Après avoir publié Dévorés chez L’Interligne en 2018, Charles-Étienne Ferland récidive avec un recueil de nouvelles, intitulé Une dent contre l’ordinaire, cette fois aux Éditions Prise de parole.
Une dent contre l’ordinaire contient quatorze textes aux thèmes éclatés et aux genres variés. De la science-fiction au fantastique en passant par le suspense ou le récit autobiographique, le recueil transporte le lecteur un peu partout et, pourtant, ce voyage se fait autour d’un seul et même pôle, celui de l’ordinaire. Il y est en effet question de l’ordinaire bien réaliste du quotidien, mais aussi de l’ordinaire réinventé ou distordu que l’on peut se permettre d’imaginer. Continue reading « Une dent contre l’ordinaire »→
La démission de Vanessa Courville en tant que directrice littéraire du numéro 135 d’XYZ. La revue de la nouvelle a fait couler beaucoup d’encre. Replaçons-nous dans le contexte. Madame Courville se voit attribuer la direction du numéro alors que celui-ci est déjà avancé. Les textes ont été sélectionnés, les auteurs contactés et le processus d’édition est bien enclenché. La nouvelle « Qui? Où? Avec quoi? » de David Dorais rend la directrice littéraire mal à l’aise, car ce texte se termine sur un viol gratuit qui, selon elle, contribue à banaliser la violence faite aux femmes, car il n’est pas soutenu par un discours plus profond. Elle demande à la revue à ce que son nom ne soit pas associé au texte, ce qu’on lui refuse. Pour être en phase avec ses convictions, elle démissionne.
Cette démission m’a d’abord rendue mal à l’aise. Irons-nous jusqu’à censurer la littérature pour s’assurer du bienêtre de tous? À voir comment la société nous infantilise ces dernières années, il y a de quoi craindre. Toutefois, je ne pouvais porter de jugement sur la situation qui concerne Vanessa Courville et XYZ. La revue de la nouvelle sans avoir d’abord lu le numéro contenant le texte au cœur du débat.
« Qui? Où? Avec quoi? »: qu’en est-il du texte incriminé?
J’ai évidemment commencé ma lecture du numéro 135 par le texte de David Dorais. « Qui? Où? Avec quoi? » ne m’a pas impressionnée, je dois l’admettre. J’ai essayé de mettre de côté le point de vue féministe défendu par Vanessa Courville afin de me concentrer sur son intérêt littéraire. C’est d’ailleurs cet intérêt que défend Jacques Richer, l’éditeur de la revue.
Une fin « violente », qui « dérange », mais qui « ne va pas trop loin », aux yeux de l’éditeur de la revue, en poste depuis une trentaine d’années. « La nouvelle est très bonne, très efficace, elle est menée avec finesse, l’intrigue se tient », poursuit M. Richer. De l’avis général, elle méritait de continuer de figurer dans le numéro,rapporte-t-on dans Le Devoir.
J’ai aussi fait une relecture de la nouvelle de David Dorais après avoir terminé la lecture du numéro pour ne pas rester sur une première impression. À mon avis, la question peut être posée: David Dorais est membre du collectif de rédaction. À moins que les textes ne soient sélectionnés de façon anonyme, il est possible que la nouvelle ait été choisie de façon « automatique ». Mais je ne peux ici que lancer l’hypothèse, car je n’ai aucune idée de la façon dont les choses se passent réellement au sein du comité. Les seules choses que je sais sont celles que j’ai lues. Et à la lecture du numéro, on remarque assez vite que la nouvelle de Dorais détonne. C’est la seule qui ne présente à peu près aucune psychologie des personnages. La Scarlet de « Quoi? Où? Avec quoi? » est de ces personnages qui agissent comme des robots. Elle pose des actions: elle se sauve, car elle a peur. Mais bien que le point de vue narratif soit entièrement fixé sur elle, l’auteur n’a pas donné chair à ses pensées. On sait certes qu’elle réfléchit à ce qu’elle doit faire, mais on ne lui a pas donné de personnalité sinon que c’est une mondaine qui s’ennuie, cliché de surface. À la suite de ma lecture, je suis forcée de conclure que le personnage n’est qu’un objet comme un autre dans ce jeu de Clue réinventé. Scarlet n’a pas plus de profondeur que le chandelier ou le révolver posés à côté d’elle, si ce n’est celle de son vagin. Et c’est ce que déplore Vanessa Courville.
