Vanessa Courville et XYZ no 135: Armes

La démission de Vanessa Courville en tant que directrice littéraire du numéro 135 d’XYZ. La revue de la nouvelle a fait couler beaucoup d’encre. Replaçons-nous dans le contexte. Madame Courville se voit attribuer la direction du numéro alors que celui-ci est déjà avancé. Les textes ont été sélectionnés, les auteurs contactés et le processus d’édition est bien enclenché. La nouvelle « Qui? Où? Avec quoi? » de David Dorais rend la directrice littéraire mal à l’aise, car ce texte se termine sur un viol gratuit qui, selon elle, contribue à banaliser la violence faite aux femmes, car il n’est pas soutenu par un discours plus profond. Elle demande à la revue à ce que son nom ne soit pas associé au texte, ce qu’on lui refuse. Pour être en phase avec ses convictions, elle démissionne.

Cette démission m’a d’abord rendue mal à l’aise. Irons-nous jusqu’à censurer la littérature pour s’assurer du bienêtre de tous? À voir comment la société nous infantilise ces dernières années, il y a de quoi craindre. Toutefois, je ne pouvais porter de jugement sur la situation qui concerne Vanessa Courville et XYZ. La revue de la nouvelle sans avoir d’abord lu le numéro contenant le texte au cœur du débat.

Armes XYZ numéro 135 no 135 Vanessa Courville David Dorais

« Qui? Où? Avec quoi? »: qu’en est-il du texte incriminé?

J’ai évidemment commencé ma lecture du numéro 135 par le texte de David Dorais. « Qui? Où? Avec quoi? » ne m’a pas impressionnée, je dois l’admettre. J’ai essayé de mettre de côté le point de vue féministe défendu par Vanessa Courville afin de me concentrer sur son intérêt littéraire. C’est d’ailleurs cet intérêt que défend Jacques Richer, l’éditeur de la revue.

Une fin « violente », qui « dérange », mais qui « ne va pas trop loin », aux yeux de l’éditeur de la revue, en poste depuis une trentaine d’années. « La nouvelle est très bonne, très efficace, elle est menée avec finesse, l’intrigue se tient », poursuit M. Richer. De l’avis général, elle méritait de continuer de figurer dans le numéro, rapporte-t-on dans Le Devoir.

J’ai aussi fait une relecture de la nouvelle de David Dorais après avoir terminé la lecture du numéro pour ne pas rester sur une première impression. À mon avis, la question peut être posée: David Dorais est membre du collectif de rédaction. À moins que les textes ne soient sélectionnés de façon anonyme, il est possible que la nouvelle ait été choisie de façon « automatique ». Mais je ne peux ici que lancer l’hypothèse, car je n’ai aucune idée de la façon dont les choses se passent réellement au sein du comité. Les seules choses que je sais sont celles que j’ai lues. Et à la lecture du numéro, on remarque assez vite que la nouvelle de Dorais détonne. C’est la seule qui ne présente à peu près aucune psychologie des personnages. La Scarlet de « Quoi? Où? Avec quoi? » est de ces personnages qui agissent comme des robots. Elle pose des actions: elle se sauve, car elle a peur. Mais bien que le point de vue narratif soit entièrement fixé sur elle, l’auteur n’a pas donné chair à ses pensées. On sait certes qu’elle réfléchit à ce qu’elle doit faire, mais on ne lui a pas donné de personnalité sinon que c’est une mondaine qui s’ennuie, cliché de surface. À la suite de ma lecture, je suis forcée de conclure que le personnage n’est qu’un objet comme un autre dans ce jeu de Clue réinventé. Scarlet n’a pas plus de profondeur que le chandelier ou le révolver posés à côté d’elle, si ce n’est celle de son vagin. Et c’est ce que déplore Vanessa Courville.

Notez ceci. Si je m’interroge sur la valeur du texte dans ce numéro, je ne suis pas offusquée par le texte de la même façon que l’est Vanessa Courville. Je comprends très bien son point de vue et j’admire qu’elle soit allée au bout de ses convictions. Chacune mène son combat de la façon qui résonne le mieux en soi. Ce que je remets en question plutôt, c’est la sélection de cette nouvelle pour le numéro 135 de la revue. Elle entre parfaitement dans le thème, soit, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle est « très bonne », ni « très efficace », ni « menée avec finesse ». C’est un pastiche ennuyeux du jeu Clue (dommage, car l’idée était bonne) dans lequel le personnage féminin principal n’a pas plus d’émotions qu’une poupée gonflable. Et c’est ce manque de nuance émotionnelle qui pose problème et rapproche le personnage du rôle d’objet. C’est, de plus, le seul texte du numéro qui souffre de ce manque de psychologie. La question, pour moi, est: que fait-il là, alors?

XYZ no 135: Armes

Dans ce numéro, neuf textes ont été regroupés sous la thématique « Armes ». Chacun va dans une direction différente, mais tous ont en commun l’intériorisation des personnages. C’est pourquoi je trouve que le texte de David Dorais contraste.

