L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet

Quand j’ai vu L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet de Reif Larsen en librairie, je me suis dit: wow! Il avait tout pour attirer la vacancière 2013 que j’étais alors: un format attirant, une couverture intrigante, une quatrième de couverture inspirante et une mise en pages toute particulière. C’est pourtant la vacancière 2014 qui l’a lu. Magique? Pas autant que je ne l’aurais cru.

L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet Reif Larsen

T.S. Spivet est un jeune prodige de douze ans habitant le Montana. Issu d’une famille de prime abord hétéroclite: son père est un fermier-cow-boy dont la culture se limite aux westerns; sa mère, une scientifique perdue dans des recherches aux allures vaines; sa sœur, une adolescente passionnée par les Miss personnalité de ce monde; son frère, mort bêtement. De son côté, T.S. est passionné de cartographie: il dessine des cartes de tout ce qu’il observe, de l’épluchage du maïs à la reproduction des insectes. Il reçoit un jour un appel lui apprenant qu’on lui décerne un prix prestigieux pour son travail scientifique. Sans aviser personne, il prépare ses bagages et orchestre son voyage, seul, vers Washington DC. Ainsi débutent ses aventures.

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet a tout pour plaire: l’idée est géniale, le concept aussi. Il y a, partout dans les marges, des petits dessins et des pensées (même en format poche, légèrement moins petit que les standards pour cette raison).

 

L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet p. 11 Reif Larsen

Seulement, bien que les critiques semblent enthousiastes, je n’ai pas été si charmée. L’écriture est agréable, mais il y a à mon avis beaucoup trop de digressions. Certes, elles servent à montrer comment fonctionne la tête de ce petit prodige, mais je leur reproche un côté didactique peut-être mal dissimulé. De plus, le récit de L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet ne m’a pas semblé suffisamment vraisemblable, il manque un petit je ne sais quoi pour que j’y crois vraiment (je suis pourtant une lectrice bon enfant). Surtout, ce qui manque à l’histoire, c’est un coeur plus solide, plus dense: le début est intéressant, la fin aussi, mais le milieu s’éternise quelque peu.

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet au cinéma

Jean-Pierre Jeunet en a fait un film en 2014. Je ne l’ai pas vu, mais les critiques que j’ai survolées sont positives. La bande-annonce laisse d’ailleurs croire à quelque chose de bien, et on y constate déjà que l’adaptation contient quelques judicieux ajouts.

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet en extraits

   “Nous bringuebalions dans le pick-up; mon père avait la main posée sur le haut du volant, son mauvais petit doigt légèrement relevé. Je regardais les chauves-souris qui fusaient en grinçant dans le ciel de plus en plus sombre. Si légères. Elles vivaient dans un monde d’échos et d’écarts, en conversation constante avec les surfaces et les solides.
   Je n’aurais pu supporter de vivre ainsi: elles ne connaissaient pas d’ici, seulement l’écho d’un ailleurs.” (p. 77)

“J’ai tenté d’empoigner mon appareil assez vite pour photographier la pancarte, mais, comme c’est si souvent le cas, l’image avait disparu avant que je puisse la saisir. Je craignais que mon album ne contienne que des photos prises un instant trop tard. Combien de clichés, dans le monde, sont en fait des clichés de l’instant d’après, et non de l’instant qui poussa le photographe à appuyer sur le déclencheur? Combien de clichés ne capturent que le vestige, la réaction, le rire, les vagues? Si nombreux soient-ils, ces clichés étaient pourtant tout ce qui me restait, et, parce que je ne pouvais revoir Layton qu’en photo et pas en chair et en os, ces échos d’actions, fixés sur le papier, se substituaient peu à peu dans mon esprit au souvenir des actions elles-mêmes, dont l’image m’avait échappé.” (p. 143-144)

“Les adultes étaient des entasseurs pathologiques de vieilles émotions inutiles.” (p. 333)

LARSEN, Reif. L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet, Le livre de poche, 2010, 408 p.

