Cette lumière qui vient de la mer

Quand je fais les bouquineries, j’espère toujours faire une petite trouvaille du côté des auteurs japonais, mais leurs livres ne peuplent pas les rayons de l’usagé. J’ai donc été agréablement surprise – surtout surprise – de dénicher ce livre de Hiromi Kawakami: Cette lumière qui vient de la mer. Une lecture douce et simple, petite incursion dans la culture nippone. J’ai aimé, mais ce livre ne m’aura pas marquée, il n’a pas résonné en moi comme l’avait fait Les années douces, de la même auteure.

Cette lumière qui vient de la mer Hiromi Kawakami

Midori est un adolescent comme les autres, mais qui vient d’une famille peu ordinaire. Il a été élevé par sa grand-mère, qu’il appelait “maman” jusqu’au jour où celle-ci lui a annoncé que c’était Aiko, sa mère, et qu’à compter de ce moment il devait l’appeler maman, qu’elle n’était pas sa sœur. Cependant, bien qu’elle travaille pour faire vivre cette petite famille, Aiko a toujours eu la maturité volage. Puis il y a Otori, un ami de la famille avec qui Midori s’entendait bien tout petit jusqu’au jour où sa grand-mère lui a annoncé qu’il était son père.

Midori a seize ans et se pose les questions de l’adolescence. Au lycée, il est entouré de son meilleur ami, Hanada, qui décide de porter des vêtements féminins pour changer le regard des autres sur lui et se sentir exister, puis Mizue, sa copine, qui traine partout ses journaux intimes dans un immense sac pour éviter que sa mère ne les lise en son absence.

L’histoire de Cette lumière qui vient de la mer est simple, les actions limitées, comme pour Les années douces. Il semble que les romans de Kawakami mettent en scène des relations humaines plus que des histoires. L’écriture est belle et les liens entre les personnages intriguent et donnent envie de poursuivre la lecture. Voilà la force de l’auteure. Simplement, avec ce livre, j’aurais aimé qu’elle approfondisse un peu plus.

Cette lumière qui vient de la mer est un livre simple, joli, qui raconte l’adolescence et sa quête qu’individuation. On y trouve une belle imagerie et des liens qui nous rattachent à la nature. J’ai aimé que les personnages changent de décor: on se retrouve sur une ile et on découvre un nouveau rythme, un style de vie différent.

Cette lumière qui vient de la mer en extraits

“Mizue a avalé sa salive, puis, sans attendre, elle s’est excusée. Elle est capable d’être très directe, mais par ailleurs, elle est d’une grande prudence, comme les crabes sur la grève.” (p. 55)

“Près de la porte, la blancheur des petites fleurs de kodemari émergeait de la nuit. Cela m’a fait penser qu’en cette saison, les fleurs qui fleurissent dans notre jardin sont toutes blanches. Les fleurs blanches ont un petit côté fragile, mais je ne saurais dire pourquoi.” (p. 67)

“Aucun élève de la classe n’avait les eux fixés sur moi, mais je sentais nettement certains de leurs regards, sur lesquels je n’avais pas prise. C’était ça peut-être, ces regards insaisissables de ceux qui font semblant de ne rien voir.” (p. 213)

“On avait placé un petit banc, avec une poubelle à côté. Beaucoup de gens devaient monter jusqu’ici par le passé.
« Il y a un pin qui a poussé dans la poubelle », a dit Hanada.
J’ai regardé, et pour cause, la poubelle n’avait plus de fond. Dans la terre avaient poussé plusieurs arbrisseaux.
« Ils occupent toute la place!
— Tout de même, quel besoin avaient-ils de venir exprès dans cette poubelle!
— Après tout, moi, je me sens à l’abri dans un placard, alors!
[­…]
»” (p. 293)

“Je me suis assis sur un tronc d’arbre. Hanada a fait comme moi, un peu plus loin. La pluie nous entoure, nous sommes encerclés. Elle tombe tout droit. Immobile sous mon parapluie, j’ai retenu mon souffle, j’avais l’impression que j’étais moi-même un énorme motif de champignon.” (p. 297)

KAWAKAMI, Hiromi. Cette lumière qui vient de la mer, Picquier poche, Arles, 2008, 374 p.

Le chat qui venait du ciel

Le chat qui venait du ciel de Takashi Hiraide est un court roman empreint de joliesse et de délicatesse dans lequel l’auteur raconte le passage du chat Chibi dans sa vie. Un livre simple, sans grande action, mais qui nous transporte (c’est le mot) dans le quotidien d’un jardin, d’un chat, d’un couple.

