Une langue venue d’ailleurs

En juin dernier, j’ai visité Strasbourg. Cette dernière fournit toutes les occasions pour s’adonner au littéraire: librairies diverses, marché du livre extérieur et activités ponctuelles. J’y ai découvert la librairie internationale Kléber, que je me suis fait un devoir de visiter, d’autant plus qu’on me l’avait chaleureusement recommandée quelques jours plus tôt. Ce que j’apprécie tout particulièrement d’une telle librairie, c’est sa personnalité, qui se reflète dans le choix des livres qui sont mis de l’avant. En circulant entre les rayons de la librairie internationale Kléber, j’ai découvert ainsi exposé sur une table un unique exemplaire de Une langue venue d’ailleurs de Akira Mizubayashi.

Une langue venue d'ailleurs Akira Mizubayashi

Akira Mizubayashi est un fervent littéraire d’origine japonaise dont la passion pour la langue française a transformé la vie et le regard qu’il porte sur le monde. Et là réside l’essence de Une langue venue d’ailleurs. Dans cet ouvrage, l’auteur raconte comment est née chez lui cette passion et comment il est parvenu à mettre le français au centre de son existence pour en venir à n’être ni Français ni Japonais, mais quelque part entre les deux.

Une langue venue d’ailleurs m’a interpelée pour le rapport à la langue dont il traite. Mizubayashi dit avoir frappé très jeune des difficultés liées à l’expression de la pensée dans sa langue maternelle. Il affirme que le vocabulaire de l’époque et les discours qui étaient formulés par ses contemporains étaient tenus en vase clos dans les limites du japonais et que cela empêchait l’épanouissement de la pensée.

Les élèves avaient toute liberté, mais ils ne savaient pas que cette liberté était l’autre nom de l’aveuglement esclave. On leur disait: « Vous écrivez librement ce que vous en pensez. » Mais on ne leur donnait aucun outil pour être libre, pour penser, c’est-à-dire pour penser contre, pour penser par soi-même, autrement dit pour se libérer de l’emprise des forces obscures qui les empêchaient d’être libres, de penser, ou, cela revient au même, qui les obligeaient à ne pas penser; bref on ne leur donnait aucun moyen qui leur permît d’accéder à l’autonomie. Est-ce à dire que l’expérience des Lumières n’avait pas pénétré jusqu’au cœur de l’école japonaise? En tout cas, les élèves se croyaient libres, mais ils étaient esclaves de leur propre ignorance. Certes, ils se bourraient le crâne, mais ils s’enfermaient et se complaisaient par là même dans la non-pensée. Et l’institution scolaire faisait tout pour entretenir cette ignorance et cet état d’esclavage. (p. 192)

Grand mélomane, Mizubayashi a aussi été charmé par la musicalité du français, et c’est d’ailleurs à force de répéter à haute voix des phrases et des discours – pour les entendre sonner – qu’il a perfectionné sa maitrise du français et a appris à le parler sans accent.

Oui, le français est un instrument de musique pour moi. C’est le sentiment que j’ai depuis longtemps, depuis, tout compte fait, le début de mon apprentissage. Pour devenir un bon instrumentiste, il faut de la discipline, je dirai même le sens de l’ascèse. Et c’est ce que je dis à mes étudiants aujourd’hui: maîtriser le français, c’est en jouer comme jouer du violon ou du piano. Chez un bon musicien, l’instrument fait partie de son corps. Eh bien, le français doit faire partie de son corps chez un locuteur qui choisit de s’exprimer en français. En musique, il y a tous les niveaux, du niveau débutant au professionnel en passant par le niveau amateur. C’est pareil en langues. Le niveau professionnel ne s’acquiert pas en deux ou trois ans. Il faut des années de travail et toute une vie pour l’entretenir… Vous aimez le français. D’accord. Mais qu’est-ce que ça veut dire pour vous, « aimer le français »? Êtes-vous prêt à faire du français comme pour devenir un vrai musicien? (p. 155)

En fin de compte, Une langue venue d’ailleurs est un ouvrage beaucoup moins pointu que je ne le croyais de prime abord. Je m’attendais à une réflexion philosophique sur la langue et son impact sur notre vision du monde. Bien que le sujet soit abordé, il n’est pas creusé en profondeur (ce que j’aurais souhaité). Mizubayashi centre plutôt son propos sur son apprentissage du français, sur les étapes qui l’y ont mené et, surtout, sur son grand amour pour cette langue qu’il a fait sienne, au point d’en perdre – en partie – son identité japonaise.

