96 bric-à-brac au bord du lac

Cet automne est paru 96 bric-à-brac au bord du lac, sixième recueil du poète jeannois Charles Sagalane. Un patronyme empreint de poésie, n’est-ce pas? C’est qu’il est, comme tout ce qu’écrit l’auteur, une construction symbolique. Celle-ci est livrée dans ce recueil en un poème, à qui saura le déchiffrer. Car Sagalane n’est pas juste un « ramasseux rare » (p. 74), c’est un bricoleur. Qu’il construise des bibliothèques de survie ou des poèmes, l’auteur agence les matériaux pour créer un mini édifice, selon une structure bien précise. Qu’elle obéisse au pouvoir des nombres (96 pour ce recueil) ou à celui des rimes, qu’elle se crée en coupant dans le bois brut ou dans la page, la structure est contrainte et jeu. Elle inspire.

Avec 96 bric-à-brac au bord du lac, Sagalane explore le monde des objets pour en faire la poésie du quotidien. De ce bric-à-brac amoureusement entassé dans un coin de sa propriété sur le bord du lac, le poète fait l’inventaire et rend hommage aux souvenirs qu’il suscite.

J’ai offert
Aux objets
L’alphabet
Qu’il fallait (p. 31)

96 bric-à-brac au bord du lac Charles Sagalane La Peuplade poésie

Avec ce recueil, Charles Sagalane se tourne vers la musicalité épurée des vers courts, mais il explore aussi différentes formes afin de rendre justice aux objets qu’il fait vivre. Le poème de la page 17 prend par exemple la forme d’une lampe et on retrouve à la page 38 une plaque d’immatriculation personnalisée. Pour Sagalane, la poésie est un art et un jeu, pour ne pas dire l’art du jeu. Les énigmes poétiques, dont le titre est à deviner, sont un bel exemple de cela. Par exemple, p. 189:

la tête
à l’envers

je dis

hello
soleil

Sauriez-vous dire de quel objet il est question? Tentez une réponse en commentaire à cet article!

Je ne suis ni une lectrice de poésie ni une amoureuse des objets, mais j’ai fait quelques belles trouvailles dans 96 bric-à-brac au bord du lac. Parce qu’il varie les formes, ce recueil permet à différents types de lecteurs d’y trouver leur compte. Ce que, de mon côté, j’ai trouvé le plus intéressant, c’est les poèmes des pages 172 à 183. Six poèmes tirés à partir de la page 96 de six livres choisis par l’auteur, et créés par rature. Des poèmes écrits avec des mots déjà en place. Le résultat est parfois surprenant. Et quel bel exercice à faire en classe de poésie, amis enseignants!

Charles Sagalane 96 bric-à-brac au bord du lac La Peuplade poésie Prix de poésie Radio-Canada

À la lecture de 96 bric-à-brac au bord du lac, on se doute que Charles Sagalane aurait été un poète heureux du temps des cafés littéraires de l’époque d’Apollinaire puis de Perec. Des calligrammes du premier aux jeux de contraintes du deuxième il tire assurément de l’inspiration.

Boutique obscure

un 96
un autre 96

s’arrête enfin du 96
Perec en descend
il a l’air content
voilà qu’il me tend
une carte d’affaires
où nos deux noms
sont écrits
il désigne
notre titre
et sourit

contrôleur de ligne (p. 101)

Propager la poésie

Lauréat du prestigieux Prix de la poésie Radio-Canada 2016 et cofondateur de la populaire Microbrasserie du Lac-Saint-Jean, Sagalane vit aujourd’hui du métier d’écrivain et des ateliers qu’il anime dans les bibliothèques et les écoles. J’ai eu la chance de le recevoir avec un groupe d’élèves adultes, au printemps dernier, et je peux vous dire qu’il sait rendre à la poésie son aspect ludique et éclatant. À travers différents jeux de mots, de répétitions ou d’effets sonores, il amène les novices à produire quelques vers et à entendre la musicalité des mots. Il rend la poésie accessible. Loin du poète que les clichés représentent un foulard noué au cou, Sagalane s’est présenté à nous vêtu d’un chandail à l’effigie d’une bière microbrassée chez lui, pour le plus grand plaisir des fans de la marque. Comme quoi on peut être poète et bien d’autres choses à la fois.