L’histoire sans fin

Il y a de ces histoires qui vous replongent directement dans votre enfance… Je me souviens, toute jeune, avoir été fascinée par le film L’histoire sans fin. Je ne pouvais quitter l’écran des yeux chaque fois qu’il était présenté à la télévision. Puis le temps a passé et le film a cessé de paraitre à la télé, du moins à ma connaissance. Il ne m’est revenu en tête que tout dernièrement, disons dans la dernière année, et j’ai depuis une envie folle de le revoir. Grâce au cinéclub littéraire, ça se produira bientôt. Toutefois, jusqu’à tout récemment, j’ignorais que le film était tiré d’un livre de Michael Ende. L’avoir su à l’époque, l’enfant que j’étais aurait harcelé mes parents pour avoir la chance de tenir le livre entre ses mains.

L’histoire sans fin Michael Ende lhistoire sans fin

Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que, dès que j’ai découvert l’existence du roman, je l’ai ajouté à ma sélection pour le cinéclub littéraire…

Bastien Balthazar Bux est un enfant peu populaire. Il est petit et gras, il a les jambes torses et sa timidité le rend maladroit. Il se réfugie donc constamment dans l’univers des livres, là où il peut vivre différentes aventures loin des railleries de ses camarades de classe. Un jour, il entre dans une librairie et aperçoit un livre qui lui semble vraiment spécial: la reliure est en cuir doré et un symbole constitué de deux serpents qui tiennent la queue l’un de l’autre dans leur gueule pour former un cercle orne la couverture. Bastien se sent irrésistiblement attiré par ce livre. Peut-être est-ce dû à son titre? L’histoire sans fin… Bastien a toujours rêvé d’une histoire qui ne se terminerait jamais… Une incompréhensible force à l’intérieur de lui le pousse à voler le livre. Il se réfugie ensuite dans une cachette secrète où personne ne pourra le déranger… et il entreprend la lecture de L’histoire sans fin. Il y découvre le pays fantastique, en danger de disparaitre, et son héros Atreju. Doucement, Bastien devient part de l’histoire, il découvre qu’il a lui aussi un rôle à y jouer.

La première moitié du roman L’histoire sans fin m’a fait renouer avec mes souvenirs d’enfance, même si ces derniers étaient plutôt vagues: je ne savais plus exactement à quoi m’attendre, mais le redécouvrir m’a fait bien plaisir. Puis, j’ai plongé dans la deuxième partie du roman, qui m’était complètement inconnue (un autre réalisateur, George Trumbull Miller, a tiré un film de cette deuxième partie, mais je ne l’ai pas vu). J’ai mis du temps à me laisser entrainer dans cette autre moitié… Je trouvais que le récit perdait son but et devenait un peu insipide. Jusqu’à ce que je comprenne que l’ensemble du livre était en fait une sorte d’allégorie. Au delà du récit dans le récit, il y avait l’enfant dans l’enfant, le désir dans le désir, l’être dans l’être…

L’histoire sans fin est un roman initiatique qui enseigne la force et le courage d’être soi. Et les dangers qu’on encourt à désirer être quelqu’un d’autre que soi-même. C’est ce que Bastien apprend à ses dépens au cours de son long parcours initiatique. L’histoire sans fin est donc une histoire à plusieurs niveaux qui repose sur une dimension philosophique. C’est ce qui fait sa force et explique son succès planétaire.

L’histoire sans fin au cinéma

Le film de Wolfgang Peterson (1984) se base sur la première partie du livre, axée sur les aventures d’Atreju. Une adaptation étant une adaptation, le réalisateur a pris quelques libertés (volontaires ou obligées): il a renommé le dragon Fuchur en Falkor, modifié aussi son apparence; il présente Atreju comme un garçon normal alors qu’il a la peau verte dans le livre; etc. Après voir vu le film pour la première fois, Michael Ende, l’auteur du livre, s’est déclaré furieux et a exigé que son nom soit retiré du générique du film. Qu’est-ce qui motivait sa colère de façon précise, je ne le sais pas.