Notez ceci. Si je m’interroge sur la valeur du texte dans ce numéro, je ne suis pas offusquée par le texte de la même façon que l’est Vanessa Courville. Je comprends très bien son point de vue et j’admire qu’elle soit allée au bout de ses convictions. Chacune mène son combat de la façon qui résonne le mieux en soi. Ce que je remets en question plutôt, c’est la sélection de cette nouvelle pour le numéro 135 de la revue. Elle entre parfaitement dans le thème, soit, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle est « très bonne », ni « très efficace », ni « menée avec finesse ». C’est un pastiche ennuyeux du jeu Clue (dommage, car l’idée était bonne) dans lequel le personnage féminin principal n’a pas plus d’émotions qu’une poupée gonflable. Et c’est ce manque de nuance émotionnelle qui pose problème et rapproche le personnage du rôle d’objet. C’est, de plus, le seul texte du numéro qui souffre de ce manque de psychologie. La question, pour moi, est: que fait-il là, alors?
XYZ no 135: Armes
Dans ce numéro, neuf textes ont été regroupés sous la thématique « Armes ». Chacun va dans une direction différente, mais tous ont en commun l’intériorisation des personnages. C’est pourquoi je trouve que le texte de David Dorais contraste.
J’ai particulièrement aimé « Le bacha » de Michel Robert qui raconte avec sensibilité, mais non sans cruauté, l’histoire tragique d’un jeune Afghan abandonné par ses parents puis recueilli par un policier abusif. J’ai aussi aimé « Fais-tu mariner ton saumon? » de Jean-Jacques Dumonceau, qui a certainement été inspiré par un concours d’écriture lancé il y a quelques années avec cette phrase interrogative pour contrainte. Suivant la formule classique de la nouvelle policière, le texte joue avec l’humour et les dialogues pour donner chair aux personnages et exploite efficacement la prémisse du saumon. De son côté, « Pacifica » de Paul Ruban surprend par le point de vue adopté et ouvre la porte à la réflexion.
Or, le texte qui a le mieux su me plaire est classé dans la catégorie « Thème libre » du numéro. Dans « La mémoire des cathédrales », Caroline Guindon met en scène un professeur plutôt particulier. Un septuagénaire érudit dont l’éloquence fascine ou laisse perplexe. Le comportement de l’homme est finement décrit et la finale à laquelle il mène renforce la complexité du personnage en même temps qu’elle la dévoile.
Le Professeur se retournait alors, joignait les mains en pressant ses index osseux contre ses lèvres entrouvertes. Attendant l’avènement du silence, sa perfection, il toussotait délicatement délicatement avant d’entamer sa légendaire descente vers la chaire. Cette tortueuse rétrogression durait une quinzaine de minutes, car elle était ralentie par l’ivresse de penser, disait-il, un foisonnement de phrases fébriles débitées indistinctement. En ces moments-là, ces sublimes minutes du prélude, le Professeur tenait davantage du voilier que de l’être humain. Le flot fiévreux de ses paroles le faisait tanguer et les étudiants occupant le bout des rangées, pour parer à un éventuel chavirement, tendaient d’instinct les bras quand il passait près d’eux. » (p. 65)
XYZ. La revue de la nouvelle, no 135: Armes, Lévesque éditeur, automne 2018, 101 p.
Il y a un peu plus d’un an, mon amoureux, momentanément expatrié, m’a téléphoné à sa sortie d’un cinéma américanokoweïtien pour me vanter l’intérêt linguistique du film L’arrivée(Arrival, Denis Villeneuve, 2016) : « Tu aurais vraiment aimé ça! » Suivant ses conseils, j’ai visionné le film quelques mois plus tard, découvrant par le fait même qu’il est adapté d’une nouvelle littéraire de Ted Chiang, L’histoire de ta vie. J’ai commandé le tout pour le cinéclub du centre, et c’est avec un réel plaisir que j’ai fait tout récemment la lecture du texte de Chiang.