SAGALANE, Charles. 96 bric-à-brac au bord du lac, La Peuplade, Chicoutimi, 2018, 218 p.

Le poids de la neige

Avant de partir en voyage vers le Sud (voir mon « enquête » littéraire ici), je me suis sérieusement demandé quel livre apporter pour lire en avion et en fin d’après-midi, à la chambre, entre le moment de la douche et celui du souper. Quand j’ai découvert que la bibliothèque de l’école où je travaillais avait été garnie d’un exemplaire de Le poids de la neige de Christian Guay-Poliquin, je me suis demandé comment je ferais pour l’emprunter, sachant très bien que je risquais d’habiter une autre province au moment où je devrais le retourner. Puis j’ai trouvé: je chargerais quelqu’un de ma connaissance de le rapporter pour moi. Le poids de la neige contre la canicule cubaine puis contre celle qui, au Québec (36 degrés!), a accompagné la lecture des derniers chapitres.

Le poids de la neige Christian Guay-Poliquin La Peuplade

Le poids de la neige est définitivement un livre enneigé. On y découvre le narrateur, les jambes cassées et plutôt mal en point, prisonnier du village où il avait voulu se rendre pour une dernière visite à son père. Un accident de voiture l’a cloué au lit. Une panne d’électricité majeure a coupé le village des villes environnantes. Puis la neige, toute cette neige qui ensevelit les villageois dans son abondance, force la petite population à attendre la fin de l’hiver pour se rendre en ville. De toute façon, même s’il le voulait, le narrateur ne pourrait aller plus loin que le pied de son lit: il ne parviendrait pas à se relever tout seul. Il est chanceux d’avoir survécu. Encore plus que le vieux Matthias ait accepté d’en prendre soin jusqu’au printemps contre la promesse qu’on l’aide à rentrer chez lui dès la fonte de la neige.

C’est donc sous la véranda d’une maison de campagne que se déroule toute l’action de ce roman qui fait suite à Le fil des kilomètres, paru en 2013.  Ce premier livre, je ne l’ai pas lu, mais mes recherches m’ont vite fait découvrir que c’est entre ses pages que se fait la route qui mène le narrateur jusqu’à son lit d’éclopé. Le poids de la neige débuterait ainsi à peu près là où se termine le premier opus.

La majorité de l’action de ce deuxième livre se passe donc dans la minuscule pièce où les deux hommes ont trouvé refuge. Ils n’accèdent pas au reste de la maison, qui serait trop difficile à chauffer. Les ressources se font rares depuis le début de la panne. Les villageois s’entraident comme ils le peuvent. Certains vont chasser. Puis, les déplacements sont aussi limités en raison de la rareté de l’essence. Ainsi, c’est entre quatre murs et entre quatre yeux que ce récit débute. De temps à autre, un villageois rend visite aux deux hommes. L’un apporte des vivres, l’autre des nouvelles.

L’action est lente, les évènements d’abord banals, mais on ne s’ennuie jamais. Là réside probablement l’une des plus grandes forces du jeune auteur: parvenir à tenir le lecteur en haleine avec de microévènements. Si l’intrigue accroche le lecteur (mais quand et comment réussiront-ils à quitter la véranda et le village?), le style et les images fortes qui ponctuent l’écriture sont sans doute ce qui fait le moteur du livre.

La neige et le vent ont cessé subitement, ce matin. Comme une bête qui, sans raison apparente, abandonne une proie pour en chasser une autre. Le silence nous a surpris, dense et pesant, alors que nous avions encore l’impression que les rafales allaient arracher le toit et que nous serions aspirés dans le vide.