Qui plus est, le film a été un échec commercial. Cela m’a bien surprise parce que tout le monde auteur de moi semble se souvenir – positivement – de L’histoire sans fin. Quoi qu’il en soit, j’ai bien hâte de le revoir (je patiente) et de pouvoir le comparer à ma récente lecture…

L’histoire sans fin en extraits

“La passion de Bastien Balthasar Bux, c’était les livres. Qui n’a jamais passé un après-midi sur un livre, les oreilles en feu et les cheveux en bataille, à lire et lire encore, oublieux du monde alentour, insensible à la faim et au froid —
Qui n’a jamais lu en cachette, sous sa couverture, à la lueur d’une lampe de poche, parce qu’un père ou une mère ou quelque personne bien intentionnée avait éteint la lumière, dans l’idée louable que le moment était maintenant venu de dormir puisque demain il faudrait se lever tôt —
Qui n’a jamais versé, ouvertement ou en secret, des larmes amères en voyant se terminer une merveilleuse histoire et en sachant qu’il allait falloir prendre congé des êtres avec lesquels on avait partagé tant d’aventures, que l’on aimait et admirait, pour qui l’on avait tremblé et espéré, et sans la compagnie desquels la vie allait paraître vide et dénuée de sens —
Celui qui n’a pas fait lui-même l’expérience de tout cela ne comprendra visiblement pas le geste de Bastien.
Il regardait fixement le titre du livre et il se sentait alternativement bouillant et glacé. C’était bien là ce dont il avait tant de fois rêvé, ce qu’il souhaitait depuis le jour où la passion des livres s’était emparée de lui: une histoire qui ne finit jamais! Le livre des livres!
Il lui fallait ce livre, à n’importe quel prix!” (p. 14)

“Bastien considéra le livre:
«Je voudrais bien savoir, se dit-il, ce qui se passe réellement dans un livre, tant qu’il est fermé. Il n’y a là, bien sûr, que des lettres imprimées sur du papier, et pourtant — il doit ben se passer quelque chose puisque, quand je l’ouvre, une histoire entière est là d’un seul coup. Il y a des personnages, que je ne connais pas encore, et il y a toutes les aventures, tous les exploits et les combats possibles — parfois surviennent des tempêtes, ou bien on se retrouve dans des villes et des pays étrangers. Tout cela est d’une façon ou d’une autre à l’intérieur du livre. Il faut le lire pour le vivre, c’est évident. Mais c’est déjà dans le livre, à l’avance. Je voudrais bien savoir comment.»” (p. 20)

   “Bastien réfléchit un long moment puis il dit:
«Étrange, qu’on ne puisse pas désirer tout simplement ce qu’on veut. D’où nous viennent tous les désirs? Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que c’est qu’un désir?»
[…]
«Qu’est-ce que cela peut bien signifier? demanda-t-il. FAIS CE QUE VOUDRAS, cela veut bien dire que je peux faire tout ce dont j’ai envie, ne crois-tu pas?»
Le visage de Graograman prit soudain une expression terriblement sérieuse et ses yeux se mirent à étinceler.
«Non, répondit-il d’une voix grave, grondante, cela veut dire que tu dois faire ce que tu veux vraiment. Et rien n’est plus difficile.
— Ce que je veux vraiment? répéta Bastien, impressionné. Et qu’est-ce que c’est?
— C’est ton secret le plus intime, et tu ne le connais pas.
— Comment puis-je donc le découvrir?
— En suivant le chemin de tes désirs, en allant de l’un à l’autre, jusqu’au dernier. Celui-là te conduira à ton Vœu Véritable.
— Cela ne me paraît pas si difficile, fit remarquer Bastien.
— De tous les chemins, c’est le plus dangereux, dit le lion.
— Pourquoi? demanda Bastien. Je n’ai pas peur.
— Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, gronda Graograman. Il exige une sincérité et une attention sans failles, car sur aucune autre chemin il n’est aussi aisé de se tromper définitivement.
— Veux-tu dire que les désirs qu’on éprouve ne sont pas toujours bons?» s’enquit Bastien.
Le lion fouetta de sa queue le sable dans lequel il était couché. Il rabattit les oreilles contre sa tête, fronça le nez, ses yeux lançaient des étincelles. Bastien fit le geste involontaire de plier l’échine quand Graograman dit, d’une voix qui faisait à nouveau vibrer le sol:
«Que sais-tu de ce que sont les désirs? Que sais-tu de ce qui est bien?» (p. 266-267)

ENDE, Michael. L’histoire sans fin, Le livre de poche, 2008, 534 p.