Une belle lecture d’avion.

De ces petites réjouissances linguistiques

Parmi les trouvailles extraordinaires et anodines que l’on peut faire dans un livre, il y eut pour moi, dans Une langue venue d’ailleurs, la découverte de la signification du mot japonais yoshi. Il faut savoir que le gentil dinosaure héros du Nintendo a accompagné mon enfance. Je le dessinais et le renommais, trouvant une appellation pour chacune de ses formes dans Mario World: j’avais par exemple nommé le Yoshi vert Yochéri. Dans Une langue venue d’ailleurs, Mizubayashi parle de son chien et d’une parole qu’il lui a dite à un moment: “Yoshi” (vas-y).

Je ne verrai plus jamais le monde de la même façon.

Une langue venue d'ailleurs Akira Mizubayashi Yoshi

Une langue venue d’ailleurs en extraits

« La littérature me paraissait relever d’un autre ordre de parole. Elle tendait vers… le silence. Une autre langue était là, celle qui se détachait de la fonction répétitive, monétarisée du discours social, usé à force de circuler. » (p. 27)

« Imiter, c’est le désir de devenir autre, celui de ressembler à autrui, souvent une personne qu’on admire. C’est mimer et reproduire les gestes d’un être avec qui on s’identifie volontiers. » (p. 36)

“Est-ce à dire que dans la langue française se trouve inscrite une façon toute dialogique de créer des liens et que celle-ci, au même titre que les opérations de calcul mental, constitue la couche la plus profonde de la langue dont la sédimentation est presque contemporaine de la formation de l’être parlant? » (p.164-165)

« La pensée ne court pas aussi vite que les mouvements instantanés de l’humeur. » (p. 206)

« Le conseil d’un ami français fut décisif: chacun devait parler à l’enfant sa langue d’origine. C’est la seule manière de respecter les souvenirs les plus lointains, les choses enfouies au plus profond de soi-même, les goûts, les préférences, les penchants dont on n’est pas maître, bref tout ce qui relève peut-être de l’inconscient. » (p. 225)

« [­…] l’enseignement en tant que travail d’éloignement et d’arrachement à soi, et non de proximité. » (p. 230)

« Il y a, et on le conçoit, des peuples sans écriture, mais pas d’êtres humains sans parole. Cependant, en ce qui me concerne, moi en tant que locuteur en français, j’ai toujours eu le sentiment que l’écriture précédait la parole… » (p. 243)

« Mais parler, cette étrange manie de l’homme, que ce soit dans votre propre langue ou dans celle qui vient d’ailleurs, n’est-ce pas au fond un acte qui défie la pudeur? Parler, c’est exposer sa voix nue, dévoiler par sa voix sa manière absolument singulière d’exister, donc s’exposer à nu, une dénudation, d’une certaine façon. Si je laissais ma pudeur l’emporter, ne serais-je pas obligé de m’enfermer dans le silence, un silence bruissant de mots et d’émotions certes mais un silence tout de même? Parler, c’est quelque part résister à la pudeur. » (p. 248)

« Nancy Huston écrit: « L’acquisition d’une deuxième langue annule le caractère naturel de la langue d’origine – à partir de là, plus rien n’est donné d’office, ni dans l’une ni dans l’autre; plus rien ne vous appartient d’origine, de droit et d’évidence. » (p. 261)

MIZUBAYASHI, Akira. Une langue venue d’ailleurs, Folio Gallimard, 2013, 272 p.
(Préface de Daniel Pennac)

Messieurs les enfants

Messieurs les enfants s’ouvre directement dans l’univers de Pennac avec un enseignant qui hurle sans élever la voix : “L’imagination, c’est pas le mensonge.” Crastaing, voilà le nom du hurleur, crie ainsi sur ses élèves depuis plus de trente ans. Aucun des textes de ses pauvres élèves n’est jamais satisfaisant, et il le leur fait savoir grâce à des hauts cris. L’histoire commence quand Joseph et Igor se font pincer pour avoir en leur possession un dessin représentant une foule en furie, armée, pourchassant Crastaing; “Crastaing salaud la classe aura ta peau!”, dit la bannière. Éloquent. Comme Nourdine Kader s’accuse à leur place, il se retrouve lui aussi collé avec un devoir supplémentaire en guise de punition. Une rédaction. Sur le thème de la famille (Crastaing est obsédé par ce thème):