Quand on regarde par la fenêtre, on dirait qu’on est en pleine mer. Partout, le vent a soulevé d’immenses lames de neige qui se sont figées au moment même où elles allaient déferler sur nous.

Matthias en a profité pour faire un tour dehors. Dans le tunnel sans fin de ma longue-vue, je le vois qui s’éloigne en marchant sur la neige durcie par le froid. Et sa silhouette rapetisse à mesure qu’il s’approche de la forêt. On dirait un Roi mage qui avance vers son étoile.
 (p. 110)

Comparaisons, métaphores et personnifications font naitre une foule d’images dans notre esprit. Elles ont pour effet de nous emmener ailleurs, de nous sortir momentanément de la véranda, de nous guider plus loin que la tempête, ce qui fait qu’on ne se sent pas cloitré entre les pages comme l’est le narrateur dans la maison. On suit le fil des pensées comme, je l’imagine, on suivait le fil des kilomètres dans le roman précédent. Seulement, le véhicule n’est pas le même, le rythme non plus.

Le poids de la neige est de ces livres qui font la démonstration que la force d’un récit réside souvent dans celle de l’écriture. L’histoire intrigue et les phrases transportent. Une grande partie du plaisir tient dans l’agencement des mots et des idées, des tournures qui amènent la pensée ailleurs. Une belle lecture!

Le poids de la neige en extraits

« La véranda s’ajuste au froid. Le bois de la structure se raidit. Les fondations serrent les dents. Parfois, des tintements secs résonnent entre les poutres. Ce sont des clous de la toiture qui cèdent sous la pression. Les cheminées du village fument généreusement. Partout, les gens se font réveiller par les caresses glaciales de l’hiver et se dépêchent de faire une première attisée. L’écorce de bouleau produit une fumée blanche qui monte en ligne droite dans l’air immobile. On dirait des colonnes de marbre qui soutiennent le ciel. Comme si nous vivions dans une cathédrale. » (p. 112)

« Où tu penses aller comme ça? grommelle-t-il, les dents tâchées de vin et la bouche pâteuse. Regarde à l’extérieur, allez regarde, insiste-t-il en désignant vaguement la fenêtre. Hein, où penses-tu aller? Il n’y a nulle part où aller. On nous a abandonnés. Regarde, je te dis! Regarde tant que tu veux! Il n’y a plus rien à voir. Nous sommes pris au piège dans une mer de glace. Vingt mille lieues sous l’hiver. » (p. 200)

« Malgré son âge, Matthias avance vite et je peine à le suivre. À la hauteur de l’aréna, je le perds de vue. Je reste sur place et regarde la bâtisse assujettie par la neige. Ce n’est plus qu’un amas de tôle enfoui sous une avalanche de silence. Comme la véranda, mais en plus grand. Ce n’est pas une nef échouée, c’est un navire gigantesque qui a heurté un iceberg. » (p. 233)

GUAY-POLIQUIN, Christian. Le poids de la neige, La Peuplade, Chicoutimi, 2016, 296 p.

Avant l’après: voyages à Cuba avec George Orwell

Il y a mille choses que j’ai aimées dans ce livre de Frédérick Lavoie (et plusieurs extraits que veux noter). C’est pourquoi, même si j’en ai fait la critique déjà pour le webzine Les Méconnus (ici), je prends le temps d’écrire un billet sur cet ouvrage, mélange de récit, de reportage et de fiction.  Avant l’après: voyages à Cuba avec George Orwell scrute Cuba sous la loupe du quotidien. Bien qu’il aborde largement le sujet, ce n’est ni un essai historique ni un essai politique. C’est le récit d’une intrigue, celle liée à la parution de 1984, classique du roman d’anticipation et grande dystopie des régimes totalitaires, une intrigue comme il y en a tant au pays des Castro.