Les quatre filles du docteur March

Je me souviens que mon amie Vicky (salutations) ait lu ce livre de Louisa May Alcott alors que nous étions toutes jeunes. Je me rappelle qu’elle l’ait apprécié et, un peu plus tard, j’ai vu le film qui passait à la télévision. L’ai-je visionné en entier? Je n’en ai aucune idée, seule la scène sur la rivière gelée a frappé ma mémoire (ainsi fonctionne ma mémoire des films… et même des livres, souvent, grande raison d’être de ce blogue). Quoi qu’il en soit, quand j’ai effectué des recherches pour mon cinéclub littéraire, Les quatre filles du docteur March m’a semblé un bon titre à retenir.

Les quatre filles du docteur March Louisa May Alcott

L’histoire des Quatre filles du docteur March se déroule aux États-Unis pendant la guerre de Sécession. M. March a dû quitter son épouse et ses filles pour servir l’armée nordiste et toutes s’ennuient de lui et s’inquiètent. Malgré cela, la vie doit continuer et les quatre sœurs aux caractères si différents travaillent, se soutiennent… et s’amusent chaque fois qu’elles le peuvent.

Ce roman pour jeunes filles, publié en 1868, a connu un grand succès. Si je l’avais lu plus jeune, il m’aurait sans doute fait rêver moi aussi. Le lien qui unit ces quatre sœurs est enviable, leurs amitiés intéressantes et l’amour naissant emballant… Surtout, malgré les épreuves rencontrées par les sœurs, l’univers sur lequel repose le livre est fait de joie communicative.

Toutefois, j’ai fait la lecture des Quatre filles du docteur March à l’âge adulte et, malgré le plaisir que j’ai pris à le lire, les cheveux m’ont frisé sur la tête à quelques occasions. Je lis souvent des romans d’époque où la condition de la femme n’est pas celle d’aujourd’hui sans que j’en sois “dérangée”. Pourtant ce roman m’a inspiré un léger malaise. Certes, l’histoire se déroule dans les années 1860 et présente la vie telle qu’elle était à l’époque et ses personnages féminins sont assez libres et pleins de personnalité… Qu’est-ce qui m’a dérangée, alors? L’aspect moralisateur du roman: voici comment une jeune femme doit se tenir dans le déni de soi. Le déni de soi me révolte. Et c’est définitivement cette valeur qu’enseigne le livre. Oui, j’ai le sentiment que Les quatre filles du docteur March veut m’enseigner à être une charmante jeune femme… Voilà, c’est cet aspect pseudo-pédagogique qui m’agace.

“Il y a de nombreuses Beth dans le monde, timides, tranquilles, vivant pour les autres si naturellement que personne ne s’aperçoit des sacrifices qu’elles font jusqu’à ce qu’elles disparaissent, laissant le silence et l’ombre derrière elles.” (p. 69)

“«Tandis que je taillais des gilets de flanelle bleue, je pensais à votre père, si seul. Je me disais combien nous serions malheureuses si quelque chose lui arrivait. Ce n’était pas raisonnable de ma part mais je ne pouvais me défendre d’être inquiète. Soudain, un vieil homme est venu s’asseoir près de moi. Je lui ai parlé, car il semblait pauvre, las, angoissé. Je lui ai demandé s’il avait des fils à l’armée, puisqu’il m’apportait une commande.    «— Oui, madame, j’en avais quatre, deux ont été tués, un est prisonnier et je m’en vais voir le quatrième qui est très malade dans un hôpital de Washington, m’a-t-il répondu d’une voix douce.
«— Vous avez fait beaucoup pour votre pays, monsieur, lui ai-je dit, éprouvant alors plus de respect que de pitié.
«— Pas plus que je ne l’aurais dû, madame. J’irais moi-même si je pouvais être utile.»
«Il avait l’air si sincère que j’ai eu honte de moi. Seul mon mari est parti et j’ai mes quatre filles pour me réconforter. Je me suis sentie si riche, si heureuse, en pensant à tout ce que j’avais, que je lui ai fait un beau ballot de vêtements, lui ai remis un peu d’argent et l’ai remercié du fond du coeur de la leçon qu’il m’avait donnée.»” (p. 72-73)