L’histoire de ta vie, comme Arrival, met en scène Louise Banks, une linguiste réputée que l’armée américaine embauche pour effectuer une tâche peu ordinaire: déchiffrer le langage d’une espèce extraterrestre. Douze vaisseaux de forme oblongue sont débarqués en différents endroits de la Terre et l’espèce humaine, alertée par cette présence pour le moment pacifique, s’interroge sur les raisons justifiant cette venue. L’armée donne donc pour mandat à la linguiste de décoder la langue des heptapodes sans rien leur révéler des connaissances technologiques des humains, car on craint pour la sécurité mondiale. En parallèle est présentée comme sous forme de flashback une partie de la vie personnelle de la narratrice.
L’histoire de ta vie n’est pas une oeuvre de science-fiction traditionnelle. Bien que le synopsis puisse laisser envisager l’envahissement extraterrestre et la menace habituelle qui en découle, le texte de Chiang offre plutôt une réflexion sur la langue, n’hésitant pas à entrer dans les détails de la structure linguistique, de la morphologie à la phonétique. Loin de la logique de l’action, L’histoire de ta vie et Arrival reposent sur une logique cognitive. C’est le décodage de la langue qui est au cœur du récit et qui en est la clé. Tout l’arrimage scientifique de l’oeuvre est tourné vers la linguistique et l’hypothèse de Sapir-Whorf ainsi que sur le principe de Fermat.
L’hypothèse de Sapir-Whorf
Émise dans les années 1950 par les linguistes Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, cette hypothèse repose sur l’idée suivante:
[…] les hommes vivent selon leurs cultures dans des univers mentaux très distincts qui se trouvent exprimés (et peut-être déterminés) par les langues qu’ils parlent. Aussi, l’étude des structures d’une langue peut-elle mener à l’élucidation de la conception du monde qui l’accompagne. (Nicolas Journet, L’hypothèse Sapir-Whorf. Les langues donnent-elles forme à la pensée?)
Autrement dit, c’est la langue que l’on parle qui conditionne notre pensée et notre façon de voir le monde. On entend souvent l’exemple des langues inuites, qui auraient plusieurs mots pour désigner la neige, permettant aux locuteurs de ces langues de voir la neige bien autrement que ceux qui n’ont qu’un mot pour la nommer. Whorf s’est par ailleurs questionné sur la conception de l’espace et du temps des locuteurs de langues qui ne contiennent pas de temps verbaux. Voient-ils le passé, le présent et l’avenir de la même façon?
L’histoire de ta vie offre une exploration de cette hypothèse. L’apprentissage de la langue des heptapodes aura un impact significatif sur la vision qu’a Louise Banks du monde. Je ne vous en dis cependant pas plus, car il me faudrait vous révéler les clés de l’intrigue.
Le principe de Fermat
Ce principe veut que la lumière modifie sa trajectoire de façon à emprunter le chemin qui soit le plus court en durée. Cette trajectoire est calculée selon l’indice de réfraction. L’eau et l’air ont par exemple un indice de réfraction différent, ce qui fait que la lumière voyage plus vite dans le dernier élément que dans le premier. Ainsi, si un rayon lumineux doit traverser un espace rempli à moitié d’air et d’eau, il effectuera une plus longue trajectoire dans l’air (où il peut voyager plus rapidement) avant de plonger en angle dans l’eau (où il voyage moins rapidement). Ce chemin (plus long en distance) est plus court en durée. Voici l’exemple présenté à la page 174 du livre.
L’histoire de ta vie est une nouvelle littéraire très intéressante pour ses explications et ses réflexions scientifiques.
[…] quelle vision du monde possédaient donc les heptapodes pour considérer le principe de Fermat comme l’explication la plus simple de la réfraction de la lumière? Quel type de perception leur rendait minimum ou maximum immédiatement apparent? (p. 180)
Toutefois, elle ne s’adresse pas à des lecteurs non expérimentés, car au-delà des notions scientifiques (verbalisées de façon très efficace), elle contient un vocabulaire très soutenu (téléologie, volition, sémasiographique, etc.), une bonne part d’implicite et une fin ouverte (sur laquelle le film a construit une nouvelle fin).
