La Meute

Je ne fréquente pas souvent les théâtres, pourtant j’adore aller voir une bonne création. De la même façon, je lis peu de pièces de théâtre, à moins qu’elles ne soient portées à mon attention. J’ai pris plaisir à découvrir La Meute d’Esther Beauchemin grâce à un contrat de rédaction de fiches pédagogiques pour le regroupement des éditeurs franco-canadiens. L’ouvrage de 130 pages est paru aux éditions Prise de parole en 2005.

Catherine, Irène, Éric, les jumeaux et le bébé vivent dans un chalet en forêt depuis maintenant des semaines. Ils s’y sont installés avec leur mère après la mort de leur père. Pourtant ils y vivent seuls, leur mère n’entrant presque plus dans le chalet. Désormais, elle oublie même de leur apporter à manger. Elle dort dehors, avec la meute de chiens dont elle fait l’élevage. Son objectif: protéger sa famille des Ombres, celles qu’elle pense responsables de la mort de son mari. Elle ne croit pas au diagnostic des médecins. Le cancer du cerveau de son mari ne fait pas partie de sa réalité: les Ombres sont après leur famille et il faut les fuir. Continue reading « La Meute »

Une dent contre l’ordinaire

Après avoir publié Dévorés chez L’Interligne en 2018, Charles-Étienne Ferland récidive avec un recueil de nouvelles, intitulé Une dent contre l’ordinaire, cette fois aux Éditions Prise de parole.

Une dent contre l’ordinaire contient quatorze textes aux thèmes éclatés et aux genres variés. De la science-fiction au fantastique en passant par le suspense ou le récit autobiographique, le recueil transporte le lecteur un peu partout et, pourtant, ce voyage se fait autour d’un seul et même pôle, celui de l’ordinaire. Il y est en effet question de l’ordinaire bien réaliste du quotidien, mais aussi de l’ordinaire réinventé ou distordu que l’on peut se permettre d’imaginer. Continue reading « Une dent contre l’ordinaire »

Champion et Ooneemeetoo

Une des choses que j’apprécie du contrat que je fais pour le Regroupement des éditeurs franco-canadiens, c’est qu’il me fait découvrir des ouvrages dont j’ignorais l’existence. Parmi ceux-ci, une traduction de Kiss of the Fur Queen, réalisée par Robert Dickson et publiée aux éditions Prise de parole sous le titre Champion et Ooneemeetoo. Ce livre de l’auteur cri Tomson Highway est un roman grandiose qu’on devrait, à mon avis, se faire un devoir de lire afin de connaitre un aspect souvent occulté de notre culture canadienne, celui de nos relations avec les Premières Nations et de leur apport culturel. Continue reading « Champion et Ooneemeetoo »

Oubliez

On a récemment soumis à mon attention un recueil de poésie paru chez Prise de parole en 2017, Oubliez, de Sylvie Bérard. Ce court livre de 78 pages a remporté le Prix de poésie Trillium en 2018. Comme son titre le laisse présager, il aborde le thème de l’oubli. Les deux angles sous lesquels le thème est traité rendent le recueil plutôt intéressant. On y rencontre d’abord l’oubli volontaire, celui que l’on tente à la fin d’une relation amoureuse. Puis survient en deuxième partie l’oubli involontaire dû à la maladie. Continue reading « Oubliez »

Pierre, Hélène & Michael – Cap Enragé

J’ai découvert Herménégilde Chiasson pour la première fois lorsque je suis allée aux Correspondances d’Eastman en 2015. Plus tard, j’ai eu la chance d’assister à un atelier d’écriture qu’il a animé à Québec, mais je n’avais rien lu de lui avant cette année. Le premier texte de sa plume que j’ai découvert est publié dans Sur les traces de Champlain, et m’a laissée un peu dubitative. Il y présente une entrevue fictive avec Samuel de Champlain en jouant sur les anachronismes. C’est intéressant, mais cela ne m’a pas autant charmée que les deux pièces de théâtre dont je viens de faire la lecture: Pierre, Hélène & Michael et Cap Enragé. Continue reading « Pierre, Hélène & Michael – Cap Enragé »

Sur les traces de Champlain

Le 23 octobre 2015, après environ deux mois de documentation sur Samuel de Champlain, 24 auteurs de la francophonie sont montés à bord d’un train en partance d’Halifax et ont entamé un voyage d’écriture d’une durée de 24 heures. À leur arrivée à Toronto, le lendemain, chacun avait écrit la partie de l’histoire qui lui avait été attribuée afin de constituer cet ouvrage en 24 chapitres, Sur les traces de Champlain: un voyage extraordinaire en 24 tableaux, relatant les aventures du cartographe de la Nouvelle-France en les années 1600. Continue reading « Sur les traces de Champlain »

À grandes gorgées de poussière

À grandes gorgées de poussière de Myriam Legault, paru en 2009, est le premier roman sur lequel je travaillerai dans le cadre d’un contrat en collaboration avec le Regroupement des éditeurs franco-canadiens et les éditions Prise de parole. Je rédige des fiches pédagogiques qui serviront à l’enseignement de la lecture dans les classes des écoles secondaires francophones canadiennes. Prise de parole est un éditeur qui est animé par un constant souci de susciter un travail intellectuel chez ses lecteurs, et après la découverte de Nipimanitu et celle de Lettres à mon ami américain (qui attend sagement que je plonge plus avant), j’ai pu constater que, bien que roman pour adolescents, À grandes gorgées de poussière ne fait pas exception à la rigueur qui anime la maison.