“Il y a quarante ans que j’essaye de me dominer, ma chérie. Presque chaque jour de ma vie, j’éprouve de la colère, mais j’ai appris à ne pas le montrer.” (p. 110)

Enfin, il faut le dire, ces valeurs d’autrefois ne se sont pas encore complètement effacées aujourd’hui. Elles perdurent. On en fait des qualités, surtout féminines: le calme, la réserve, l’altruisme… des traits de caractère qui ont du positif, certes. Ce qui m’a agacée dans ma lecture des Quatre filles du docteur March, c’est que j’avais le sentiment qu’on tentait de ne résumer la femme qu’à cela. Enfin, on peut parfaitement passer par dessus cela pour profiter de ce roman joyeux, où la cacophonie d’une assemblée de jeunes filles imaginatives est bien rendue. C’est un livre qu’on aime pour son ambiance et ses personnages, un roman initiatique au féminin, celui de 1868…

Les quatre filles du docteur March au cinéma

Les quatre filles du docteur March a été adapté au cinéma à cinq reprises en plus d’avoir fait l’objet d’une série animée (selon Wikipedia). J’ai choisi la version de 1994 de Gillian Armstrong. Je ne l’ai pas encore réécoutée et, je l’ai dit, j’en garde un lointain souvenir. Toutefois, si je me fie à la bande annonce, je dirais que le contenu du film dépasse largement celui du livre: l’adaptation cinématographique semble englober la suite du roman, Le docteur March marie ses filles, que je n’ai pas lue.

Les quatre filles du docteur March en extraits

“[­…] la joie de tous dépend du concours de chacun.” (p. 125)

“Kate connaissait en effet différents jeux et ils allèrent sous le chêne-salon jouer au «rigmarole». Quelqu’un commençait une histoire, n’importe laquelle, s’arrêtait court à un moment palpitant, le suivant prenait la relève et ainsi de suite. Cela produisait des effets très comiques quand le jeu était bien mené.” (p. 136)

ALCOTT, Louisa May. Les quatre filles du docteur March, Le livre de poche

Le journal intime d’un arbre

Qui n’aimerait pas vivre 300 ans? Traverser les époques, connaitre les grands de ce monde… C’est la chance qu’a eue Tristan, poirier tricentenaire. Toutefois sa vie touche à son terme, car les vents violents du matin l’ont renversé, et les dégâts sont irréparables. Tristan se prépare à mourir et sa conscience végétale le ramène aux personnes qui l’entourent comme à ses souvenirs… Ainsi commence Le journal intime d’un arbre de Didier Van Cauwelaert.

Le journal intime d'un arbre Didier Van Cauwelaert

Tristan raconte son univers, et à travers lui nous découvrons des personnages: son propriétaire, dont le fils a été exécuté devant Tristan (la balle et restée logée dans son écorce); Yannis, qui travaillait à faire classer Tristan au nombre des arbres remarquables de France; Manon, la petit voisine autiste…

J’ai acheté Le journal intime d’un arbre en me demandant si je faisais bien. C’est que j’avais un peu peur de m’y ennuyer, d’être déçue… après tout, comment faire une histoire narrée par un arbre dont la mort nous est annoncée dès la première ligne? J’ai eu ma réponse: en utilisant cet arbre comme témoin, témoin de diverses époques, témoin de la vie de personnages… et en le rendant mobile. Parce qu’après sa mort, le bois de Tristan est utilisé par la petite Manon pour faire une sculpture, sculpture que continue à habiter la conscience de l’arbre qui ne parvient pas à mourir complètement.

