J’ai relancé le cinéclub littéraire à mon école pour une deuxième année. Parmi les œuvres au programme, Il faut prendre le taureau par les contes! de Fred Pellerin. Je connaissais le film qui en a été inspiré, Babine, mais je n’avais jamais lu le livre. C’est avec plaisir que je me suis attelée à la tâche.
Le conte, comme tout ce que raconte Fred Pellerin, se situe dans l’aujourd’hui mythique village de Saint-Élie-de-Caxton, petit coin tranquille de la Mauricie. Il met en scène Babine, fou du village et bouc émissaire, homme à tout faire qui se prend la claque et les peines de mort à répétition. Parce qu’on pourrait s’ennuyer facilement, à Saint-Élie, si on n’organisait pas une exécution chaque deux semaines. Et qui de mieux placé que Babine pour se faire volontariser à la tâche? Heureusement pour nous, rien ne vient à bout de ce fou naïf et attachant.
L’univers de Fred Pellerin est complètement déjanté, ses personnages originaux. On sourit ou on rit carrément. Lecture légère donc, mais riche de ses jeux sur la langue et de ses trésors d’imagination.
Le livre est accompagné d’un enregistrement audio du spectacle éponyme. Je l’ai écouté dans l’auto, dans un aller-retour vers l’université. J’ai conduit le sourire aux lèvres, m’amusant du ton et des blagues et constatant que la lecture du livre ne nuit en rien au plaisir de l’écoute: Fred Pellerin raconte les choses comme elles lui viennent, semble-t-il, usant de variantes dans un contexte ou dans l’autre. Pour les curieux, voici une vidéo de son spectacle.
Il faut prendre le taureau par les contes! au cinéma
J’avais déjà vu le film Babine et me souvenais m’être sentie émerveillée, transportée dans cet univers bien particulier. Vague souvenir de moi assise sur le plancher du salon, je ne sais pourquoi. Je l’ai donc redécouvert hier avec les élèves, et j’ai pu constater que la magie opère toujours. J’ai adoré, encore une fois, de même pour les trente-trois élèves présents, qui ne pouvaient retenir leurs rires, commentaires enjoués ou offusqués… Bref, le film fait vivre des émotions. Personne n’y est resté indifférent. Babine, narré par Fred Pellerin, reprend plusieurs tableaux de Il faut prendre le taureau par les contes! mais souvent dans le désordre et en y intégrant de nombreux autres éléments de façon à créer une trame narrative plus intéressante pour le cinéma. Une œuvre à découvrir.
Il faut prendre le taureau par les contes! en extraits
“Par chance que chez nous, ils eurent l’idée de la peine de mort. C’était capital. Ça nous prenait un divertissement pour passer à travers la lacune. Très tôt, dans notre histoire, se mit en place une cohorte à but non lucratif ayant pour mission de condamner souvent. Et pour éviter les dénombrements, il fut décidé d’un turc, à savoir qu’on exécuterait toujours la même tête-de-turc. Plutôt que de s’évertuer à chercher des persécutés en permanence et d’en venir à ce que tout le monde y passe, on préférait renouveler les modes d’extinction. Du coup, ça ajoutait un peu à la variété.” (p. 47-48)
“Ça lui effleura l’esprit. Il n’y avait pas pensé avant, mais ça lui revenait. Quand on lui avait expliqué sa mission avant de le laisser filer en l’air, on lui avait commandé de visser de toutes ses forces. Il en avait déduit que le coq risquait de s’envoler. Il serra donc la pine plus fort dans sa main. S’enlignant sur le trou, il fit pivoter la girouette sur son point d’équilibre. Un demi-tour seulement. Puis il hésita, mais ne tourna plus. Dans sa tête à lui, il se rassurait ainsi en pensant que si cet oiseau de fer s’envolait, il n’emporterait pas l’église avec lui. On avait mis tant de temps à crever pour ériger le temple. S’il fallait qu’un simple battement d’ailes du coq, parce que trop vissé, emporte tout l’ouvrage d’un coup. Non! Valait mieux prévoir. On a vu trop de cathédrales partir en catimini, trop de monuments disparaître sur la pointe des pieds. Notre église resterait. Le demi-tour était joué.” (p. 62)
“Le trac est la première trace de la proximité d’un rêve.” (p. 108)
PELLERIN, Fred. Il faut prendre le taureau par les contes!, Planète rebelle, Montréal, 2003, 136 p.