Avant l'après voyages à Cuba avec Goerge Orwell Frédérick Lavoie La Peuplade

En 2016, le journaliste Frédérick Lavoie se prépare à s’envoler pour Cuba afin d’en circonscrire l’aujourd’hui. Avant l’après. À ce moment, Fidel Castro se rapproche tranquillement de sa mort et son frère, Raúl, dirige le pays. Si on sait que l’ère des Castro achève, on ne peut qu’imaginer ce que sera demain. Comment les Cubains organiseront-ils cet avenir?

L’avenir est un temps intrinsèquement imprévisible. Les variables qui doivent entrer en collision pour le transformer en présent sont si nombreuses et si variées que toute tentative de prédiction est vouée à être au moins partiellement inexacte. Nous pouvons nous préparer à l’affronter par tous les moyens, notre emprise sur celui-ci demeurera toujours infime. (p. 373)

C’est afin de garder une image juste de la Cuba d’aujourd’hui que Lavoie a décidé de faire ces trois voyages sur l’ile. Effectuant quelques recherches avant de partir, il fait une découverte surprenante. L’éditeur cubain Arte y Literatura s’apprête à lancer une traduction cubaine du roman antitotalitariste 1984 de George Orwell. Comment la Cuba de la censure a-t-elle pu laisser passer ça? Est-ce un signe de changement? Cette énigme accompagnera Frédérick Lavoie dans chacun de ses voyages, transformant son périple en enquête.

Avant l’après, à travers le parcours du journaliste, offre une réflexion intéressante sur le pouvoir qu’on donne aux mots ou à la littérature. On y fait la rencontre d’œuvres et d’auteurs, cubains ou étrangers, d’éditeurs du pays, et d’agences étrangères  qui y ont fait circuler en douce des traductions d’œuvres dystopiques.

[…] dans le cadre d’un cours sur la Guerre froide à l’École de l’Institut d’art de Chicago, [ma compagne Zeenat] vient de lire un article à propos d’un programme de traduction de livres et d’articles créé dans les années 1950 par la United States Information Agency (USIA) [« The USIA Book Program: Latin America », Warren Dean, Point of Contact, septembre-octobre 1976, vol. 1, no 3]. Le programme ciblait particulièrement l’Amérique latine et son objectif principal était de « rendre plus réceptifs les étrangers influents aux postulats de la politique étrangère américaine, et ce, de manière à ce qu’ils ne reconnaissent pas que cela émanait du gouvernement américain. » Dans les livres traduits par la USIA, aucune mention n’était faite de la contribution de l’agence. Selon l’article, durant ses 25 premières années d’activité, la USIA aurait contribué à 22 000 éditions de livres en 57 langues, pour un total de 175 millions d’exemplaires imprimés. Son programme n’était pas secret, mais très peu connu du grand public. Pendant ce temps, de manière beaucoup plus opaque, la CIA finançait elle aussi la parution de livres à l’étranger. Devant un comité du Sénat au milieu des années 1970, l’un de ses anciens agents avait décrit cette activité comme la « plus importante arme de propagande stratégique » utilisée par les services secrets américains pour contrer l’influence soviétique. (p. 119-120)

Le livre offre peu de réponses. Chaque pas vers la vérité soulève une myriade de nouvelles questions, conférant à Cuba une aura de mystère qui ne la quitte pas. C’est probablement ce qui rend cet ouvrage si passionnant: l’impression que les découvertes que l’on peut y faire sont sans fin. Une chose est certaine, sa lecture donne envie de se prendre au jeu du journaliste et de s’envoler à son tour en dehors du huis clos des tout-inclus. Apprendre le quotidien, découvrir de nouvelles intrigues. Car le quotidien de nombreux Cubains est fait de ces petites intrigues: détour de marchandises par le marché noir, petits contrats effectués sur les voies obscures du Street Net, passation illégale de contenu culturel de porte en porte, etc.