L’histoire de ta vie en extraits
« Plus intéressant encore, l’heptapode B altérait mon mode de pensée. Pour moi, penser signifiait en règle générale parler d’une voix interne; comme on dit dans le métier, j’avais des pensées codées phonologiquement. […]
L’idée de penser dans un mode linguistique, quoique non phonologique, m’avait toujours intriguée. J’avais un ami né de parents sourds; il avait grandi en utilisant la langue des signes et il me disait qu’il pensait souvent dans cette langue plutôt qu’en anglais. Je me demandais quel effet cela faisait de former des pensées codées manuellement et de raisonner avec une paire de mains interne au lieu d’une voix interne.
Avec l’heptapode B, je vivais l’expérience exotique de pensées codées graphiquement. Je passais des moments de transe où mes pensées ne s’exprimaient plus par le biais de ma voix interne; à la place, je me représentais des sémagrammes qui s’évanouissaient telles des fleurs de givre sur un carreau de fenêtre. » (p. 187-188)
« Soit la phrase: « Le lapin est prêt à manger. » Si on interprétait « le lapin » comme l’objet de « manger », elle signifiait que le dîner serait bientôt servi. Si on interprétait « le lapin » comme le sujet de « manger », c’était un signal, tel celui qu’une fille donnerait à sa mère afin que celle-ci ouvre le sac de nourriture pour lapins. Deux énoncés distincts, voire mutuellement exclusifs sous le même toit. Pourtant, chacun constituait une interprétation valide; seul le contexte permettait de déterminer le sens de la phrase. » (p. 196)
L’histoire de ta vie au cinéma
Quel film réussi que Arrival, réalisé par Denis Villeneuve en 2016! Il fait du bien de voir autre chose, au cinéma, qu’une guerre entre les humains et les extraterrestres, au cours de laquelle, bien sûr, les extraterrestres sont chaque fois les méchants. Arrival est en ce sens très rafraichissant. Comme la nouvelle dont il s’inspire, son propos est d’abord linguistique. Ceux qui visionnent le film en s’attendant à voir un classique du genre seront donc déçus: comme je le mentionnais plus haut, la trame narrative n’obéit pas à une logique de l’action et, de ce point de vue, peut sembler lente. Elle est plutôt construite sur une logique cognitive dans laquelle s’enchainent les rebonds narratifs. Tout est donc une question de point de vue et de disposition d’écoute.
Le propos linguistique étant sans doute suffisamment dense, le film a mis de côté les discussions mathématiques présentées dans la nouvelle. Pas de principe de Fermat dans Arrival. Pour cela, il faut lire l’oeuvre originale.
Pour terminer, la fin de la nouvelle laissant place à une grande ouverture qui conviendrait moins au cinéma, on se réjouit que le film présente une fin plus achevée. Celle-ci est très bien construite et respecte l’esprit de la nouvelle, tout en permettant de pousser encore plus loin la réflexion amorcée grâce au texte de Chiang. À découvrir.
CHIANG, Ted. « L’histoire de ta vie » dans La tour de Babylone, Folio Gallimard, 2006, p. 137-211
“Je préfèrerais ne pas.” Voici ce que l’étrange Bartleby, employé par un avocat en tant que scribe, répond lorsqu’on lui demande de réaliser une tâche. Cet étrange personnage s’attirera malgré tout l’indulgence de son employeur en raison de son talent exemplaire pour les tâches de copie. Jusqu’au jour où il préfèrerait ne pas. Cet entêtement finira par faire sortir l’avocat de ses gonds, mais quand Bartleby entre dans votre vie, ce n’est pas pour en sortir…
J’avais commencé à lire Bartleby, le scribe de Herman Melville en janvier, alors que je me trouvais au KiNipi Spa de Trois-Rivières, car il avait l’avantage de pouvoir être glissé dans la poche du peignoir fourni par l’endroit. C’est ce qu’on appelle lire stratégique. Malgré mon intérêt, de retour à la maison, j’ai mis Bartleby de côté et n’y ai retouché que dernièrement. J’ai peu la tête à lire, ces temps-ci. Enfin, j’ai été charmée par le style et le ton (vous verrez les extraits) ainsi qu’intriguée par ce personnage qui semble si désinvesti de lui-même. On lui demanderait de vivre qu’on a l’impression qu’il répondrait: “Je préfèrerais ne pas.”