À grandes gorgées de poussière Myriam Legault Prise de parole

Martine est née au village. Elle y habite depuis toujours, n’a jamais connu la grande ville. Elle connait le pouls des lacs et des rivières comme elle connait l’ennui, qu’elle chasse en compagnie de son ami Antoine. Contrairement à elle, celui-ci aime le rythme lent de la campagne. Il ne ressent pas sa curiosité pour la métropole ni sa soif d’ailleurs. Un été, Nadine la citadine débarque au village avec sa mère. Les deux sont animées d’un grand esprit de liberté et ne ressemblent à personne. Nadine et Martine deviennent immédiatement amies, transformant en trio le duo Martine et Antoine.  La narratrice s’inquiète: et si le courant passait trop entre ce dernier et la nouvelle venue? Aurait-elle encore une place?

Ce qui frappe d’emblée dans À grandes gorgées de poussière, c’est le style. Myriam Legault a choisi de s’adresser à un public adolescent sans pour autant lui rendre la tâche « facile ».  L’auteure semble avoir fait confiance à l’intelligence des jeunes et à leur capacité à déchiffrer un texte. Elle ne présente pas un ouvrage réduit à la formule platonique sujet-verbe-complément qu’on rencontre parfois (ou trop souvent) lorsqu’on veut rendre un livre « accessible ». L’accessibilité ne devrait jamais être issue d’une perte de qualité. Un style nourri – et c’est mon opinion – peut créer des images qui facilitent la compréhension. Puis, la lecture s’apprend. Décoder les images s’apprend. Et c’est avec des romans comme À grandes gorgées de poussière qu’on peut faire ce genre d’apprentissage. Qu’il soit parsemé de figures de style ne saurait être un obstacle, mais un tremplin.

Les livres qui ne font pas l’économie du style ou de la complexité ont le potentiel de plaire pour des raisons qui dépassent la force de l’intrigue. À grandes gorgées de poussière a cette qualité qu’il présente différents niveaux d’intérêt. Il pourra en ce sens plaire à des publics variés, autant adultes que jeunes. Le thème est simple: une adolescente se cherche dans le regard de ses amis et dans le désir d’un ailleurs géographique. Toutefois, en 157 pages, le roman parvient à mettre en scène des personnages complexes et nuancés dont les émotions forment un propos cohérent. Le récit ne suit pas non plus des chemins tracés d’avance et montre que, pour se choisir, il faut faire certains deuils.

L’écriture est ce qui m’a le plus plu. L’auteure joue sur les mots à travers la parole donnée à la narratrice de cette histoire à la première personne. Elle allie les sonorités, les images et les significations d’une façon pleine et assumée qui va jusqu’à l’utilisation occasionnelle d’un métalangage, c’est-à-dire ici d’un discours sur la langue elle-même:

« Je devrais faire ci, je devrais faire ça, je devrais regarder Nadine moins souvent, je devrais quitter le village une fois pour toutes… Le verbe devoir est énervant. Il montre du doigt et condamne, mais il n’aboutit à rien. C’est le cul-de-sac de la langue. » (p. 23-24)

Ce genre de propos rend conscient le jeu sur la langue pour le lecteur inattentif ou inexpérimenté (du moins je présume qu’il peut mener à une forme d’éveil langagier). Il met la langue en relief et peut, je crois, mener les jeunes lecteurs à remarquer le travail qui est fait sur cette langue ailleurs dans le roman.

Avec À grandes gorgées de poussière, Myriam Legault signe une oeuvre à la fois simple et complexe. Une lecture légère qui saura plaire à plusieurs.

À grandes gorgées de poussière en extraits:

« Décidément, j’ai un penchant pour la digression. C’est que j’aime rêvasser. Si on me demandait de faire un autoportrait, je me peindrais avec un doigt sur la tempe, les yeux rivés sur quelque chose à l’extérieur du cadre, perdue dans un rêve. Qu’est-ce qui se trouve en dehors du cadre? Tout et rien. »
   Nadine a dardé sur moi son regard caramel, et j’ai vu la lune reflétée dans le noir de chaque œil. (p. 35)

« Nadine avance d’un pas hésitant et pousse un soupir en sautant sur le roc. Puis, elle me regarde en souriant. La terre ferme lui a redonné sa dignité. Elle est passée du soupir au sourire; elle était sous le pire, elle est maintenant sous le rire. Elle se plante les mains sur les hanches, parcourt les environs du regard […] » (p. 72)

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LEGAULT, Myriam. À grandes gorgées de poussière, Prise de parole, Sudbury, 2009, 157 p.