Les geeks les plus avides de connectivité n’ont pas attendu que leur gouvernement agisse pour développer des moyens pour communiquer entre eux. Faute d’accès à Internet, ils ont créé leur propre réseau. Ils l’appellent le Snet, pour Street Net, le « réseau de la rue », la red de la calle. Personne ne peut en réclamer ni la paternité ni la propriété. C’est une oeuvre collective. Son bon fonctionnement et sa pérennité reposent sur la contribution active de chacun de ses membres. (p. 135)

Le câble part de son ordinateur, traverse l’appartement, puis passe par la fenêtre pour se rendre jusqu’au toit de l’édifice voisin, qui compte une douzaine d’étages. C’est là que se trouve le routeur sans fil qu’il partage avec un ami et qui leur permet d’échanger des données avec les serveurs des environs, qui agissent comme relais vers d’autres installés aux quatre coins de la capitale. Le Snet, c’est cette toile d’antennes. À mesure que ses utilisateurs arrivent à se procurer plus de matériel pour le développer, le réseau s’étend. (p. 136)

On découvre en Cuba un pays fascinant où tout n’est pas rose ni noir. Comme partout, les opinions y divergent. Certains veulent quitter le pays pour une vie plus libre, d’autres s’y sentent bien et quelques étrangers y émigrent. Malgré tout ce qu’on en dit, le pays a aussi ses réussites. Au moment où éclate la crise du Zika, par exemple, Cuba s’active et prend les grands moyens.

Dans certains pays d’Amérique latine, on recommande aux femmes d’éviter de tomber enceintes pour les deux prochaines années. À Cuba, une vaste campagne de fumigation a été lancée. L’armée a été mobilisée. Une fois par semaine, chaque citoyen doit ouvrir la porte de sa maison à des soldats armés d’un fumigateur. La campagne est totale. Elle semble donner de bons résultats. Les autorités ne recensent que quelques cas isolés d’infection sur l’île. C’est bien l’un des rares types de mobilisation qui fonctionne encore et donne des résultats. Sans doute parce que la Révolution a réussi à inculquer à tous l’importance de la santé publique. Et peut-être aussi parce que l’insecticide se vend mal sur le marché noir. (p. 151)

Enfin, Avant l’après: voyages à Cuba avec George Orwell est un récit/reportage qui se dévore comme un roman. Si le journaliste en est le narrateur, ce sont les habitants qu’il rencontre qui en sont les héros. Avant l’après est un livre bien dosé qu’il faut lire absolument.

Avant l’après: voyages à Cuba avec George Orwell en extraits

« Quand Daniel a lu 1984 pour la première fois à 18 ans, les similitudes entre Cuba et l’univers décrit par Orwell étaient beaucoup plus nombreuses qu’aujourd’hui. Comme Winston, il était alors convaincu qu’à la moindre incartade idéologique, il serait puni. « Maintenant, je crois plutôt que c’est à eux de m’expliquer pourquoi ils pensent que j’ai tort. » Il ne ressent plus le besoin de se censurer lorsqu’il parle au téléphone, dans la rue ou ailleurs en public. « S’ils m’écoutent, c’est tant mieux. Peut-être qu’ils trouveront que ce que je dis est intéressant et que j’ai raison. On ne peut pas vivre toute sa vie en pensant qu’on est sous observation. Il faut être libre. » » (p. 83)

« Dans les pays jouissant d’une grande liberté de presse, on s’insurge périodiquement contre le trop grand espace éditorial réservé aux faits divers. Les récits de ces affaires policières ou de mœurs sont considérés, souvent avec raison, comme l’expression d’un voyeurisme malsain et racoleur ayant peu à voir avec la défense de l’intérêt public. Or, c’est en constatant leur absence dans la presse qu’on saisit leur importance dans la description et la compréhension du monde tangible. » (p. 317)