Bartleby, le scribe en extraits
“Feu John Jacob Astor, un personnage peu enclin à l’enthousiasme poétique, n’hésitait pas à déclarer que mon principal point fort était la prudence; le second, la méthode. Je ne le dis point par vanité, je rappelle simplement ce fait que feu John Jacob Astor ne fut pas sans avoir recours à mes compétences professionnelles; un nom que j’aime à répéter, je l’admets, parce qu’il rend un son plein et orbiculaire comme le tintement des lingots. J’ajouterai, en toute liberté, que je n’étais pas insensible à la bonne opinion de feu John Jacob Astor.” (p. 9)
“Mes bureaux se trouvaient à l’étage, au no… de Wall Street. À l’une des extrémités, ils donnaient sur la paroi blanche de l’intérieur d’une cage vitrée qui parcourait l’édifice de haut en bas. On pouvait considérer cette vue sans fantaisie et totalement dépourvue de ce que les paysagistes appellent « la vie ». Mais, en revanche, la vue qu’offrait l’autre extrémité de mes locaux formait pour le moins un singulier contraste. Dans cette direction, mes fenêtres donnaient de façon imprenable sur un haut mur de briques noircies par les ans et par une ombre éternelle. Il n’état nul besoin de longue vue pour que ce mur ne révélât sa persistante beauté, car il se dressait, pour le plus grand profit du spectateur myope, à trois mètres de mes croisées.” (p. 10)
Je n’ai pas lu Arvida. Ma connaissance de Samuel Archibald se résumait assez bien, il y a deux semaines encore, à ce qu’en ont dit les médias dans la dernière année. Enfin… Ayant participé au Prix littéraire Damase-Potvin, j’ai été invitée à rencontrer ledit auteur vendredi dernier. De passage en librairie, je suis tombée sur Quinze pour cent,novella que je me suis procurée pour me préparer à cette rencontre. Je voulais avoir une idée du style d’Archibald, de ses sujets, de ses façons de faire.
Quinze pour cent est une nouvelle policière au style d’emblée masculin. Je n’aime pas formuler ce genre de commentaires qui m’apparaissent stéréotypés mais, après tout, il faut bien dire les choses telles qu’elles sont. J’ai apprécié le style, les phrases, l’aspect intelligent de l’écriture; je n’ai pas détesté non plus lire une histoire qui se déroule dans la région. Ça m’a plu, même si, je dois l’admettre, le policier n’est pas un genre qui me colle à la peau ces derniers temps.
L’histoire de Quinze pour cent se déroule entre le Saguenay, où un double meurtre a été commis, et les environs de Québec où doit se rendre l’inspecteur-chef Leroux pour son enquête. Épaulé par un collègue aux façons de faire et à l’entourage plutôt louches, il boucle son enquête, un élément à la fois.
Et Samuel Archibald? Immensément sympathique et plutôt généreux de sa personne, il pourrait m’avoir donné envie de plonger plus avant dans son écriture. Peut-être, un jour, ferai-je le plongeon dans Arvida ?
Quinze pour cent en extraits
“Il n’y avait pas cinquante-six mille façons de le dire: il n’avait pas l’air heureux. Dans le bungalow de leurs parents, les enfants de la banlieue traînent leur spleen, s’habillent de noir, se teignent les cheveux en noir et se noircissent le tour des yeux. Mais le vrai désespoir est inimitable. Gagnon jetait constamment des regards par-dessus son épaule, comme si, même à pied, son environnement en entier était composé d’angles morts. Il avait les cheveux blond fade avec les yeux bleu pâle. Il était maigre comme un clou avec les muscles qui affleuraient à la surface de la peau, au milieu d’une constellation de petits tatouages délavés qui n’avaient rien à voir avec les manches à mille piastres que se font faire les bums de bonne famille avant d’aller se huiler les pectoraux et les biceps à la plage gouvernementale.” (p. 31)
ARCHIBALD, Samuel. Quinze pour cent, Le Quartanier, Montréal, 2013, 67 p.