“Sujet:

Vous vous réveillez un matin, et vous constatez que, dans la nuit, vous avez été transformé en adulte. Complètement affolé, vous vous précipitez dans la chambre de vos parents. Ils ont été transformés en enfants.

Racontez la suite.”

Et le monde en vient à basculer. Je me suis demandé tout du long: “Mais c’est quoi, ce bordel?”. Parce que ce livre est un véritable capharnaüm. Un bordel cacophonique. Il faut dire que des ados et des enfants, qu’importe leur âge, ça fait du bruit. Avec un enseignant qui beugle, par dessus le marché… Et la panique qui s’intègre

Messieurs les enfants Daniel Pennac

C’est étourdissant, mais tout compte fait, cela sert bien le sujet. Puis, je n’aurais pas dû en être si surprise, l’histoire de Messieurs les enfants s’avère assez cohérente en bout de ligne. On boucle la boucle. Ça se tient. Et comme tout auteur le fait devant une explication impossible à donner, Pennac use de l’ellipse. Ce qui n’est pas si mal en bout de ligne (passé mon premier cri de contestation).

Messieurs les enfants est narré par un JE inconnu qui se révèle plus tard être un fantôme qui ne croit pas aux fantômes. Pourquoi pas? Puis Pennac ne serait pas Pennac sans tautologies, comparaisons drôlement assorties et fortes personnifications:

« Igor et Joseph se penchent donc aux vitres fumées, ils inspectent l’intérieur comme on fait le compte des poissons rouges. » (p. 28) « Sur quoi, le petit rondouillard en djellaba mit devant ses lèvres un doigt qui commandait silencieusement le silence. » (p. 187) « La vaisselle parle de plus en plus fort, elle se noie à gros bouillons, elle pèle de froid dans l’égouttoir […] » (p. 45-46) J’ai perdu un temps fou hier à chercher en vain le film Messieurs les enfants de Pierre Boutron. Si j’ai bien compris, Pennac et lui en ont écrit ensemble le scénario, puis se sont retirés chacun de son côté, l’un pour en faire un film, l’autre pour en faire un roman. Ils devaient se montrer leur travail une fois le tout terminé. J’aurais bien aimé comparer les œuvres, mais tout ce que j’ai trouvé du film, c’est la bande-annonce, que vous trouverez ici: http://www.fan-de-cinema.com/bandes-annonces/messieurs-les-enfants.html Extraits:

“Bien sûr, les enfants ont changé depuis mon enfance! Ils sont devenus fluorescents, leurs baskets luisent quand ils pédalent dans la nuit, les walkman leur font des têtes de mouche et des surdités de vieux, ils parkinsonnent comme d’authentiques rockers, raccourcissent tifs et jupes dans l’espoir de se rallonger, bouffent le matin les graines des oiseaux et à midi l’ordinaire yankee, jurent comme on nous l’interdisait et s’envoient des films qu’ils nous défendent de voir.” (p. 26)

“[­­…] la pire saloperie que puisse vous faire un cauchemar, c’est de vous donner l’illusion de sa propre conscience, “pas de panique, c’est un cauchemar”, et de continuer à en être un!” (p. 100)