Conclusion? Je n’ai pas été déçue. J’ai aimé ce court roman narré par un arbre dans lequel on m’apprend toute sorte de choses, sur des gens, des époques et, surtout, sur les arbres…

Bien évidemment, il y a beaucoup d’anthropomorphisme dans Le journal intime d’un arbre. On prête à l’arbre de nombreuses caractéristiques humaines. Ça peut agacer, mais c’est ce qui nous permet de nous y attacher. D’un autre côté,Didier Van Cauwelaert s’est employé à montrer le plus possible les choses selon le point de vue d’un poirier. Par exemple, lorsqu’il décrit le personnage de Yannis, il le fait le plus possible selon la perspective d’un arbre:

“J’aime bien Yannis Karras. C’est un jeune homme heureux, qui plaît et qui se passionne, aussi généreux qu’égoïste. Un des rares humains à être bien dans sa peau, avec ses épaules taillées en haies de thuyas, ses longs cheveux châtains retombant en cascade comme la vigne vierge qui descelle les tuiles du garage, ses yeux pareils aux lilas bleus qui démantèlent les murs autour de la chaumière. J’adorais ses vibrations légères, son attitude envers moi. Il est avec les arbres comme il est avec les femmes: infidèle et constant. Il nous aime tous, il nous admire, nous collectionne, nous raconte à ses amis et nous comprend de travers, mais ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est ce qu’il apporte.” (p. 30)

Le journal intime d’un arbre est aussi bien documenté, sur différents sujets, dont les arbres, bien entendu. J’ai pu me questionner à quelques reprises au cours de ma lecture, mais la note de l’auteur à la toute fin a levé le voile sur mes doutes:

“Un mot encore sur Jean-Marie Pelt. Durant plus de vingt ans, les travaux et l’amitié de ce grand botaniste ont préparé mon voyage dans la conscience de l’arbre. C’est lui qui m’a signalé les deux découvertes capitales que je prête à son confrère fictif Clarence Hatcliff: celle des hormones au moyen desquelles certains végétaux stérilisent les insectes prédateurs, et la présence dans leur pollen de progestérone et d’œstrone à un dosage qui n’est pas sans rappeler le principe de notre pilule contraceptive. Inexpliquée et donc passée sous silence, cette initiative de la nature est donc bien réelle.” (p. 184)

Enfin, Le journal intime d’un arbre est clairement un hommage rendu aux arbres. L’auteur y démontre tout le respect qu’il leur porte et invite la Terre entière à faire de même.

Le journal intime d’un arbre en extraits

“Entre un champignon ou une fourmi avec qui je communique et un humain qui se raconte des histoires, mon choix est clair. J’ai toujours privilégié la fiction à l’information pure. Question d’urgence: végétaux et animaux ne perdent jamais ce qui est gravé dans leurs gènes, tandis que les humains ont tendance à devenir des machines qui pensent mais n’imaginent plus. Les quelques individus qui ont su me faire rêver durant ma vie, je leur dois ma longévité, Parce que l’intelligence, la poésie, l’humour sont des nutriments aussi nécessaires pour moi que les protéines du sol. Vos mauvaises ondes m’affaiblissent, vos bonnes vibrations me renforcent. Un arbre ne cherche pas que la lumière. Du moins, il la cherche partout.” (p. 40)

“Il existe en Australie une variété d’orchidée dont les fleurs n’intéressent aucun insecte. Alors, pour être tout de même fécondée, elle a mis au point un stratagème. Elle a donné à ses organes reproducteurs la forme d’une guêpe femelle, et en plus elle imite son odeur. Le mâle se précipite sur la fleur, croyant qu’il a un rendez-vous galant, et se démène pour essayer de copuler. Il repart bredouille, mais couvert malgré lui d’un pollen qui, à son insu, ira féconder d’autres fausses guêpes.” (p. 67)

VAN CAUWELAERT, Didier. Le journal intime d’un arbre, Le livre de poche, 2013, 192 p.

Battle Royale

En République de Grande Asie, pays imaginé à partir de notre Histoire, tout est contrôlé: le rock ‘n’ roll est interdit, l’information censurée et le gouvernement a un droit plus ou moins déguisé de vie et de mort sur chaque citoyen. Voilà la prémisse de Battle Royale de Koushun Takami.