À mi-chemin entre roman et recueil de nouvelles, Je vous écris du japonais Hisashi Inoue est composé de douze textes (dix seulement pour la version française, deux de la version originale contenant des jeux de mots apparemment intraduisibles). Chacun prend la forme de la correspondance entre les personnages qu’il met en scène: des lettres, surtout, mais aussi des extraits de journaux, des actes officiels (acte de naissance, de mariage) ainsi que des textes telle une pièce de théâtre. Le lecteur, donc, épie indirectement la vie des personnages.
Je vous écris se lit tranquillement, un chapitre à la fois, une petite histoire après l’autre, toujours un peu surprenante, à sa manière. Un dernier chapitre vient clore le tout, faisant de Je vous écris un roman plus qu’un recueil de nouvelles, car dans ce chapitre réside le lien entre tous ces personnages quasi anonymes.
J’ai bien aimé Je vous écris. Il y a quelque chose de particulier dans l’écriture des romans japonais (j’ose croire que les traductions sont bien faites), quelque chose de doux, de simple surtout et de d’apparence naïve (pas toujours, ceci dit). Certes, je n’ai pas encore lu assez d’auteurs japonais pour me faire une idée plus complète mais, pour l’instant, j’y retrouve toujours cette petite touche qui me plaît.
Hisashi Inoue est aussi l’auteur des 7 roses de Tokyo, un livre à lire, à ce qu’il parait. Je vous en parlerai peut-être un jour…
INOUE, Hisashi. Je vous écris, Picquier poche, Arles, 2000, 239 p.
Sommeil est une nouvelle de Haruki Murakami. C’est donc un tout petit livre, que j’ai choisi comme intermède en attendant l’arrivée du livre 3 de la trilogie 1Q84du même auteur.
Sommeil de Haruki Murakami met en scène une jeune épouse et mère japonaise qui a vu, du jour au lendemain, le sommeil la quitter. Pendant 17 nuits, elle ne dormira pas une seule minute. Pourquoi cet éveil continuel et quelles en seront les conséquences? C’est ce que le lecteur se demande. Mais il ne trouvera pas réponse à toute ses questions. On comprend alors pourquoi la quatrième de couverture qualifie cette nouvelle comme étant “énigmatique”. Je dois cependant admettre que je suis un peu restée sur ma faim; j’aurais aimé obtenir plus de réponses. En même temps, plus j’y pense, plus j’y vois des possibilités d’interprétation. Il y doit y avoir un sens à cette fin qui ne m’a pas semblé finir. Enfin, j’ai tout de même apprécié ma lecture. Murakami sait raconter et créer une intimité entre les personnages, si subtile soit-elle dans un court récit comme celui-ci.
L’intérêt du livre se trouve en grande partie dans sa facture matérielle: 92 pages en papier glacé, magnifiquement illustrées par Kat Menschik, qui nous donne l’impression de lire une œuvre d’art. En voici un aperçu.
Sommeil en extraits
“Je me rappelle nettement la première nuit où je n’ai pas dormi. J’avais fait un cauchemar, un rêve sombre et glauque, dont j’ai oublié le contenu précis mais qui m’a laissé une impression sinistre. Je me suis réveillée brusquement, en sursaut, comme si quelque chose m’avait arrachée du sommeil à l’instant le plus dangereux, le plus effrayant du rêve, au point de non retour. Je suis restée pantelante un long moment après mon réveil. Je ne pouvais plus bouger, mes bras et mes jambes étaient comme paralysés. J’entendais ma respiration résonner désagréablement comme si j’étais allongée, seule, au fond d’une grotte.” (p. 25)