Le chat qui venait du ciel Takashi Hiraide

J’aime beaucoup les romans contemplatifs, car ils me donnent le sentiment d’être là, à réfléchir avec l’auteur et à m’imprégner de ce monde qu’il tente de me transmettre. Encore plus quand ils s’inscrivent dans une autre culture et me la font ainsi découvrir, en toute simplicité, par clins d’œil. Le chat qui venait du ciel est un roman largement autobiographique. Takashi Hiraide y raconte sa vie dans le pavillon sis dans un grand jardin que sa femme et lui ont eu la chance d’habiter, et comment le chat Chibi a fait apparition dans leur vie. Un petit chaton, décrit comme étant tout particulier, est un jour venu et a été adopté par la famille d’à côté. Bientôt, il s’est mis à jouer dans le jardin puis à rendre des visites au couple. Jamais il ne miaulait, jamais il ne se laissait toucher. Toutefois, il avait ses habitudes. Bientôt, il entra dans le pavillon, dormit dans le placard et rythma le quotidien du couple. Ce couple formé de deux auteurs admirait l’animal avec les yeux de la poésie. Takashi Hiraide en a fait un roman.

Le chat qui venait du ciel en extraits

“Après avoir joué tout son saoul, Chibi a pris l’habitude de revenir dans la maison pour se reposer. La première fois qu’il s’est endormi chez nous, posé comme une perle sur le canapé où il dessinait une virgule, la maison tout entière a été plongée dans une joie profonde, comme en face d’une scène concevable seulement dans les rêves.” (p. 18)

“Les animaux, les chats par exemple, ont chacun leur caractère, ce qui est plus intéressant que de les mettre tous à la même enseigne. C’est ça qui est remarquable, a-t-elle ajouté.
   « Pour moi, Chibi est un ami qui me comprend, un ami qui a l’apparence d’un chat. »
Et l’observation exempte de sentimentalité est la meilleure façon d’aimer. Elle m’apprit que c’était une maxime énoncée par quelque penseur. Apparemment, ma femme notait sur un grand cahier les faits et gestes de Chibi au jour le jour.” (p. 42)

“Voici ce qui se passa un jour d’été. En pleine nuit, alors que tout le monde était déjà endormi, il se mit à courir avec bruit, chose qui ne lui arrivait jamais. Il avait sauté sur la table que nous avions déplacée près de la fenêtre pour installer les futons et s’accrochait à la moustiquaire de la porte vitrée restée ouverte, quand je fus pour de bon réveillé par ce raffut anormal.
Tout en haut, le ventre plaqué contre la moustiquaire comme une salamandre, il tendait le cou pour tenter d’apercevoir sa maison de l’autre côté de la palissade. Même dans son désarroi, il n’émettait pas le moindre miaulement. Ma femme finit par comprendre que l’issue était fermée. La veille, il était passé par l’entrée, contrairement à son habitude, et nous avions commis l’étourderie de laisser fermé le passage qui lui était réservé. Depuis ce temps-là, nous appelions cette posture de Chibi
« l’appel du pays natal », et il nous est souvent arrivé d’évoquer cette attitude qu’il n’est pas courant d’observer chez le commun des chats.
Décidément, ce chat n’était pas notre chat. Ma femme fut obligée d’en convenir une nouvelle fois.” (p. 64)

“D’où vient ce désir de se rendre à l’endroit où un corps a été mis en terre? Comme si on voulait s’assurer que cette présence perdue à jamais, cette absence devenue irrémédiable, est celle d’un être précieux et irremplaçable, dont un mécanisme psychologique fait qu’on veut lui rester lié par le biais d’une autre dimension.” (p. 84)

HIRAIDE, Takashi. Le chat qui venait du ciel, Picquier poche, Arles, 2006, 130 p.

Je vous écris

À mi-chemin entre roman et recueil de nouvelles, Je vous écris du japonais Hisashi Inoue est composé de douze textes (dix seulement pour la version française, deux de la version originale contenant des jeux de mots apparemment intraduisibles). Chacun prend la forme de la correspondance entre les personnages qu’il met en scène: des lettres, surtout, mais aussi des extraits de journaux, des actes officiels (acte de naissance, de mariage) ainsi que des textes telle une pièce de théâtre. Le lecteur, donc, épie indirectement la vie des personnages.

Je vous écris Hisashi Inoue

Je vous écris se lit tranquillement, un chapitre à la fois, une petite histoire après l’autre, toujours un peu surprenante, à sa manière. Un dernier chapitre vient clore le tout, faisant de Je vous écris un roman plus qu’un recueil de nouvelles, car dans ce chapitre réside le lien entre tous ces personnages quasi anonymes.