“En ce qui me concerne, je n’ai jamais laissé Igor m’étouffer sous les “pourquoi”. Là où Tatiana s’embarquait avec une patience suspecte dans la boucle sans fin des “pourquoi, parce que, mais pourquoi, parce que…”, j’ai vite fait, moi, le procès des réponses causales.
-Les enfants se foutent des causes, Tatiana! Seul le
but les intéresse.
Ce qui est la vérité vraie. Qu’un moutard vous demande “Pourquoi il pleut?”, la pire des réponses à lui faire concerne “les nuages…”, réponse qui entraine illico “Pourquoi les nuages?”, et vous voilà embarqué dans l’analyse complexe des “précipitations atmosphériques”, “Pourquoi les prézipitazions?”, avec leur cortège d’anticyclones, “Et pourquoi ils viennent des Zazores?”… Folle spirale où vous heurtez vite et fort les parois de votre incompétence, ce qui vous accule à la baffe libératrice, ou pis, au mensonge.
Non, cet âge réclame des réponses
finales.
   Un exemple de réponse finale?
-Pourquoi il pleut? demandait invariablement Igor quand nous promenions nos dimanches à la campagne.
-Hein? Pourquoi il pleut?
Pour que les fleurs poussent, Igor.
Ce n’est pas qu’Igor aimât particulièrement les fleurs (il ne manifeste aucune sympathie pour celles qui ornent ma tombe), mais leur nécessité ne faisait aucun doute, puisqu’il les avait sous les yeux, là, au bord du chemin où nous pataugions en famille.
-Pour que les fleurs poussent.
La réponse finale octroie cinq bonnes minutes de tranquillité. L’essayer, c’est l’adopter.
Tatiana était contre, bien sûr. Elle prétendait qu’à tout “finaliser” (l’expression est d’elle) j’allais faire d’Igor un cynique, un amputé de la nostalgie, peut-être même un homme politique. J’affirmais, moi, que les mères “causalistes” (l’expression est de moi) fabriquaient des ergoteurs sans perspectives, dissecteurs de poèmes, médecins légistes de la rêverie.
-Pourquoi vous vous disputez? demandait Igor.
-Pour que tu pousses droit.” (p. 102-104)

PENNAC, Daniel. Messieurs les enfants, Folio Gallimard, 1999, 272 p.

Aux fruits de la passion

Sixième et dernier volet de la saga des Malaussène, Aux fruits de la passion tient son titre de « Les fruits de la passion”, dans le livre: nom d’une garderie accueillant des enfants de prostituées, des enfants de putes, ici appelés “putassons”. Pennac.

On se demande en ouvrant cet ultime tome qu’est Aux fruits de la passion si le tout sera prévisible, s’il suivra le même schéma… Réponse: non et oui. Bref, le moule est cassé sans être cassé. C’est ce qui amuse, je crois. On se retrouve dans ce même univers qui nous plaît et les péripéties prévisibles (le ciel tombant toujours sur la tête du narrateur) ont bel et bien lieu et c’est ici tout le jeu, le personnage qui s’y préparant fatalement… mais lesdites péripéties nous réservent quelques bons revirements. Bref, ça vaut bien quelque 221 pages de votre temps.

Je ne m’étendrai pas plus sur le sujet puisque je vous bombarde littéralement de billets ces derniers jours et terminerai, encore une fois, sur quelques extraits.

Aux fruits de la passion Daniel Pennac

Aux fruits de la passion en extraits

Ce n’était pas un conteur. C’était un conseiller à la Cour des comptes. Le Petit était encore à l’âge où on place ses espoirs dans l’homonymie; il entendait ce qu’il voulait entendre.” (p. 20)

 “Je n’ai pas voulu en voir davantage. Plus la télé vise à la surprise, moins elle surprend. C’est dans sa nature d’estomac; les estomacs n’étonnent jamais, ils digèrent. Parfois, ils refoulent, c’est toute la surprise qu’on peut en attendre.” (p. 92)

 “Que Marie-Colbert se calme, son enquête administrative n’y est pour rien, Charles-Henri est mort par la faute des astres et de l’amour, car l’amour tue, comme les jeux de hasard: cette certitude qu’on ne pourra jamais se refaire.” (p. 146)

Non, je ne pouvais pas. Le soupçon n’est pas mon fort. Si l’humanité m’est suspecte dans son ensemble, j’ai toujours fait crédit aux particuliers.” (p. 158)

PENNAC, Daniel. Aux fruits de la passion, Folio Gallimard, 2000, 240 p.

Des chrétiens et des Maures

Des chrétiens et des Maures est le 5e tome de la saga des Malaussène de Daniel Pennac. Un tout petit 89 pages écrites en assez gros caractères.

