraline en dardant ses rayons en plein sur son visage.
L’espace d’un instant, elle se sentit complètement désorientée. Elle ne savait plus où elle était; elle n’était même pas tout à fait sûre de savoir
qui est était. Il est étonnant de constater à quel point notre personnalité dépend du lit dans lequel nous nous réveillons le matin. Étonnant, aussi, comme cette personnalité peut être fragile.
Parfois, Coraline oubliait qui elle était quand elle rêvait qu’elle explorait l’Arctique, la forêt amazonienne ou le coeur de l’Afrique; alors il fallait lui taper sur l’épaule en l’appelant par son nom pour qu’elle franchisse d’un bond un million de kilomètres et revienne en sursaut dans la réalité. En un quart de seconde elle devait se remémorer qui elle était et comment elle s’appelait, et constater qu’elle était là et pas ailleurs.
À présent, elle avait le visage au soleil et elle était Coraline Jones. Oui, c’était bien ça. Et la chambre verte et rose, ainsi que le bruissement du grand papillon en crépon peint qui voletait au plafond, vinrent lui rappeler en quel lieu elle venait de se réveiller.” (p. 67)

GAIMAN, Neil. Coraline, Albin Michel, 2003, 160 p.

La course au mouton sauvage

Vous ai-je déjà dit que les noms d’animaux dans les titres m’attirent irrésistiblement? J’ai pu le vérifier encore dernièrement alors que j’arpentais des bouquineries montréalaises. Presque tous les titres qui m’interpelaient contenaient des mots comme: poisson, tortue, papillon, etc. Les plantes me font habituellement le même effet. Quoi qu’il en soit, il n’est pas surprenant que parmi tous les Murakami pour lesquels j’aurais pu opter, ce soit La course au mouton sauvage qui soit sorti gagnant.

La course au mouton sauvage Haruki Murakami

Paru en 1982, La course au mouton sauvage est le 3e roman de l’auteur (et le premier traduit en français). On y trouve déjà la touche de l’auteur, quoiqu’elle se soit affinée par la suite. C’est un bon roman, juste bien étrange, dans lequel le narrateur est amené à partir en quête d’un mouton extrêmement rare, pratiquement impossible à trouver, autour duquel semble planer une aura de surnaturel. Ce n’est pas que le narrateur ait de l’intérêt pour ce mouton – il apprécie amplement sa vie ennuyeuse –, mais parce qu’il y est contraint par une organisation puissante. Ce qu’il a fait pour se retrouver dans une telle situation? Publier dans un magazine qu’il édite une photo de moutons envoyée par un ami de longue date.

Si j’ai apprécié La course au mouton sauvage, je ne peux pas compter cette lecture parmi mes coups de cœur. Je ne sais pas si c’est moi qui n’avais pas suffisamment envie de ce genre d’histoire (il y a de ça) mais, malgré l’intérêt que j’y portais, j’avais hâte de terminer le livre pour passer à autre chose. Comment dire… l’histoire est bonne, mais elle manque de finesse par moments sans compter qu’il y a quelques longueurs. Puis, il y a certains trucs qui m’ont agacée et qui n’ont sans doute rien à voir avec l’auteur mais plutôt avec la traduction française, tels que: comment un francophone peut-il avoir l’idée de traduire “girl friend” (on peut présumer que c’est en japonais dans la version originale) par… “girl friend”! Ça me dépasse. Complètement.

Enfin, comme toujours, les livres de Murakami regorgent de réflexions en plus de repères culturels sur la littérature, l’histoire et la musique, ce qui leur donne plein d’intérêt. En plus, il sait créer des personnages et leur donner vie. Particulièrement ses personnages masculins; j’ai un bémol pour les féminins.

Quand je le noterai sur Babelio, je lui donnerai 3/5.

La course au mouton sauvage en extraits

“C’est difficile de bien parler des choses dont on a vraiment envie de parler, tu ne trouves pas?” (p. 15)

“J’allais prendre la parole quand le maître d’hôtel approcha de notre table d’un pas qui emplissait la salle de sa belle assurance. Avec un léger sourire, comme s’il m’avait montré la photo de son fils unique, il me présenta l’étiquette de la bouteille, puis, sur mon acquiescement, il en ôta le bouchon qui partit avec un petit bruit agréable et remplit nos verres, gorgée par gorgée. Le vin avait un goût de dépense alimentaire condensée.” (p. 41)

“Ses mains fines ne portaient pas la moindre ride, et ses dix longs doigts effilés faisaient penser à un troupeau d’animaux dont chaque individu, dressé durant de longues années et parfaitement maîtrisé, gardait encore vivante en son cœur la mémoire primitive des origines. Les ongles manucurés à la perfection, laissaient deviner le temps et les patients efforts qui leur avaient été consacrés et dessinaient au bout des doigts dix superbes ellipses. C’étaient de très belles mains en vérité, même si elles avaient je ne sais quoi d’inquiétant. Elles évoquaient une spécialisation de haut niveau dans un domaine très précis, sans qu’on eût pu dire lequel.” (p. 65-66)

“Un écrivain russe disait que, si le caractère pouvait s’altérer quelque peu, la médiocrité demeurait identique pour l’éternité. Ils sont quelquefois très avisés, ces Russes. C’est sans doute qu’ils ont tout l’hiver pour gamberger.” (p. 117)

MURAKAMI, Haruki. La course au mouton sauvage, Points Seuil, 1990, 373 p.