Belle écriture… mais quelque peu hermétique. J’ai eu beaucoup de mal à entrer dans Missing et, la dernière page venue, il m’a bien fallu admettre n’y être jamais entrée complètement.
C’est l’histoire (mais y a-t-il vraiment histoire?) d’un journaliste énigmatique, Frost; puis c’est l’histoire d’un doctorant souhaitant
rédiger une thèse sur lui, le fréquentant un moment de ses questions et, Frost s’étant envolé (mais avait-il déjà entièrement été là?), partant vainement à sa recherche avec sa copine, Samantha.
J’ai le sentiment de résumer platement, cependant je crois résumer pleinement. Missing n’a pas de trame narrative au-delà de ces grandes lignes. Que des descriptions et des réflexions, des impressions. Pas nécessairement un problème, seulement l’écriture, malgré sa beauté, ne m’a pas emportée. Intéressant toutefois de suivre le parcours, en dernière partie, de Kingston à Mistassini, en passant par Montréal, Québec, La Malbaie, Tadoussac, Chicoutimi, Alma ou Val-Jalbert.
Missing en extraits
“Il lui semblera dormir d’un sommeil lourd, sans intrigue; mais les sommeils à écran blanc sont illusion des sens, un instant d’éveil et les marques s’effacent, ce qui s’était écrit dans le balbutiement codé des épisodes ne fait plus texte, ni transcription en langue diurne, ni matière à consignation sur un cahier; un sous-sol mal identifié neutralise le non-dit de son voyage, ses aperçus marginaux, les côtoiements indus.” (p. 42)
“L’aéroport est situé au nord sur ce même terrain dénudé, rocailleux par endroits, recouvert d’une herbe jaune filasse. Frost est en avance comme toujours, aime arriver tôt, a le temps ainsi de bien se repérer, d’habiter assez le lieu pour que son corps en garde l’empreinte, que le passage de son corps dans ce lieu soit plus qu’une mécanique, insignifiante trajectoire fonctionnelle.” (p. 43)
“Tout événement est une apothéose, un couronnement, le sacre d’un état fugace, la célébration d’un indécidable dont un des termes vient d’éclore, baptisé « logique », où le récit se coule maintenant à l’ombre des déductions et des enchaînements dans la continuité du vrai ou du faux, sans plus.
Certains ne manquent jamais de proclamer qu’ils ont prédit l’événement, prévu, senti venir; mais leur perspicacité feinte avait balayé tout le champ des suites possibles, non nécessaires, contingentes, et parmi elles, l’unique échue.” (p. 116)
“Dirai-je « je » jusqu’à la fin – cette figure syllabique nourrie d’un plein de la personne et d’un long poids d’histoire? Alibi d’une absence, piège sans fin pour le lecteur – rhétorique ou dessin?
Calligraphie du vide.
J’ai gardé cette faculté de renverser dans mon corps le sentiment de la proximité du monde, d’éloigner à volonté le monde de mon corps et l’influx de la durée. Je le faisais, enfant.
Le faisait-il?
Le temps naturalisateur y perd sur-le-champ de son pouvoir, se fait espace, et les lieux connus s’assemblent en archipel sur la page neuve de l’atlas, non géographique, non cartographiée celle-là. Le « je » dans ce transfert n’est plus qu’effet de stylet, privé de sa dernière attache au moi: un ailleurs a pris possession de moi.
Ma faculté opère tout à coup, mot de passe, transit; le mot pivote et « je » n’est plus là. Parfois, il n’est plus là sans que j’aie eu à articuler le mot; dans ces cas-là, « je » est saisi de peur.” (p. 132)
OLLIER, Claude. Missing, P.O.L., Paris, 1998, 178 p.