Il vous faut savoir que la tribu Malaussène est constituée de nombreux frères et sœurs que l’ainé, Benjamin dit frère de famille, aura tous élevés. Tous de pères différents: leur mère disparait chaque fois qu’elle tombe amoureuse et réapparait la relation terminée et le ventre plein d’un nouveau membre de la famille.

 Dans ce très court roman, le Petit, qui refuse de manger depuis près de trois jours, s’entête à dire: “Je préfèrerais mon papa.” Benjamin, affolé, y voit une métaphore du Bartleby de Herman Melville. Pas le choix, il faut trouver le papa du Petit, sinon il crèvera de faim. Pourtant, c’est impossible.

 Je l’ai déjà dit, Pennac adore la mise en abyme et c’est ici tout le secret de la chose…

Des chrétiens et des Maures Daniel Pennac

 Des chrétiens et des Maures en extraits

 “Je préférerais mon papa, répondit le Petit sans toucher à son potage.
Ce conditionnel présent hanta ma nuit.
Je préfére
rais.
   Le Petit avait bien dit: “Je préférerais mon papa.”
J’ignorais que le mode d’un verbe pût vous glacer le sang. Ce fut bel et bien le cas. Pour une raison que je ne parvenais pas à m’expliquer, ce conditionnel présent emprisonna ma nuit dans un sarcophage de terreur. (Métaphore lamentable, je sais, mais je n’étais pas en état d’en trouver une meilleure.)” (p. 15)

PENNAC, Daniel, Des chrétiens et des Maures, Folio Gallimard, 1999, 96 p.

Monsieur Malaussène

Voilà achevé Monsieur Malaussène, le 4e tome de la saga des Malaussène de Daniel Pennac. Toujours un plaisir, toujours extravagant. Cette fois, l’auteur s’est (très) laissé aller dans le jeu de mots et dans la tautologie. Un auteur bien conscient des procédés qu’il emploie et qui se plait à nous les exposer par le biais de son narrateur:

 “-Du calme, c’est fini. Détendez-vous. C’était pour rigoler. Comment vous vous appelez?
-Clément.
-Clément comment?
-Clément Clément.
C’était probablement vrai. Il avait bien une bouille à sortir d’un papa suffisamment fier de son spermato pour en faire une tautologie.” (p.59)

 “Je sais, je sais, on peut tout dire, mais on n’a pas le droit de trimballer le lecteur sur une profondeur de huit chapitres en lui annonçant à l’orée du huitième que toute cette tension tragique, ce sentiment d’injustice qui croissait à chaque mot, cet effroyable verdict enfin, que tout cela était une blague, et que les choses se sont passées différemment. Ça relève de l’abus de confiance, ce genre de procédé, ça devrait être puni.” (p.522)

Voyez-vous, Pennac aime beaucoup la mise en abyme, procédé qu’il exploite allègrement dans cette série où chaque histoire vécue par le narrateur sera reprise tôt ou tard par un autre personnage pour en faire un roman ou raconter une histoire aux enfants… Les choses s’emboitent en série. C’est ce que ce dernier passage de Monsieur Malaussène annonce.

Monsieur Malaussène Daniel Pennac

 Et parce que j’ai pris des notes, cette fois, voici quelques extraits qui m’ont particulièrement amusée.

Monsieur Malaussène en extraits

 “Savez-vous que d’un point de vue génétique nos enfants naissent plus âgés que nous?… l’âge de l’espèce, plus le nôtre… génétiquement parlant, ils sont nos aînés…” (p. 63)

 “Ce fut le moment que Liesl choisit pour plaquer son regard sur le ventre de Julie.
-C’est pour quand?
-Le printemps prochain, répondit Julie.
-Ce n’est pas forcément la meilleure époque, ma chérie. J’ai fait le mien au printemps, il a passé sa vie à bourgeonner.
Allusion délicate à l’eczéma et aux rhumatismes chroniques de Matthias.” (p. 101)

 “Une erreur judiciaire est toujours un chef-d’œuvre de cohérence.” (p. 502)

 “Le soleil ensoleillait. Les bourgeons bourgeonnaient. Les pigeons pigeonnaient.” (p. 566)