J’ai bien aimé Je vous écris. Il y a quelque chose de particulier dans l’écriture des romans japonais (j’ose croire que les traductions sont bien faites), quelque chose de doux, de simple surtout et de d’apparence naïve (pas toujours, ceci dit). Certes, je n’ai pas encore lu assez d’auteurs japonais pour me faire une idée plus complète mais, pour l’instant, j’y retrouve toujours cette petite touche qui me plaît.

Hisashi Inoue est aussi l’auteur des 7 roses de Tokyo, un livre à lire, à ce qu’il parait. Je vous en parlerai peut-être un jour…

INOUE, Hisashi. Je vous écris, Picquier poche, Arles, 2000, 239 p.

Les années douces

Il est difficile de dire pourquoi on aime Les années douces. Et pourtant, on aime. C’est un roman en tableaux, chaque chapitre se faisant une vitrine sur les rencontres de Tsukiko, célibataire endurcie de 37 ans, et du maître, son ancien professeur de japonais. Ils se croisent par hasard dans un petit troquet où ils vont boire du saké et, au fil des rencontres hasardeuses, se lient d’amitié…

Les années douces Hiromi Kawakami

On lit Les années douces pour sa douceur, pour ses clins d’œil aux choses simples de la vie, pour l’incursion qu’il nous fait faire dans la culture japonaise.

Les années douces en extraits:

“Il y a beau temps que j’ai cessé de ressentir ce genre de malaise quand je me retrouve en famille. Simplement, je me sens gênée aux entournures. C’est un peu comme quand on choisit un vêtement parmi d’autres qui sont censés convenir parfaitement à vos mesures, il y en a un dans lequel on nage, tel autre qui est trop long et dont le bord traîne par terre. La surprise vous fait retirer le vêtement, mais quand vous le mettez simplement devant vous, pas d’erreur, il est parfaitement à vos mesures. Oui, c’était quelque chose comme ça.” (p. 88-89)

   “De la corbeille de pommes placée à côté de mon oreiller s’élevait leur odeur. Dans l’air froid de l’hiver, la senteur se faisait plus forte que d’habitude. J’ai l’habitude de peler des pommes après les avoir coupées en quatre, mais ma mère enlève la peau en passant délicatement le couteau autour du fruit tout rond, me suis-je souvenue dans ma tête vague. Un jour, j’ai pelé une pomme pour mon ancien amant. Pour commencer, la cuisine n’a jamais été mon fort, et même si c’était le cas, ça ne me disait rien de lui préparer des repas froids ou d’aller jusque chez lui pour lui concocter des petits plats, non plus que de l’inviter à dîner pour lui faire goûter ma cuisine. Je craignais, en agissant ainsi, de me retrouver prise au piège. Je voulais aussi éviter à tout prix que l’autre puisse s’imaginer que je cherchais à le retenir prisonnier. Il suffisait que cela me soit égal, à moi, de ne pas pouvoir m’échapper, mais justement je n’arrivais pas sans mal à faire que cela me soit indifférent.
Quand j’ai pelé la pomme, mon amant a été stupéfait. Toi aussi, il t’arrive de peler une pomme! Il a dû dire quelque chose dans ce genre. Je sais faire ça, figure-toi. Oui, au fond. Évidemment, qu’est-ce que tu crois! Quelque temps après cette conversation, nous nous sommes quittés. Ce n’est pas que l’un de nous deux ait pris l’initiative. Nous avons peu à peu cessé de nous téléphoner. Nous ne nous détestions pas pour autant. À force de rester sans nous voir, le temps a fini par passer.” (p. 92-93)

“Dans la glace en pied, mon corps nu n’offre pas la moindre résistance à la pesanteur et ne pénètre pas mon regard. Ce n’est pas avec mon moi visible que je converse, c’est avec celui qui reste invisible, celui qui flotte dans la pièce, semblable à des parcelles qui me donnent mon moi à pressentir. (p. 106)

“Selon le calendrier [traditionnel japonais], on était au début du printemps, mais les jours étaient encore courts. Tant qu’à faire, je trouve plus agréables les journées d’hiver, si brèves qu’elles semblent vous chasser. Quand on se dit que de toute façon le jour va bientôt décliner, le cœur est prêt à accueillir l’obscurité légère et élégante qui fait naître le regret. Maintenant que les jours ont rallongé suffisamment pour faire dire, tiens, il ne fait pas encore nuit, on perd pied. Voilà, la nuit est tombée, et l’instant d’après, un sentiment de désolation s’empare de vous et vous enveloppe d’une solitude pesante et lancinante.” (p. 106-107)

“Les idées qui viennent la nuit, si on ne les dompte pas, finissent par prendre des proportions gigantesques.” (p. 212)

KAWAKAMI, Hiromi. Les années douces, Picquier poche, Arles, 2005, 283 p.