J’ai particulièrement aimé « Le bacha » de Michel Robert qui raconte avec sensibilité, mais non sans cruauté, l’histoire tragique d’un jeune Afghan abandonné par ses parents puis recueilli par un policier abusif. J’ai aussi aimé « Fais-tu mariner ton saumon? » de Jean-Jacques Dumonceau, qui a certainement été inspiré par un concours d’écriture lancé il y a quelques années avec cette phrase interrogative pour contrainte. Suivant la formule classique de la nouvelle policière, le texte joue avec l’humour et les dialogues pour donner chair aux personnages et exploite efficacement la prémisse du saumon. De son côté, « Pacifica » de Paul Ruban surprend par le point de vue adopté et ouvre la porte à la réflexion.

Or, le texte qui a le mieux su me plaire est classé dans la catégorie « Thème libre » du numéro. Dans « La mémoire des cathédrales », Caroline Guindon met en scène un professeur plutôt particulier. Un septuagénaire érudit dont l’éloquence fascine ou laisse perplexe. Le comportement de l’homme est finement décrit et la finale à laquelle il mène renforce la complexité du personnage en même temps qu’elle la dévoile.

Le Professeur se retournait alors, joignait les mains en pressant ses index osseux contre ses lèvres entrouvertes. Attendant l’avènement du silence, sa perfection, il toussotait délicatement délicatement avant d’entamer sa légendaire descente vers la chaire. Cette tortueuse rétrogression durait une quinzaine de minutes, car elle était ralentie par l’ivresse de penser, disait-il, un foisonnement de phrases fébriles débitées indistinctement. En ces moments-là, ces sublimes minutes du prélude, le Professeur tenait davantage du voilier que de l’être humain. Le flot fiévreux de ses paroles le faisait tanguer et les étudiants occupant le bout des rangées, pour parer à un éventuel chavirement, tendaient d’instinct les bras quand il passait près d’eux. » (p. 65)

XYZ. La revue de la nouvelle, no 135: Armes, Lévesque éditeur, automne 2018, 101 p.

Sleepy Hollow. La légende du Cavalier sans tête

Je l’admets, je choisis parfois les films de mon cinéclub en fonction de la longueur des œuvres dont ils ont été inspirés. Pas le temps de lire une brique (surtout que, choisies pour les élèves, elles ne correspondent pas toujours à mon genre de lecture)? J’opte pour un texte plus court, comme Sleepy Hollow. La légende du Cavalier sans tête de Washington Irving. Soixante pages qui se lisent très bien, soixante-dix-neuf si on inclut les notes et les explications (dont je raffole).

Sleepy Hollow John Irving

Sleepy Hollow est une nouvelle centrée sur le personnage d’Ichabod Crane, instituteur sans domicile fixe du Val Dormant. Il s’y est arrêté un jour dans le but “d’instruire les enfants des environs” (p. 12) et est logé d’une semaine à l’autre chez les parents de ceux-ci:

“Après les heures de classe, il était souvent le compagnon de jeu des plus grands, et les après-midis fériés, il aimait à escorter jusqu’à la maison certains des plus petits, surtout s’ils avaient la chance d’avoir des sœurs jolies ou si leur mère était de ces excellentes ménagères aux talents culinaires reconnus. En fait, il était dans son intérêt de rester en bons termes avec ses élèves. Les revenus qu’il tirait de son école étaient maigres, et n’auraient sans doute pas suffi à lui gagner son pain quotidien, car c’était un très gros mangeur, et, bien que squelettique, il avait la faculté de se dilater comme un anaconda. Toutefois, afin que sa subsistance soit assurée, il était logé et nourri par les fermiers dont il instruisait les enfants, selon la coutume en vigueur dans ces campagnes. Ainsi passait-il à tour de rôle une semaine chez chacun d’eux, faisant la tournée du voisinage, transportant tous ses effets personnels serrés dans un grand mouchoir de coton.” (p. 13-14)

Cet extrait donne en partie le ton du livre: centré sur le personnage, descriptif et non dénué d’humour. On décrit le Val Dormant comme un lieu de songe, où quiconque le fréquente s’éprend de merveilleux. Ainsi différentes histoires de fantômes et de lutins sont-elles racontées, dont celle du Cavalier sans tête.

C’est une nouvelle sans grande action, plutôt axée sur l’ambiance et la construction du personnage, tellement que les deux premiers tiers font plus croire au début d’un roman qu’à une nouvelle. L’histoire se boucle pourtant à partir des éléments qui ont été mis en place tout du long et laisse le lecteur sur une fin ouverte, le narrateur suggérant quelques interprétations.

Sleepy Hollow au cinéma

Je crois que je n’avais jamais vu ce film de Tim Burton, proposé par un élève dans le cadre du cinéclub. Je l’ai donc découvert en même temps que les autres. Si les élèves ont adoré, personnellement, j’ai été moins captivée. C’est un bon film, bien fait mais, à mes yeux, il ne sort pas de l’ordinaire. Ça ressemble à du Burton, ça ressemble à du Johnny Depp.

Burton s’est inspiré de la nouvelle de Washington Irving, mais a construit une toute nouvelle histoire, ce qui n’est pas une mauvaise chose. D’instituteur dans la nouvelle, Ichabod Crane devient policier dans le film. Le texte d’ambiance devient un film où s’enchainent les actions.