 “J’ai senti que ça s’était accroché, en effet. Il y avait de la vie furieuse à l’autre bout de ma ligne.
-Ne tirez pas. Respectez sa mauvaise humeur, mais sans le laisser en faire à sa tête. Vous l’accompagnez, pour ainsi dire. S’il veut du fil, donnez-lui du fil. Mais jamais mou. La technique de la filature, en somme.
Le moulinet moulinait furieusement.
-Stop! Pas trop long. Obligez-le à faire ses abdominaux entre deux eaux, qu’il n’aille pas se cacher derrière une épave. Voiaaaaaalà. C’est lui le muscle et vous le cerveau, Benjamin, n’oubliez jamais ça. Quand il sera bien fatigué, il sera content de venir vous trouver, comme un coupable soulagé de se faire prendre […]” (p. 597)

 Enfin, j’ai aussi recueilli une belle liste de figures de style. Je vais pouvoir m’amuser avec les élèves…

PENNAC, Daniel. Monsieur Malaussène, Folio Gallimard, 1997, 656 p.

La saga des Malaussène tomes 1, 2 et 3

Une série qui m’amuse particulièrement cet été: la saga des Malaussène de Daniel Pennac.

Un des grands plaisirs de l’été: lire. Surtout sur le bord du lac, entre deux baignades. Mes vacances sont donc en grande partie faites de livres. J’attendais d’avoir reçu mon surligneur électronique pour commencer ces billets (histoire de ne plus avoir à prendre de notes en lisant… paresse paresse…) mais on m’a mal conseillée et j’ai d’abord reçu un engin tout à fait inadapté à la situation puis je n’ai pas encore osé recommander (cela viendra: Mise à jour [23 septembre 2017]: ou pas). Bref, j’ai bien essayé de mémoriser quelques numéros de pages au fil de mes lectures, mais force m’est d’admettre que je souffre d’une récente dyscalculie: les numéros se sont tout emmêlés dans mon cerveau et ne semblent plus vouloir correspondre aux pages qu’ils devaient désigner… Tant pis pour les passages que j’aurais souhaité partager.

La saga des Malaussène Daniel Pennac Au bonheur des orgres La fée carabine La petite marchande de prose

Le personnage: Benjamin Malaussène dont le travail est bouc émissaire, c’est-à-dire qu’il est payé pour se faire engueuler à la place des autres. Voici la prémisse de Au bonheur des ogres. C’est épique, éclaté et complètement déjanté. Ceux qui sont épris de réalisme linéaire s’abstenir. C’est toujours un brin tiré par les cheveux, et ça marche! Bref, c’est génial. Puis Pennac manie la figure de style à merveille, il y va très fort dans la comparaison, la métaphore et l’antithèse. Et comme une figure de style suffit à m’amuser…

Pour vous faire découvrir un peu le style de la saga des Maulaussène, voici comment débute La fée carabine:

 “C’était l’hiver sur Belleville et il y avait cinq personnages. Six, en comptant la plaque de verglas. Sept, même, avec le chien qui avait accompagné le Petit à la boulangerie. Un chien épileptique, sa langue pendait sur le côté.
  La plaque de verglas ressemblait à une carte d’Afrique et recouvrait toute la surface du carrefour que la vieille dame avait entrepris de traverser. Oui, sur la plaque de verglas, il y avait une femme, très vieille, debout, chancelante. Elle glissait une charentaise devant l’autre avec une millimétrique prudence. [­…] À force de progression reptante, ses charentaises l’avaient menée, disons, jusqu’au milieu du Sahara, sur la plaquer à forme d’Afrique. Il lui fallait encore se farcir tout le sud, les pays de l’apartheid et tout ça. À moins qu’elle ne coupât par l’Érythrée ou la Somalie, mais la mer Rouge était affreusement gelée dans le caniveau. [­…]” (p. 13)

Bref, la saga des Malaussène vaut la peine d’être lue.

J’ai aussi eu le temps de terminer d’autres livres, ces dernières semaines, mais ils feront l’objet d’un prochain billet. En attendant, je ferais bien de noter les numéros de pages plutôt que de tenter de les mémoriser…

PENNAC, Daniel. Au bonheur des ogres, Folio Gallimard, 1997, 288 p.

PENNAC, Daniel. La fée carabine, Folio Gallimard, 1997, 320 p.

PENNAC, Daniel. La petite marchande de prose, Folio Gallimard, 1997, 420 p.