« À l’instar de ma compatriote Margaret Atwood, je tiens donc aujourd’hui à lever l’obstacle principal à une éventuelle publication de mes écrits à Cuba, si jamais on les jugeait dignes d’intérêt.
Par la présente, je, Frédérick Lavoie, auteur d’
Avant l’après: voyages à Cuba avec George Orwell, m’engage à céder l’entièreté de mes droits d’auteur à toute maison d’édition cubaine qui souhaiterait publier ce livre dans son intégralité en traduction espagnole sur le territoire de la République de Cuba. » (p. 382)

« Le présent est un temps si fugace qu’on serait en droit de douter de son existence. Pourtant, c’est en lui que nous sommes condamnés à vivre de notre naissance jusqu’à notre mort. C’est à travers lui que, de gré ou de force, nous digérons le passé et avalons l’avenir. Le présent en tant que temps n’a de durée que celle qu’on veut bien lui donner. Pour espérer le comprendre, saisir sa nature, on se voit contraint de lui imposer des balises arbitraires, de lui créer un espace entre le passé et l’avenir. » (p. 418)

LAVOIE, Frédérick. Avant l’après: voyages à Cuba avec George Orwell, La Peuplade, Chicoutimi, 2018, 427 p.

La faim blanche

J’ai découvert dernièrement l’existence du webzine Les Méconnus (auquel j’aimerais vraiment collaborer, voilà je l’avoue). C’est par lui que j’ai appris l’existence de La faim blanche, paru dans la collection Fictions du Nord de La Peuplade, maison d’édition que je connais bien pour avoir ses racines dans ma région d’origine. J’adore d’ailleurs la facture visuelle des livres qu’elle publie.

La faim blanche Aki Ollikainen

À la librairie, les deux titres de la collection en mains, j’ai un moment hésité entre le titre animalier qui m’avait d’abord attirée là (Les excursions de l’écureuil) et la poésie des premières lignes de La faim blanche. C’est l’écriture qui l’a emporté. 1867. Le froid sévit, mais ce n’est rien contre les douleurs de la famine. Marja et les siens doivent abandonner leur maison, partir en quête de nourriture, marcher des kilomètres en plein cœur de l’hiver finlandais. Rester peut les tuer; partir aussi, mais c’est le seul espoir. Elle imagine la ville et l’abondance, rêve de se rendre à Saint-Pétersbourg, mais la mort les suit et la faim tord le ventre.

Vous aurez compris que ce n’est pas une histoire joyeuse. C’est un drame blanc comme l’hiver, il n’y a que cette couleur qui colle à l’esprit à mesure qu’avance l’histoire. Blanc, pas noir, malgré le thème. L’écriture est jolie, délicate, malgré le thème. Je crois que c’est ce qui fait la force de ce roman: le contraste, il traite par les opposés un thème qu’on s’imagine toujours sombre et dur. Il en résulte quelque chose de très humain, de très senti.

La faim blanche en extraits

   “Sur ces mots, la porte de l’auberge s’ouvre et un pasteur emmitouflé dans une épaisse fourrure sort accompagné de l’aubergiste. Mataleena a envie de rire; le chapeau de poil du curé ressemble à une boule de pissenlit duveteuse, bien qu’il soit plus marron que blanc. Si elle soufflait dessus, les poils s’envoleraient au-dessus de la neige et le curé n’aurait plus qu’un cône sur la tête. Les aigrettes tomberaient par terre. L’été prochain, des pasteurs à tête jaune pousseraient aux quatre coins de la cour, se balançant dans le vent.
Mais Mataleena n’ose pas souffler, et le vent qui passe ne balaie pas la bourre du chapeau.” (p. 53)

   “Soudain, le gazouillement ténu d’un ruisseau vint tinter à l’oreille. La neige fond. Dans le cimetière de la Vieille Église, les croix se découvrent. Elles sortent leur tête, pour voir si le temps de rappeler à l’homme sa fugacité dans le cycle des saisons est arrivé.” (p. 147)

OLLIKAINEN, Aki. La faim blanche, La Peuplade, coll. “Fictions du Nord”, Chicoutimi, 2016, 166 p.