La cithare nue

Un livre bien particulier. Presque un poème, en fait. Je ne connaissais de Shan Sa que La joueuse de go, petit roman plus rythmé, plus contemporain. La cithare nue nous ramène plutôt en l’an 400 quand une jeune Haute Porte promise à un beau mariage se fait enlever par le capitaine d’une armée. Du coup, son destin change du tout au tout. Shan Sa décrit l’horreur dans toute sa féminité, créant ainsi un contraste frappant.

La cithare nue repose sur deux niveaux: l’histoire de la jeune Haute Porte à compter de l’an 400 et l’histoire d’un jeune luthier qui nous est présentée depuis l’an 581 jusqu’à ce que, malgré le temps qui les sépare, ils se trouvent réunis.

La cithare nue Shan Sa

La cithare nue est un roman sur les guerres entre dynasties, sur les guerres entre le Nord et le Sud de la Chine mais, surtout, c’est un roman sur la musique, un roman dédié à la cithare. C’est l’histoire simple d’une femme dépossédée mariée de force à un homme qui se rêve empereur. Une métaphore centrée sur la cithare.

C’est un récit doux et lent, assez contemplatif. Le rythme de la narration est plutôt caressant, si je puis employer ce terme, même si d’un chapitre à l’autre les années passent rapidement. Lit les 325 pages de La cithare nue qui veut se laisser envelopper par l’histoire de la Chine et de ses hautes sphères, à travers la musique de la cithare et avec comme arrière-plan les guerres de pouvoir.

Dans cette courte vidéo, l’auteure présente son roman.

La cithare nue en extraits

“En plissant les yeux, [le dieu Fu Xi] distingua au milieu du rayonnement deux oiseaux géants à la longue queue parée de mille scintillements. Il reconnut les phénix. Le couple se posa sur un arbre et aussitôt tous les autres oiseaux arrivèrent de partout pour chanter sa gloire. Lorsque les phénix se furent envolés, Fu Xi coupa l’arbre où ils s’étaient posés, choisit un morceau qui ne sonnait ni trop clair ni trop creux, le trempa pendant soixante-douze jours dans une source lipide avant de le sécher et de le transformer en un instrument qui reproduisait le chant du phénix. Il écouta les vents venant de huit directions et créa les huit notes du solfège. Il convoqua les hommes et leur dit: «J’ai taillé ce morceau de bois et l’ai transformé en cithare. Il est long de trois chi, six cun, cinq fen, ce qui correspond aux trois cent soixante-cinq jours de l’année, et large de six cun, ce qui représente le Ciel, la Terre, le sud, le nord, l’est, l’ouest, les six parties du monde. La surface de l’instrument est arrondie comme la voûte céleste et sa base est plate comme la Terre. Sa partie gauche est large et symbolise le Lac, sa partie droite est étroite et symbolise la Source. Le Lac mesure huit cun, parce qu’il se remplit des huit vents de la Terre. La Source mesure quatre cun, parce qu’elle représente les quatre saisons…» Vois-tu, Shen Feng, la cithare n’est pas un instrument de musique. C’est un don du ciel.” (p. 57-58)

“La persévérance est la voie de la chance et le hasard est sa révélation.” (p. 169)

“Le cœur moins naïf, les yeux plus ouverts, elle subit le destin imposé par son époux comme un papillon épinglé sur le mur.” (p. 194)

SA, Shan. La cithare nue, Albin Michel, 2010, 336 p.

La joueuse de go

Quel beau livre! La joueuse de go de Shan Sa raconte une histoire à deux voix se déroulant en 1937, alors que les Japonais ont envahi la Mandchourie. Première voix, celle de la joueuse de go, jeune femme de seize ans qui découvre l’amour et qui, à défaut de regarder la guerre qui se déroule autour d’elle, combat ses adversaires sur son damier. Deuxième voix, celle d’un officier japonais dans la vingtaine prêt à sacrifier sa vie pour sa patrie. Qui est-on quand on est une jeune Chinoise mandchoue? Quand on est un officier japonais? Qui peut-on être?

La joueuse de go Shan Sa

J’ai aimé plonger au cœur de ces deux cultures, y découvrir leur relation amour-haine. Aidée des quelques notes de bas de page en début de roman, j’en ai appris sur ce moment de leur histoire commune. Curieuse, j’ai fait quelques recherches dans Internet pour en savoir un peu plus.

D’un chapitre à l’autre, les voix alternent, nous faisant passer de la joueuse de go à l’officier japonais. Seul bémol: je n’ai pas constaté de variation dans l’écriture en fonction des voix, ce qui fait que, par rapport au style, les voix ne sont pas distinctes. Malgré tout, c’est superbement écrit puis, sans doute en raison de ce style beau et léger, le roman m’a semblé lumineux. Un style simple et des images toutes particulières:

 “Ma solitude ressemble à un rouleau de soi cramoisi enfermé au fond d’un coffre de bois.” (p. 30)

 “Un silence, pareil à un plat de nouilles froides et sans sel, se répand sur le damier.” (p. 30)

 Un style qui fait dans la brièveté aussi. Les chapitres de La joueuse de go sont assez courts et on ne s’étend pas dans des descriptions superflues. D’une certaine façon, je trouve que ça peut démontrer comment la vie passe et emporte avec elle des détails que nous ne remarquerons jamais.

Mais qu’est-ce que le jeu de go?

La joueuse de go Shan Sa Jeu de go

Le go est un jeu de stratégie d’origine chinoise qui se joue sur un damier comprenant 19 lignes horizontales et 19 lignes verticales. On y place des pions (noirs ou blancs) sur les intersections (et non dans les cases) dans le but de créer des territoires – ou de prendre des territoires à son adversaire. En ce sens, il représente assez bien la guerre.

Pour terminer, j’ai trouvé une courte entrevue avec Shan Sa, qui parle de son livre La joueuse de go.

La joueuse de go en extraits

“Soudain, j’entends un cri étouffé. Des hommes s’enfuient dans un bois. À une dizaine de pas, Tadayuki, frais émoulu de l’école militaire, est étendu à terre. Le sang jaillit de sa gorge en un flot continu. Ses yeux demeurent ouverts. Dans le train, je ne cesse de revoir son jeune visage déformé par un rictus d’étonnement.
Mourir, est-ce aussi léger que s’étonner?” (Officier japonais, p. 13)

 “La légende dit que le Japon est une île flottante posée sur le dos d’un poisson-chat dont le mouvement provoque des tremblements de terre. Je tentais de me représenter la forme monstrueuse de ce félin aquatique. La douleur, pareille à une fièvre, me faisait délirer. Faute de pouvoir tuer le dieu, il nous fallait donner l’assaut au continent. La Chine, infinie et stable, était à portée de la main. C’est là que nous assurerons l’avenir de nos enfants.” (Officier japonais, p. 78)

“Dans la rue, je me mets à courir. J’ai besoin de respirer la vie, les arbres, la chaleur de ma ville. Je saurai maîtriser mon destin et me rendre heureuse. Le bonheur est un combat d’encerclement, un jeu de go. Je tuerai la douleur en l’étreignant.” (Joueuse de go, p. 135)

“Min s’effondre et s’endort, son bras sur ma poitrine. Il a laissé sur mon ventre quelques gouttes blanches. Elles sont chaudes et s’enroulent autour de mes doigts comme des fils de soie. Les hommes sont des araignées qui tendent aux femmes un piège tissé de leur semence.” (Joueuse de go, p. 140)

SA, Shan. La joueuse de go, Folio Gallimard, 336 p.