Battle Royale Koushun Takami

Dans ce pays, créé en 1997 en lieu et place du Japon, chaque année, le gouvernement enlève 50 classes de 3e pour la réalisation d’un programme militaire. On emmène les élèves de la classe choisie par le hasard dans un lieu isolé, souvent une île. On leur fournit à tous un sac à dos contenant un crayon, une carte du site, deux pains, deux litres d’eau et une arme ayant été sélectionnée de façon aléatoire. On ordonne ensuite à tous de quitter les lieux à tour de rôle, en respectant l’appel des noms. Le jeu commence: ils ont trois jours pour s’entretuer. Il ne peut y avoir qu’un seul survivant, le gagnant. Toutes le six heures, via des haut-parleurs dispersés partout sur l’île, le “professeur” attitré à la classe fait le décompte des morts et annonce les zones qui seront désormais interdites. Si des élèves s’y trouvent encore aux heures mentionnées, le collier qu’on a bouclé autour de leur cou pour repérer leur position ou leur pouls explose. S’il n’y a aucun mort pendant 24 heures, tous les colliers explosent. Une tuerie assurée.

Pourquoi ce programme? Pour compiler des données sur le temps mis par le champion pour éliminer tous les autres élèves de la classe. C’est ce qu’on dit dans les manuels scolaires. Le nom du gagnant ainsi que le lieu où s’est déroulé le programme est révélé dans les médias lorsque ce dernier vient de s’achever. On révèle en même temps le nombre de morts par balle, par arme blanche, etc.

Battle Royale vous rappelle un peu Hunger Games? En effet, l’idée de base est la même, mais le traitement qu’on en fait est complètement différent. D’abord, l’histoire n’est pas la même. Ensuite, c’est définitivement mieux écrit: il y a présence de style, de jeux de mots, d’une touche d’humour, toujours grinçant… Bien que surtout focalisée sur le personnage de Shûya Nanahara, la narration externe présente des bribes du parcours de chacun des 42 élèves de la classe. Heureusement, on retrouve en début de roman une liste des élèves présentés en ordre alphabétique et numérotés, cela pour les filles (F-1 à F-21) ainsi que pour les garçons (G-1 à G-21).

830 pages en format poche. L’auteur, Koushun Takami – dont Battle Royale est à ce jour le seul roman – prend le temps de bien présenter et détailler les choses. Aucun personnage n’est accessoire, ils ont tous un minimum de psychologie, et ce, malgré le très bref passage de certains. Ironiquement, c’est un roman dans lequel on prend le temps de tout montrer et de tout expliquer au lecteur alors que les personnages vivent dans l’urgence. C’est appréciable.

Battle Royale au cinéma

Pourtant, dans le film réalisé en 2000 par Kinji Fukasaku à partir du roman (lui-même écrit en  1999), c’est tout le contraire. Le ton change du tout au tout. Le jeu très théâtral et les choix musicaux ne permettent pas la montée de la tension qu’on retrouve dans le roman. Ceci dit, j’ai trouvé celui-ci intéressant. Mais, pour moi, le livre et le film sont deux œuvres distinctes, excellentes si considérées séparément. Il faut dire, de plus, qu’on a fait un seul film à partir d’un livre très dense. C’est clair que le réalisateur a voulu s’en tenir à l’essentiel et en faire une course effrénée, une course très près d’une danse.

J’ai préféré le livre et le conseille.

Battle Royale en extraits

Comme le disait son oncle, une personne n’était pas forcément responsable de sa propre lâcheté.” (p. 533)

 “Il ne restait plus rien du bureau, hormis une moissonneuse-batteuse qui avait eu du mal à rentrer dans un tiroir du meuble de rangement.” (p. 549)

 “Ses yeux allaient successivement de l’un à l’autre des cadavres de ses cinq camarades, comme un enfant regarderait des œuvres d’art incompréhensibles dans un musée des horreurs.” (p. 671)

Mon oncle disait que le rire est un élément important pour maintenir l’harmonie des choses, et qu’il représente l’ultime échappatoire quand il n’en reste plus d’autre…” (p. 690)

TAKAMI, Koushun. Battle Royale, Le livre de poche, 2008, 864 p.